Tribunal des affaires de sécurité sociale de Seine-Saint-Denis (Régime autre que le régime agricole)

Jugement du 10 novembre 2017 n° 15-00865/B

10/11/2017

Renvoi

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE BOBIGNY

JUGEMENT DU 10 NOVEMBRE 2017

[A B]

DOSSIER N° 15-00865/B

NC/DÉCISION N° 1

Dispensé des formalités de timbre et d’enregistrement

Notification 17 NOV 2017

PARTIES EN CAUSE:

S A S PEOPLE AND BABY

Prise en la personne de son représentant légal

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

DEMANDERESSE régulièrement convoquée, dûment représentée par Maître CALVAYRAC David

URSSAF d'ILE DE France

D127-TSA 80028

Département des Contentieux Amiable et Judiciaire

[LOCALITE 3] régulièrement convoquée, représentée par Madame [C D]

DEBATS A L’AUDIENCE PUBLIQUE DU 11 SEPTEMBRE 2017

DECISION CONTRADICTOIRE,

Rendue par mise à disposition au secrétariat du tribunal des affaires de sécurité sociale après délibéré prononcée par le Président, lequel a signé la minute avec la Secrétaire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 5 novembre 2014, l’URSSAF Ile-de-France a notifié à la SAS PEOPLE AND BABY une lettre d’observations.

Par courrier daté du 8 décembre 2014, la SAS PEOPLE AND BABY a fait part de ses observations. Un nouvel examen de son dossier a été effectué et un nouveau chiffrage lui a été adressé le 15 décembre 2014.

Par courrier daté du 30 décembre 2014, l’URSSAF Ile-de-France a notifié à la SAS PEOPLE AND BABY une mise en demeure suite au contrôle portant sur la législation de sécurité sociale, d’assurance chômage et d’AGS, dont la société a fait l’objet pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, pour un montant total de 1 141 346 euros dont 994 825 euros de cotisations et 146521 euros de majorations de retard.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 janvier 2015, la SAS PEOPLE AND BABY a saisi la commission de recours amiable afin de contester la mise en demeure et le contrôle y afférent. L'URSSAF Ile-de-France a accusé réception de cette saisine par courrier daté dommages- intérêts 5 février 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception enregistrée le 5 mai 2015, la SAS PEOPLE AND BABY a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de contester le rejet implicite de la commission de recours amiable.

Par mémoire remis le 15 mai 2017 dans le cadre de cette instance, dont le contenu a été soutenu oralement à l'audience du 11 septembre 2017, la SAS PEOPLE AND BABY demande au tribunal de:

- Prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 138-24 à 138-26 du Code de la sécurité sociale, instaurés par l’article 87 de la loi n°20608-1330 de financement de la sécurité sociale pour 2009, en vigueur entre le 1er janvier 2010 et le 4 mars 2013, date de leur abrogation par l’article 3 de la loi n°2013-185 du 1er mars 2013 pour violation de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont découle les principes à valeur constitutionnel de nécessité, proportionnalité et individuation des peines,

- Constater que la question soulevée est applicable au litige dont est saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de [LOCALITE 4],

- Constater que la question soulevée porte sur les dispositions qui n’ont pas été déclarées conformes à la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel,

- Constater que la question soulevée n’est pas dépourvue de caractère sérieux,

- Transmettre à la Cour de cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité des dispositions contestées, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera,

- Surseoir à statuer sur l’ensemble du litige dans l’attente de l’examen de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Elle expose que le litige porte sur l’application à son encontre d’une pénalité égale à 1% de la masse salariale soit 338 330 euros, dispositions légales résultant des articles L138-24 à L138-26 du Code de la sécurité sociale dans leur version applicable entre le 1er janvier 2010 et 4 mars 2013, date de leur abrogation par l’article 3 de la loi n°2013-185 du 1er mars 2013. Selon ces dispositions, les entreprises employant au moins 300 salariés ou appartenant à un groupe dont les sociétés emploient au moins 300 salariés étaient soumises à une pénalité, égale à 1% de leur masse salariale brute, lorsqu'elles n’étaient pas couvertes par un accord ou par un plan d’action relatif à l’emploi des personnes âgées.

En préambule, la requérante soutient que les conditions de recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité telles que fixées par l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 sont réunies en l’espèce.

Elle indique que la disposition contestée est applicable au litige et constitue l’un des fondements de la procédure engagée à son encontre par l’'URSSAF Ile-de-France en ce que l’un des points du redressement contesté par elle devant le tribunal des affaires de sécurité sociale est fondé sur les articles L138-24 à L138-28 du Code de la sécurité sociale ; qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel en ce que si avant l’entrée en vigueur de la loi n°2008-1330 de financement de la sécurité sociale pour 2009, le Conseil constitutionnel a été saisi par des sénateurs et députés sur certaines de ses dispositions contestées, pour autant, la conformité à la Constitution de l’article 87 de cette loi n’a pas été examinée par le Conseil constitutionnel à cette occasion ; qu’au vu de ce qui précède, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Elle soutient que l’article 87 précité porte atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines et donc à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’il constitue une sanction manifestement disproportionnée et reposant sur une assiette de calcul sans lien avec la nature des faits réprimés et qu’il ne permet pas à l’administration de moduler le montant de l’amende et donc d’individualiser la peine en fonction de la situation.

Par observations orales soutenues à l’audience du 11 septembre 2017, l’'URSSAF Ile-de- France déclare s’en rapporter.

Le Ministère public, avisé du recours n°15-00865 le 11 mai 2017 dans les conditions prévues à l’article 126-4 du Code de procédure civile, a indiqué par avis en date du 2 août 2017, être favorable à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation au motif que certains éléments soulevés par le demandeur sont pertinents et justifient la communication de la question à la Cour de cassation afin que cette dernière apprécie si elle doit être renvoyée au Conseil constitutionnel.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I-Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité

Selon l'article 126-2 du Code de procédure civile, « à peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé, y compris à l'occasion d'un recours contre une décision réglant tout ou partie du litige dans une instance ayant donné lieu à un refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Le juge doit relever d'office l'irrecevabilité du moyen qui n'est pas présenté dans un écrit distinct et motivé ».

En l'espèce, la SAS PEOPLE AND BABY a soumis une question prioritaire de constitutionnalité par un écrit distinct et motivé transmis au tribunal des affaires de sécurité sociale le 24 février 2017.

En conséquence, la question prioritaire de constitutionnalité soumise par la SAS PEOPLE AND BABY est recevable.

II-Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

Selon l'article 61-1 de la Constitution française, « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

La transmission de la question est soumise à l'examen préalable par la juridiction qui en est saisie du caractère sérieux et nouveau de la question ainsi qu'à l'applicabilité au litige ou à la procédure de la disposition législative critiquée. A défaut, conformément aux dispositions prévues par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, la juridiction refuse la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

En outre, l'article 126-6 du Code de procédure prévoit que le refus de transmettre la question dessaisit la juridiction du moyen tiré de la question prioritaire de constitutionnalité.

En l'espèce, il résulte de l’article L138-24 du Code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au cas d’espèce, que « Les entreprises, y compris les établissements publics, mentionnées aux articles L. 2211-1 et L. 2233-1 du code du travail employant au moins cinquante salariés ou appartenant à un groupe au sens de l'article L. 2331-1 du même code dont l'effectif comprend au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord ou un plan d'action relatif à l'emploi des salariés âgés.

Le montant de cette pénalité est fixé à 1 % des rémunérations ou gains, au sens du premier alinéa de l'article L. 242-1 du présent code et du deuxième alinéa de l'article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours des périodes au titre des- quelles l'entreprise n'est pas couverte par l'accord ou le plan d'action mentionné à l'alinéa précédent

Le produit de cette pénalité est affecté à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés.

Les articles L. 137-3 et L. 137-4 du présent code sont applicables à cette pénalité ».

Cet article et les suivants sont applicables au litige et constituent l’un des fondements de la lettre d’observations adressée le 5 novembre 2014 par l’URSSAF Ile-de-France à la SAS PEOPLE AND BABY que celle-ci conteste devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de [LOCALITE 5].

La disposition dont la constitutionnalité est contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

L'article contesté a pour objet une sanction qui peut être considérée comme une peine soumise aux principes résultant de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Certains arguments soulevés par la SAS PEOPLE AND BABY présentent un caractère sérieux notamment au regard des principes de proportionnalité, d’individualisation voire d'équité de la : sanction que constitue la pénalité fixé par l’article L138-24 précité. Cette question n’est donc pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence, il convient d’accepter de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soumise par la SAS PEOPLE AND BABY compte tenu du caractère sérieux de la question.

PAR CES MOTIFS

Le président, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu par mise à disposition au secrétariat;

Dit la question prioritaire de constitutionnalité formée par la SAS PEOPLE AND BABY recevable ;

Fait droit à la demande de la SAS PEOPLE AND BABY de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soumet en raison de son caractère sérieux ;

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité:

Sursoit à statuer sur le fond du litige;

Renvoie l’examen de la présente affaire à l’audience du tribunal des affaires de sécurité sociale de [LOCALITE 6] le 19 février 2018 à 9 heures;

La Minute étant signée par :

La Secrétaire