Tribunal de grande instance d'Evreux

Jugement du 13 juin 2017 n° 17/01352

13/06/2017

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D' EVREUX

27022 EVREUX

Chambre 1

JUGEMENT DU 13/06/2017

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

DOSSIER :17/01352

N° Minute : 17/267

Demandeurs à la question prioritaire :

Association ENTRE SEINE ET BROTONNE

dont le siège social est sis Chez Mme [D E] [LOCALITE 1]

représentée par sa présidente en exercice, régulièrement mandatée

Association ESTUAIRE SUD

dont le siège social est sis [LOCALITE 2]

[LOCALITE 3]

représentée par son président en exercice, régulièrement mandaté

Représentées par Me Jean-michel EUDE, membre de la SCP DOUCERAIN EUDE SEBIRE, avocat au barreau de PEURE - postulant - et par Me Benoist BUSSON, avocat au barreau de PARIS - plaidant

Défendeurs :

Monsieur [B C]

demeurant [LOCALITE 4]

Madame [F C]

demeurant [adresse 5] [LOCALITE 6]

[LOCALITE 7]

Représentés par Me Benoit JOUBERT, pour la SELARL COTE FREZEL PRADO, avocat au barreau de l'EURE - postulant - et par Me Fatiha AKLI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION :

Anne-Gaëlle DUMAS, Président

Marie-Noel COTTART- DURAND), Vice-Président

Stéphane VAUTIER, Vice-Président

en présence de Sandra MONTELS, magistrat stagiaire qui a siégé en surmombre et a participé avec voix consultative au délibéré

assistée de Julie BARREAU, greffier

Vu l'article 23-1 de ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants ;

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée pat un écrit distinct et motivé le 10 avril 2017, par l'association ENTRE SEINE ET BROTONNE et l'association ESTUAIRE SUD), représentées, demanderesses au procès ;

Vu les observations formulées le 11 mai 2017, par Monsieur [B C] et Madame [F C] représentés, défendeurs au procès ;

Vu la transmission de la question au ministère public en date du 14 avril 2017 ;

Les demanderesses prétendent que les dispositions de l'article L. 480-13, 1° du code de l'urbanisme, dans sa version issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce qu'elles ne permettent pas une réparation intégrale du préjudice né de l'édification d'une construction en vertu d'un permis de construire annulé car non conforme aux règles d'urbanisme, en limitant de manière importante les zones dans lesquelles la démolition des constructions peut être demandée ; en ce qu'une telle limitation porte atteinte également à leur droit à un recours effectif et en ce qu'elle ne permet pas une protection complète de l'environnement. Elles soulèvent en conséquence, au soutien de leur question, une violation des articles 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et de l'article 4 de la charte de l'environnement ;

En réponse, les époux [C] soutiennent que la question n'est pas recevable en ce qu'elle n'est pas suffisamment précise; Ils indiquent ensuite qu'elle est infondée et dépourvue de sérieux puisqu'il n'y a en l'espèce aucune violation d'une servitude d'utilité publique, aucun droit à réparation du seul fait de l'annulation du permis de construire pour des motifs purement objectifs, aucune limitation substantielle du droit au recours puisque le texte ne ferme nullement la possibilité d'agir, qu'il ne s'agit quoiqu'il en soit pas de limiter le droit à action formé contre un abus qui serait commis, et enfin que le recentrage des dispositions de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme sur les zones qui nécessitent le plus de protection n'est pas contraire à la charte de l'environnement, bien au contraire ;

Le ministère public n'a pas fait connaître son avis ;

À l'audience du 16 mai 2017, les parties ont été avisées que l'affaire était mise en délibéré au 13 juin 2017 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct et motivé.

La demande est donc recevable en la forme.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Conformément à l’article 23-2 de l'ordonnance précitée, il ressort de la procédure que :

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure.

En effet, les demanderesses sollicitent, au fond, sur le fondement de la disposition critiquée, exclusivement la démolition de la construction réalisée pat les époux [C] en application de deux permis de construire successifs dont la suspension puis annulation a été prononcée de manière définitive par la juridiction administrative, étant précisé que Monsieur [C] est le maire de la commune ayant délivré le permis.

- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel

- la demande de question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En effet, la loi du 6 août 2015 a sensiblement diminué le champ d'application du texte de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme qui permet seul de demander, dans un certain délai, au juge judiciaire, la démolition d'une construction édifiée en application d'un permis de construire annulé.

Il est soulevé le fait que cette limitation serait contraire au principe de responsabilité pour faute constitutionnellement garanti en application de l'article 4 de la DDHC qui dispose que “la liberté consiste à pouvoir faire fout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi”.

Il résulte de cette disposition qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Il est argué par les demanderesses que la limitation apportée par la loi du 6 août 2015 implique qu'une personne ayant édifié une construction en contravention avec des règles d'urbanisme, et donc potentiellement commis une faute, contravention ayant abouti à l'annulation du permis de construire, ne pourrait être pleinement reconnue responsable en ce que les victimes de cette contravention ne pourraient obtenir une réparation juste de leur préjudice puisqu'elles ne peuvent plus obtenir, dans de nombreuses zones du territoire, la démolition de l'ouvrage alors même que leur préjudice résulte de la simple présence de cette construction.

Elles considèrent que cette limitation est excessive, ce qui n'est pas, eu égard aux principes sus- énoncés, manifestement dépourvu de sérieux.

Il est par ailleurs soulevé le fait que ces limitations seraient également contraires à l'article 4 de la charte de l'environnement, qui dispose que “or personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à À ‘environnement, dans les conditions définies par la loi", en ce que l'environnement serait insuffisamment protégé. En effet, la loi liste de manière limitative les zones dans lesquelles la démolition des constructions peut être demandée or, quelle que soit la zone du territoire, elles indiquent qu’une construction subsistant en contravention avec les règles de l'urbanisme peut causer un important dommage à l'environnement, ce qui, là encore n'est pas dépourvu de caractère sérieux.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

Les dispositions de l'article L. 480-13, 1° du code de l'urbanisme, dans leur version issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances portent-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et l'article 4 de la charte de l'environnement »

Sur Les autres demandes :

Conformément à l’article 23-3 de ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 précitée, il ressort que la conformité ou non des dispositions critiquées aura une incidence directe sur la solution du litige puisqu'il est constant que la demande de démolition est exclusivement fondée sur le texte critiqué et que les demanderesses conviennent que, depuis la modification de l'article L. 480-13 par la loi du 6 août 2015, elles ne remplissent plus les conditions nécessaires à son application.

Il convient donc de surseoir à statuer sur les demandes au fond des parties.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire, non susceptible de recours ;

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

Les dispositions de l’article L. 480-13, 1° du code de l'urbanisme, dans leur version issue de 12 loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances portent-t- elle atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et l'article 4 de la charte de l'environnement ?

Rappelle que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions présentées, par un écrit distinct et motivé, des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Rappelle que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Sursoit à statuer sut les demandes des parties ;

Dit que l'affaire sera rappelée à audience du mardi 06 février 2018 à 09h30 ;

Réserve les dépens.

En foi de quoi, le présent jugement à été signé par le Président et le Greffier,

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT