Tribunal d'instance de Paris 5ème

Jugement du 11 octobre 2017 n° 11-17-000094

11/10/2017

Renvoi

Copie exécutoire délivrée le

Expédition délivrée le :12 octobre 2017 au

N°minute 17/145

 

TRIBUNAL D’INSTANCE du Vème 21 place du Panthéon 75005 PARIS

JUGEMENT DE TRANSMISSION D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE DU 11 OCTOBRE 2017

DEMANDEURS :

Monsieur [C G], [adresse 1], [LOCALITE 2], représenté par Me Franck PETER de WHITE & CASE (J2), avocat au barreau de PARIS

Madame [A épouse C D], [adresse 3], [LOCALITE 4], représentée par Me Franck PETER de WHITE & CASE (J2), avocat au barreau de PARIS

DEFENDEUR :

SOCIETE ASSISTANCE PUBLIQUE - HOPITAUX DE PARIS , [adresse 5] [LOCALITE 6], représentée par Me TSOUDEROS Julien, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Agnès LALARDRIE

Greffier : Christine CAZAUBON

DEBATS : Audience publique du 21 juin 2017

JUGEMENT : contradictoire, non susceptible de recours, prononcé en audience publique le 11 Octobre 2017 par Agnès LALARDRIE, président, assisté de Christine CAZAUBON, Greffier.

Par acte d’huissier en date du 21 novembre 2016, Monsieur [G C] et Madame [D A épouse C] ont fait assigner l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à comparaître devant ce Tribunal à l'audience du 26 avril 2017 afin de voir soumettre à la Cour de Cassation une question prioritaire de constitutionnalité concernant la demande de résiliation, qui leur avait été signifiée le 11 mars 2016 par l'AP-HP, de leur contrat de bail conclu le 14 septembre 1973, et, en conséquence, de voir surseoir à statuer dans l'attente de la décision sur ladite question et, en tout état de cause, voir juger nulle la signification de la résiliation de leur contrat de bail. A titre subsidiaire, ils demandent que soit prononcée la nullité de la décision de résiliation en raison de la mauvaise foi de l’'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et du caractère excessif et disproportionné de ladite décision par rapport à l'objectif poursuivi par l’article 137 de la loi du 26 janvier 2016. Ils demandent également que la défenderesse soit condamnée à leur payer la somme de 10.000€ de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi ainsi que celle de 5.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'au montant des dépens.

Ils exposent que, le 14 septembre 1973, Monsieur [C], alors fonctionnaire travaillant à l'Assistance publique de [LOCALITE 7], a conclu un bail concernant un logement situé [adresse 8], [LOCALITE 9], appartenant au domaine privé de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) sous le régime dit du “3 quinquies de la loi de 1948",

Ils ajoutent que cette location a été renouvelée par un bail du 24 août 1976 puis par un bail du 29 septembre 1977 renouvelé tacitement le 29 septembre 1989.

Ils prétendent qu'à la suite d'un congé donné par l'AP-HP à Monsieur et Madame [C], le 09 mars 2001, une action a été intentée par le propriétaire devant le tribunal d'instance, puis que les parties ont conclu un protocole d'accord et qu'un nouveau bail a été signé le 18 avril 2007, renouvelant la location pour la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2011.

Selon eux, le bail d'une durée de 6 ans a été reconduit tacitement pour la même : durée. Il se termine donc, selon eux, le 31 décembre 2017.

Ils font valoir que l'AP-HP a fait introduire, par le Gouvernement, un amendement n° 1197, au cours de la discussion parlementaire de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 “de modernisation de notre système de santé”, correspondant 4 l'article 137 de cette loi, insérant après l'article 14-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 un article 14-2 ainsi rédigé :

“I. La résiliation du contrat de location peut être prononcée par le bailleur Assistance publique - hôpitaux de Paris, le bailleur hospices civils de Lyon ou le bailleur Assistance publique - hôpitaux de Marseille en vue d'attribuer ou de louer le logement à une personne en raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi dans l'un de ces établissements publics de santé et dont le nom figure sur la liste des personnes ayant formulé une demande de logement.

La résiliation prononcée en application du premier alinéa ne peut produire effet avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de sa décision par l'un des établissements publics de santé susmentionnés à l'occupant. Cette décision comporte le motif de la résiliation et la nature des fonctions occupées par la ou les personnes auxquelles le bailleur envisage d'attribuer ou de louer le logement.

II. Le I est applicable aux contrats de location en cours à la date de publication de la présente loi. La notification de la décision de l'établissement public de santé concerné doit alors intervenir dans un délai de huit mois avant la date d'effet de la résiliation. Le locataire qui répond aux conditions de ressources annuelles équivalentes ou intérieures au plafond prévu pour les prêts locatifs sociaux, mentionné au III de l'article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, titulaire d'un contrat de location à la date de publication de la présente loi, n'est pas concerné par les présentes dispositions”.

Ils soutiennent que le 2 mars 2016, l'AP-HP a envoyé un courrier à [H C] l'informant de la résiliation de son bail sur le fondement de l’article 137 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 et que, le 11 mars 2016, la résiliation du bail a été signifiée à Monsieur et Madame [C], un délai de huit mois leur étant accordé.

Ils ajoutent qu'ils ont effectué des démarches amiables par la suite, sans succès, l'AP-HP leur ayant fait délivrer une sommation d’avoir à quitter les lieux, par acte d'huissier du 14 novembre 2016.

Ils précisent qu'ils ont déposé parallèlement un mémoire distinct de question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 137 de la loi du 26 janvier 2016 dont ils demandent l'annulation par le Conseil Constitutionnel ; laquelle entraînera par voie de conséquence l'annulation du congé litigieux.

Dans le mémoire de question prioritaire de constitutionnalité, ils demandent au présent Tribunal de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante : “Les dispositions de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 en ce qu'elles sont applicables uniquement à certains locataires, selon que le bailleur est un établissement public de santé mentionné dans la loi ou non, et d'application immédiate aux contrats en cours, méconnaissent-elles les droits et libertés garantis par les articles 4, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?” selon la procédure prévue par l’article 61-1 de la Constitution et 23-2 de la loi du 10 décembre 2009 modifiant l'ordonnance du 7 novembre 1958 :

Ils prétendent que l'article 137 précité n'a pas été soumis au Conseil Constitutionnel et que ladite disposition, méconnaissant le principe d'égalité, de liberté contractuelle et de la garantie des droits, ladite question posée n'est pas dépourvue de sérieux.

Ils soutiennent, en effet, que cette disposition a pour conséquence d'établir une discrimination entre les locataires d'établissements publics puisque seules trois villes sont concernées (Paris, Lyon, Marseille) ainsi qu'une discrimination entre les locataires selon le mode de gestion du logement par le bailleur, puisque seuls sont concernés les logements gérés “directement” par les directions des établissements publics de santé.

Ils prétendent que le législateur a en outre méconnu la liberté contractuelle des parties et le principe de sécurité juridique dans la mesure où toute modification des contrats en cours d'exécution par la loi doit répondre à l'exigence de proportionnalité de l'atteinte au motif d'intérêt général ; ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ils considèrent, en effet, que l'objectif d'attribuer ou de louer un logement à une personne occupant un emploi dans l'un des établissements publics de santé visés et recherchant un logement ne constitue pas un motif suffisant pour porter atteinte aux contrats de location en cours, conclus régulièrement.

En défense, sur la question prioritaire de constitutionnalité, l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris conclut au rejet de la transmission de cette question à la Cour de Cassation.

Elle fait valoir que la nouvelle disposition de la loi prévue à l'article 137 est destinée à lui permettre de demander aux personnes qui occupent des logements appartenant à l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris de les libérer, dès lors qu'elles ne travaillent pas, ou ne travaillent plus, dans les hôpitaux concernés et cela, dans le but de faciliter l'accès à un logement en ville au personnel hospitalier de ces trois établissements hospitaliers.

Elle en conclut que la nouvelle disposition doit ainsi permettre de mettre un terme à des situations qui portent préjudice au bon fonctionnement et à la gestion de certains établissements publics de santé particulièrement concernés par une problématique de logement de leur agents.

Elle prétend, en effet, que la situation de Monsieur [C] fait partie de celles particulièrement choquantes auxquelles la loi a voulu remédier puisque celui-ci occupé un appartement de 181 m2 en duplex dans un hôtel particulier du [LOCALITE 10], depuis le 14 septembre 1973, date du bail, alors qu'il a quitté l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris dès 1977 pour devenir directeur du Bureau d'Aide Sociale de la Ville de [LOCALITE 11] puis directeur de la Construction et du Logement et secrétaire général adjoint de la [LOCALITE 12], avant d'être nommé au Conseil d'Etat en 1996.

Selon l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, il loue. actuellement le duplex 2.924€ par mois (soit 16,01€ le m? contre un prix moyen de plus de 30€ le m2 dans le quartier) alors même qu'il dispose de revenus importants.

L’Assistance publique - Hôpitaux de Paris prétend que le principe d'égalité n'a pas été méconnu dans la mesure où Paris, Lyon et Marseille connaissent une situation particulière (ce sont les trois principales communes de France et, en outre, elles possèdent le statut de centres hospitaliers universitaires) qui ne peut être en rien comparée aux autres établissements publics de santé d'autres villes ni d'ailleurs à d'autres établissements privés.

Elle soutient qu'ainsi, ces trois principaux centres hospitaliers de France ont impérativement besoin de pouvoir loger, dans leurs parcs immobiliers, leurs collaborateurs, alors qu'il existe un besoin crucial de logements dans ces trois villes et que peu de demandes peuvent être actuellement satisfaites.

L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris fait valoir, en outre, le caractère dérisoire du loyer de départ des requérants, même s’il a été substantiellement réévalué par la suite. Il resterait, selon elle, inférieur de près de 50% au prix du marché.

Elle ajoute que le législateur a entendu également dispenser les locataires éligibles à l'attribution d'un logement social de ces dispositions. Il en résulte, selon elle, que ce sont bien à des locataires comme Monsieur [C] -cadres qui bénéficient, sans aucune justification, d'un logement très inférieur au prix du marché- que la loi a voulu s'appliquer car le logement qu'ils occupent devrait constituer un logement de fonction pour des agents hospitaliers dont les ressources le justifient.

L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris indique qu'en l'espèce, l'intérêt général n'est pas contestable car il est tout à fait normal et même indispensable de permettre aux grands centres hospitaliers de disposer d'un personnel stable permettant de dispenser des soins de qualité en toute sécurité.

L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris relève que l'article 14-2 critiqué de la loi du 6 juillet1989 prévoit une procédure particulière correspondant à une différence de traitement en adéquation avec l'objet de la loi. Elle en conclut que l'article 14-2 qui poursuit un objectif d'intérêt général ne porte aucune atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et aux conventions légalement conclues.

Par conclusions déposées en date du 20 avril 2017, le Procureur de la République de Paris a conclu à l'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité et, subsidiairement, à l'absence de caractère sérieux de ladite question. Il a indiqué, en conséquence, être d'avis qu'il n'y avait pas lieu de transmettre cette question à la Cour de Cassation.

Le Procureur de la République fait valoir, en effet, que les requérants, Monsieur et Madame [C], ne précisent aucunement les droits et libertés qu'ils prétendent être méconnus par le texte de l’article 137 de la loi du 26 janvier 2016 contenant création de l’article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989.

Il indique que seuls sont cités les articles 4, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen sans que soient précisés quels droits sont mis en cause, alors que chacun de ces articles touche à de nombreux et différents libertés et droits.

Sur le fond, le Procureur de la République soutient que le principe d'égalité n'est pas absolu selon une jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel et qu'en l'espèce, la différence de traitement qui résulte de l'adoption de l'article 137 critiqué, est en rapport direct avec l'objectif d'intérêt général que le législateur s'est assigné : réserver l'occupation du parc immobilier des hôpitaux de Paris, Lyon, Marseille - où les difficultés à trouver un logement sont manifestes - au personnel en activité, accessible au logement social.

Le Procureur de la République soutient, en outre, que le législateur, en adoptant l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 a porté une atteinte proportionnée à des baux en cours en prévoyant que la résiliation ne prendra effet qu'à l'expiration d'un délai de 6 mois à compter de la notification, par le bailleur, de son intention.

Le Procureur de la République conclut que la rédaction de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 ne méconnaît ainsi aucune règle de valeur constitutionnelle et concilie l'objectif d'intérêt général - celui de favoriser l'accès au logement social pour le personnel des hôpitaux de Paris, Lyon, Marseille- avec les impératifs de notre droit constitutionnel.

En réplique, les époux [C] prétendent qu'ils ont précisément énoncé les droits, principes et libertés méconnus par le texte critiqué.

Ils font valoir que l'article 137 ne fait aucune référence au critère d'un loyer minoré comme il est en l'espèce invoqué par l'AP-HP,

Ils ajoutent que la distinction faite, par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, entre établissements qui seraient gérés “directement” et “indirectement” ne se justifie pas et qu'ainsi là disposition critiquée instaure une différence de traitement portant atteinte au principe d'égalité.

Ils soutiennent, enfin, que la situation particulière prétendue des trois établissements publics n'est particulière que par l'échelle de ceux-ci et non pas par les problèmes rencontrés qui, de fait, se retrouvent au sein de tout établissement de santé qui emploie du personnel.

Ils concluent que le droit pour les bailleurs visés par la loi est suffisamment assuré par les dispositions de droit commun de la loi du 8 juillet 1989 et que point n'était besoin d'accorder à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris un pouvoir exorbitant qui lui permet de justifier une demande de résiliation de bail selon son bon-vouloir, en méconnaissance des principes d'égalité, de sécurité juridique et de liberté contractuelle, pour des contrats en cours conclus régulièrement et librement consentis entre les parties.

À l'audience du 26 avril 2017, l'affaire a été renvoyée, à la demande des parties, à l'audience du 21 juin 2017.

À cette dernière audience, les parties ont maintenu leurs prétentions et l'affaire a été mise en délibéré au 11 octobre 2017. Elles ont demandé qu'au cas où la question prioritaire de constitutionnalité ne serait pas transmise à la Cour de Cassation, la réouverture des débats soit ordonnée afin qu'il soit conclu au fond.

MOTIFS

Attendu que le 2 mars 2016, l’'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a envoyé an un courrier à Monsieur [C] l'informant de la résiliation de son bail sur le fondement de l'article 137 de la loi n° 2016 - 41 du 26 janvier 2016 ; que selon acte du 11 mars 2016, cette résiliation a été notifiée aux époux [C], un délai de 8 mois leur étant accordé pour quitter les lieux, afin de “loger des agents à proximité de leur lieu de travail, en raison notamment du besoin d'organiser la continuité des soins” ;

Attendu que c'est dans ces conditions que le présent Tribunal a été saisi, par les époux [C], d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 137 de ladite loi qui, selon eux, doit être déféré au Conseil Constitutionnel ;

Attendu qu'à l'audience, l'Assistance publique - Hôpitaux a précisé ne pas vouloir contester la recevabilité de la demande;

Que le présent Tribunal relève que les libertés et droits auxquels il est prétendu contrevenir dans la disposition litigieuse de la loi sont suffisamment précisés dans le mémoire des requérants ;

Qu'il s’agit bien du principe d'égalité des citoyens et, en l'espèce, des locataires, du principe de la liberté contractuelle et de la sécurité des conventions légalement formées ;

Que la défenderesse a pu répondre sur tous ces points précis dans son argumentaire ;

Que les différents éléments sont amplement débattus dans chacun des mémoires qui constituent “des écrits motivés et distincts”

Que le juge saisi est donc bien en mesure d'exercer son contrôle sur le caractère déterminé de la question et sur les droits et libertés auxquels il serait, en l'espèce, porté atteinte ;

Qu'il y a lieu de déclarer la question recevable ;

Attendu qu'il est, en outre, établi que l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 qui a modifié l’article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 est applicable en ce qu'il figure à l'acte extrajudiciaire du 11 mars 2016 signifié par l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris aux époux [C] aux fins de résilier le bail susvisé pour y loger ses agents à proximité de leur lieu de travail, en raison notamment de là nécessité d'organiser la continuité des soins; que cet article litigieux est donc le fondement de la présente demande;

Attendu qu'en outre, cette disposition n'a pas déjà été soumise au contrôle du Conseil Constitutionnel contrairement à d’autres dispositions de la même loi ;

Qu'il reste donc à examiner le caractère “non dépourvu de sérieux" de la question prioritaire de constitutionnalité soumise afin de se conformer aux exigences de l'article 23-2 de l'ordonnance du 10 décembre 2009 ;:

Attendu que l’article 137 de la loi du 26 janvier 2016 est ainsi libellé :

"1. La résiliation du contrat de location peut être prononcée par le bailleur Assistance publique - hôpitaux de Paris, le bailleur hospices civils de Lyon ou le bailleur Assistance publique - hôpitaux de Marseille en vue d'attribuer ou de louer le logement à une personne en raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi dans l'un de ces établissements publics de santé et dont le nom figure sur la liste des personnes ayant formulé une demande de logement.

La résiliation prononcée en application du premier alinéa ne peut produire effet avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de sa décision par l'un des établissements publics de santé susmentionnés à l'occupant. Cette décision comporte le motif de la résiliation et la nature des fonctions occupées par la ou les personnes auxquelles le bailleur envisage d'attribuer ou de louer le logement.

II. Le I est applicable aux contrats de location en cours à la date de publication de la présente loi. La notification de la décision de l'établissement public de santé concerné doit alors intervenir dans un délai de huit mois avant la date d'effet de la résiliation. Le locataire qui répond aux conditions de ressources annuelles équivalentes ou intérieures au plafond prévu pour les prêts locatifs sociaux, mentionné au III de l'article 15 de la loi n "89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n "86-1290 du 23 décembre 1986, titulaire d'un contrat de location à la date de publication de la présente loi, n'est pas concerné par les présentes dispositions”. ;

Que cette disposition permet ainsi à certains bailleurs limitativement énumérés (Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Hospices civils de Lyon ou Assistance publique - Hôpitaux de Marseille) de résilier unilatéralement les contrats en cours de leurs locataires, à l'exception de ceux qui répondent à des conditions de ressources inférieures à un certain plafond fixé par la loi, et sous certaines conditions de délais de procédure à respecter ;

Attendu que le but de cette disposition est “d'attribuer ou de louer un logement à Une personne en raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi dans l'un de ces établissements publics de santé, et dont le nom figure sur la liste des personnes ayant formulé une demande de logement’ ;

Attendu qu'il est invoqué, par les requérants, que les trois établissements cités sont de nature “publique” contrairement au reste du parc privé immobilier de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris qui ne serait pas concerné par cette disposition, alors que, selon eux, un traitement spécifique aux trois premiers ne se justifie pas :

Que selon l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, en revanche, ces établissements ne sont pas comparables à d'autres établissements publics d’autres villes ni à des établissements privés de santé, en raison des spécificités qui ont déjà été évoquées ;

Que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris invoque, en conséquence, le caractère fondé d'une telle discrimination des locataires au regard de la situation particulière des trois établissements publics-bailleurs visés par l'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 :

Attendu que le Tribunal souligne, avec les parties, que le Conseil Constitutionnel examine avec une particulière attention le respect apporté par le législateur du principe constitutionnel d'égalité institué par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme: qu'il est toutefois de jurisprudence constante que “le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pour que, dans l’un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui établit” ; Attendu que la différence de traitement ainsi instituée par le législateur doit notamment être justifiée et fondée sur des critères qui doivent être suffisamment proportionnés;

Attendu qu'en l'espèce, le principe d'intérêt général est invoqué pour justifier la désignation précise des établissements de santé de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris qui bénéficient d’un droit exorbitant du droit commun des baux régi par la loi du 6 juillet 1989 ;

Attendu qu'il s'agit pour ces établissements de faciliter l'accès à un logement en ville au personnel hospitalier et de le limiter au seul personnel en activité accessible au logement social, comme en témoignent les travaux parlementaires ;

Attendu que si l'intérêt général est en l'espèce évident et légitime, comme le souligne le Procureur de la République, il convient également d'examiner si l'intérêt en jeu est suffisant pour qu'il puisse être porté une atteinte quelconque aux règles constitutionnelles impératives ; que l'atteinte doit, en effet, être proportionnée et justifiée ;

Attendu qu'en l'espèce les arguments, qui figurent aux mémoires respectifs des parties, démontrent qu'il subsiste un débat sur les critères qui ont présidé au choix des trois établissements en question, sur leurs spécificités, et donc sur le caractère incontestable des critères ayant conduit le législateur à cibler les trois établissements de santé précités afin de les exonérer, au nom de l'intérêt général, de la procédure de résiliation de droit commun et leur accorder un droit exorbitant de résilier le bail en raison uniquement de l'objectif d'attribuer ou de louer un logement de fonction à certains agents hospitaliers afin d'assurer la qualité et la sécurité des soins ;

Attendu que dans ces conditions, l'atteinte portée par le législateur tant à l'égalité des locataires qu'à celle de la liberté contractuelle ou à la sécurité juridique d’un contrat en cours, comme c'est le cas en l'espèce pour les époux [C], constitue une question dont le caractère n’est pas dépourvu de sérieux; qu'il est justifié que la question soit transmise à la Cour de Cassation, ainsi que le demandent les requérants; qu'il convient de faire droit à cette demande:

Qu'il y a lieu, dans ces conditions, de dire que la question soumise est recevable, et qu'elle correspond aux conditions exigées par les dispositions de l'article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 :

Qu'il convient de la transmettre à la Cour de Cassation ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire, non susceptible de recours,

Transmet à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

"Les dispositions de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 en ce qu'elles sont applicables uniquement à certains locataires, selon que le bailleur est un établissement public de santé mentionné dans la loi ou non, et d'application immédiate aux contrats en cours, méconnaissent-elles les droits et libertés garantis par les articles 4, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?”

Dit que le dossier sera transmis à la Cour de Cassation dans les 8 jours de son prononcé selon les dispositions de l'article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 avec les mémoires ou conclusions présentées, par un écrit distinct et motivé des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité..

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

Sursoit à statuer sur les demandes des parties.

Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 28 mars 2018 à 09 heures;

Réserve les dépens.

AINSI FAIT ET JUGE EN AUDIENCE PUBLIQUE LES JOUR, MOIS ET AN INDIQUES CI-DESSUS.

LE GREFFIER

LE PRESIDENT