Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 20 juin 2017 N°1621017/4 -2

20/06/2017

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

 

 

N°1621017/4 -2

___________

 

M. A... B...

___________

 

Ordonnance du 20 juin 2017

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

La vice-présidente de section

statuant sur le fondement de l’article

R. 771-7 du code de justice administrative

 

 

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 27 avril 2017, présenté pour M. A... B..., par Me Vinay ;

 

M. B... demande au tribunal administratif, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 24 novembre 2016 par lequel il est astreint à résider dans la commune de Saint-Jean d’Angély, à se présenter quatre fois par jour au commissariat de police, à demeurer tous les jours de 21 heures à 7 heures dans les locaux où il réside et qui lui interdit de se déplacer en dehors de son lieu d’assignation à résidence sans autorisation écrite préalable du préfet de Charente-Maritime :

- de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L.561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction issue de l’article 39 de la loi n°2016-274 du 7 mars 2016 .

 

Il soutient que :

- l’article L.561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) est applicable au litige ; l’arrêté qu’il conteste qui édicte son assignation à résidence incluant un changement de lieu de résidence à son encontre a été pris sur le fondement de ce texte ;

- les dispositions contestées n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question prioritaire présente un caractère sérieux :

- il résulte de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel relatives notamment aux assignations à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence que les restrictions apportées à la liberté d’aller et venir ne peuvent présenter un caractère indéfini et perpétuel ; que l’alinéa 8 de l’article L.561-1 en ce qu’il prévoit que « la durée de six mois (de l’assignation à résidence) ne s’applique ni aux cas mentionnés au 5° de cet article (relatif aux étrangers qui doivent être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction du territoire prévue à l’article 131-30 du code pénal), ni à ceux mentionnés aux articles L.523-3 à L.523-5 du présent code » méconnaît la liberté d’aller et venir garantie par la Constitution (articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), au regard d’abord de la durée illimitée dans le temps de la mesure d’assignation à résidence, laquelle peut-être perpétuelle lorsque la mesure d’assignation à résidence se calque sur celle de l’interdiction du territoire qui peut être définitive, ensuite en ce qu’il permet à l’administration de restreindre la liberté d’aller et venir, sans justifier cette restriction par une nécessité de « sauvegarde de l’ordre public », la mesure d’assignation à résidence poursuivant un simple objectif d’attente d’une « perspective d’éloignement » et non un objectif de sauvegarde de l’ordre public ; l’assignation à résidence qui porte atteinte à la liberté d’aller et venir et qui peut indéfiniment perdurer est manifestement disproportionnée au regard du but poursuivi ;

-la troisième phrase du 9ème alinéa de l’article L.561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile aux termes de laquelle « L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction judiciaire ou administrative du territoire prononcés en tout point du territoire de la République peut, quel que soit l'endroit où il se trouve, être astreint à résider dans des lieux choisis par l'autorité administrative dans l'ensemble du territoire de la République. », porte une atteinte manifestement excessive et disproportionnée au droit au respect à la vie privée ; que d’une part la disposition litigieuse a été introduite par une ordonnance n°2015-124 du 5 février 2015 « relative aux conditions d’application outre-mer de l’interdiction administrative du territoire et de l’assignation à résidence des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement » prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution mais sans en respecter les termes dès lors que cette ordonnance n’a pas étendu une disposition législative déjà en vigueur en métropole mais purement et simplement modifié l’article en y ajoutant la disposition litigieuse ; que l’ordonnance a été ratifiée à l’occasion du vote de la loi n°2015-1268 du 14 octobre 2015 dite « d’actualisation du droit des outre-mer » à l’article 81-4° mais sans aucun débat ni étude d’impact préalable ; que d’autre part la disposition en cause porte une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée en ce qu’elle permet à l’administration d’imposer un changement brutal de lieu de résidence à une personne sans préavis et justifier d’un motif en lien avec la sauvegarde de l’ordre public, pour une durée qui peut de surcroît, être illimitée dans le temps, alors que l’étranger visé par la mesure d’assignation peut disposer de toutes ses attaches privées et familiales dans le lieu qu’il est contraint de quitter sous menaces de sanctions pénales ;

-en édictant les dispositions de l’article L.561-1 du Ceseda le législateur a manqué de satisfaire aux exigences tirées de l’article 34 de la Constitution qui lui imposent d’assortir de garanties légales suffisantes les dispositions qui pourraient porter atteinte aux libertés garanties par la Constitution telles la liberté d’aller et venir et le droit au respect de la vie privée et familiale ; que d’une part il a manqué d’assortir la mesure d’assignation à résidence des garanties légales requises en particulier celle de limiter son champ d’application aux seuls étrangers dont le comportement constitue une menace grave et actuelle à l’ordre public ; que d’autre part le législateur a laissé au pouvoir règlementaire et à l’administration le soin de fixer toutes les modalités d’exécution de l’assignation à résidence, à savoir le nombre de quatre présentations quotidiennes de l’étranger au poste de police ou de gendarmerie, la durée de la plage horaire durant laquelle la personne assignée est confinée dans son lieu d’hébergement alors même que cette durée détermine, selon le Conseil Constitutionnel, si la mesure est restrictive ou privative de liberté, ( QPC 2015-527 du 22 décembre 2016) ou encore le pouvoir de fixer le périmètre et le lieu d’assignation ; que cette incompétence négative qui conduit à conférer à l’administration une excessive liberté d’appréciation ;

- en habilitant le ministre de l’intérieur à assigner à résidence une personne de manière indéfinie, le législateur a méconnu la compétence du juge judiciaire qui est en application de l’article 66 de la Constitution de 1958 la seule autorité pouvant prononcer une mesure privative de liberté ;

 

Vu le mémoire enregistré le 2 juin 2017 présenté par le ministre de l’intérieur qui conclut à ce que la question prioritaire de constitutionalité ne soit pas transmise au Conseil d’Etat ;

 

 

Il fait valoir que :

- seules les dispositions du 5° de l’article L.561-1 du Ceseda sont applicables au litige ; qu’en effet le requérant qui a été condamné par la 10ème chambre des appels correctionnels de Paris à une interdiction définitive du territoire français et qui ne peut être effectivement éloigné à destination de l’Algérie (CEDH arrêt du 3 décembre 2009), a été assigné à résidence sur le fondement du 5°de ces dispositions ;

- la question prioritaire de constitutionnalité sera écartée :

- l’assignation à résidence ne constitue pas, quelle que soit sa durée une mesure privative de liberté ; aussi le requérant ne saurait invoquer une quelconque violation de l’article 66 de la Constitution ;

- le requérant ne saurait utilement se prévaloir de la jurisprudence applicables aux assignations de résidence prises sur le fondement de l’état d’urgence au soutien de son grief portant sur l’atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir ; que la mesure d’assignation prise à son encontre n’a pas le caractère d’une mesure de police qui vise à prévenir des troubles à l’ordre public dans un contexte de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, répondant ainsi à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public permettent au législateur d’encadrer les libertés publiques d’individus disposant d’un droit à résider sur le territoire national ; que le requérant a été condamné par le juge pénal en 2005 à une peine d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français, l’expiration de sa peine d’emprisonnement entrainant de plein droit son éloignement ; que la mesure d’assignation est une mesure alternative à l’interdiction du territoire ;

- la mesure d’assignation à résidence prise en application des dispositions en litige ne saurait être considérée comme une décision d’une durée illimitée dans le temps et ne saurait donc porter une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir ; que la mesure en cause est adossée à une mesure d’interdiction du territoire ne pouvant être exécutée et suit le régime de cette mesure qui peut faire l’objet d’une demande de relèvement devant la juridiction qui a prononcé sa peine à l’expiration d’un délai de six mois après la décision initiales de condamnation( article 132-21 du code pénal) puis de six mois en six mois ( article 702-1 du code de procédure pénale) et dès lors que l’interdiction du territoire fait l’objet d’un relèvement, l’assignation à résidence est abrogée par voie de conséquence ; de même la mesure d’assignation à résidence peut prendre fin du fait de la possibilité de mettre à exécution la mesure d’éloignement par changement des circonstances de fait comme par exemple le changement de régime du pays de renvoi) ;

- contrairement à ce que soutient le requérant l’ordonnance du 5 février 2015 a complété les dispositions de l’article L.561-1 du Ceseda en l’étendant aux collectivités de Wallis et Futuna, de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, de sorte qu’il est applicable à l’ensemble du territoire de la République ;

- l’assignation à résidence est une mesure alternative à l’éloignement laquelle si elle était exécutée emportait une rupture plus brutale encore avec son lieu de résidence ; que la rupture avec l’environnement familial découle de l’interdiction définitive du territoire, peine prononcée à titre complémentaire ; que l’assignation, même dans un département différent de celui dans lequel résidait l’intéressé, préserve la vie privée et familiale de l’intéressé puisqu’il est maintenu sur le territoire national ;qu’en tout état de cause, l’autorité administrative peut décider, pour des raisons de sécurité et d’ordre public de désigner un lieu distinct du lieu de sa résidence habituelle ou de modifier le périmètre de l’assignation en fonction du comportement de l’étranger assigné ;

-le requérant n’est pas fondé à soutenir que les dispositions contestées seraient entachées d’une incompétence négative affectant des droits et libertés constitutionnellement protégés compte tenu des garanties qu’il a fixées pour encadrer le mesure d’assignation à résidence ;

 

Par une intervention, enregistrée le 4 mai 2017 le groupe d’information et de soutien des immigrés demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête n°1621017.

Il soutient que les dispositions de l’article L.561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

 

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et notamment l’article L.561-1 dans sa rédaction issue de l’article 39 de la loi n°2016-274 du 7 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

 

Sur l’intervention du groupe d’information et de soutien des immigrés :

 

1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat (…), le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (…) » ; que le groupe d’information et de soutien des immigrés n’a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article L.561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; que ce moyen n’est, par suite, pas recevable et ne peut qu’être écarté ;

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par le requérant :

 

2. Considérant qu’il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ; que le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…) » ;

 

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants :... 5° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction du territoire prévue au deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal...La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée. Par exception, dans le cas prévu au 4° du présent article, elle peut être renouvelée tant que l'interdiction de retour ou l'interdiction de circulation sur le territoire français demeure exécutoire. La durée de six mois ne s'applique ni aux cas mentionnés au 5° du présent article, ni à ceux mentionnés aux articles L. 523-3 à L. 523-5 du présent code. L'étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l'autorité administrative doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Il doit également se présenter, lorsque l'autorité administrative le lui demande, aux autorités consulaires, en vue de la délivrance d'un document de voyage. L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction judiciaire ou administrative du territoire prononcés en tout point du territoire de la République peut, quel que soit l'endroit où il se trouve, être astreint à résider dans des lieux choisis par l'autorité administrative dans l'ensemble du territoire de la République... » ;

 

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant algérien qui fait l’objet d’une interdiction définitive du territoire français prononcée en décembre 2005 par l’autorité judiciaire et qui n’est pas mesure de quitter le territoire français a été assigné à résidence dans le département du Tarn, sur le territoire de la commune de Carmaux par arrêté ministériel du 15 décembre 2011, puis par arrêté du ministre de l’intérieur du 24 novembre 2016 dans le département de la Charente-Maritime, dans les limites de la commune de Saint-Jean d’Angély ; que M. B... a présenté une requête tendant à l’annulation de l’arrêté du 24 novembre 2016 précité;

 

5. Considérant que les dispositions de l’article L.561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, selon lesquelles pour une assignation à résidence « La durée de six mois ne s'applique (pas) aux cas mentionnés au 5° du présent article » et « L'étranger qui fait l'objet ... d'une interdiction judiciaire... du territoire prononcé(s) en tout point du territoire de la République peut, quel que soit l'endroit où il se trouve, être astreint à résider dans des lieux choisis par l'autorité administrative dans l'ensemble du territoire de la République... », sont applicables au présent litige ; que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment à la liberté d’aller et venir et au respect de la vie privée garantis par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pose une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’alinéa 8 et de la troisième phrase du 9ème alinéa de l’article L.521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’article 39 de la loi n°2016-274 du 7 mars 2016, est transmise au Conseil d’Etat.

 

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. B..., jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B..., au groupe d’information et de soutien des immigrés et au ministre de l’intérieur.

 

 

 

Fait à Paris, le 20 juin 2017.

 

 

La vice-présidente de la 4ème section

 

 

 

 

M. C...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N°1621017