Cour d'Appel de Bourges

Arrêt du 1er juin 2017 n° 17/AP/30

01/06/2017

Renvoi

ARRET N° 17/AP/30

DU 01 JUIN 2017

Notifié au condamné par courrier le 02/06//17

Notifié au PG le 02/06/17

Notifié à l’avocat par fax le 02/06/17

expédition SPIP et JAP le 02/06/17 par fax

COURS D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE DE L'APPLICATION DES PEINES

ARRÊT

Prononcé en Chambre du Conseil le JEUDI 01 JUIN 2017, par la Chambre de l’ Application des Peines,

Sur appel de deux jugements du Juge de l’Application des peines de NEVERS du 20 OCTOBRE 2016.

PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :

[C B]

né le [DateNaissance 1] 1993 à [LOCALITE 2] ([...]) de [F] et de [C E]

de nationalité française, célibataire, demeurant [adresse 3] [LOCALITE 4]

libre

Appelant,

Comparant et assisté de Maître JAMET Stéphanie substituant Ma BANGOURA Eugène, avocats du barreau de BOURGES

LE MINISTÈRE PUBLIC

non appelant

COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :

Président :

Monsieur PIGNOUX, délégué à l’application des peines désigné dans les conditions fixées par les dispositions de l’article D 49-8 du code de procédure pénale

Conseillers :

Monsieur GUIRAUD,

Madame MERLET

***

GRÉFFIER, lors des débats : Madame FOUGERE

GREFFIER, lors du prononcé de l'arrêt : Madame JENNEVE

*** MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats par Monsieur MAUGUIN, Substitut Général et au prononcé de l’arrêt par Madame VIRET, Substitut Général,

***

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

A l'audience en Chambre du Conseil du 15 février 2017, l’affaire a été renvoyée à l'audience du 17/05/2017 à 10H15 ;

A l'audience en Chambre du Conseil du 17 mai 2017, le Président a constaté la présence de Monsieur [C B] ;

Ont été entendus :

Monsieur le Président PIGNOUX en son rapport sur les deux dossiers dont appel ; Maître JAMET indique d'emblée à la Cour déposer pour les deux dossiers des conclusions aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et développe son argumentation ;

Monsieur l'Avocat Général, en ses réquisitions, sur la QPC ;

Maître JAMET en réponse ;

Le Président indique que la Cour peut également étudier le fond de l’affaire ; Personne ne s’y oppose,

Monsieur [B C] en ses explications ;

Maître JAMET en sa plaidoirie sur le fond ;

Monsieur l'Avocat Général, en ses réquisitions sur le fond ;

Maître JAMET ayant eu la parole en dernier ;

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 01 juin 2017 à 14H00.

LA COUR, à l'audience ainsi fixée, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit qui a été prononcé par Monsieur PIGNOUX :

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LES DÉCISIONS :

Par jugement en date du 20 octobre 2016 le Juge de l’ Application des peines de NEVERS a :

- révoqué partiellement, à hauteur de 4 mois, Le sursis avec mise à l’épreuve prononcé par arrêt de la cour d’appel de Bourges le 25 juin 2015 - 8 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 2 ans ;

- ordonné l'exécution de la peine de 4 mois d'emprisonnement correspondant.

Par jugement en date du 20 octobre 2016 le Juge de l’Application des peines de NEVERS a :

- révoqué partiellement, à hauteur d’un an, le sursis avec mise à l’épreuve prononcé par arrêt de la cour d’appel de Bourges le 09 octobre 2014 - 18 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 2 ans;

- ordonné l’exécution de la peine d’un an d'emprisonnement correspondant.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

- Monsieur [C B], le 25 octobre 2016 (appel principal N°2016/33) contre le jugement révoquant 4 mois de sursis avec mise à l'épreuve ;

- Monsieur [C B], le 25 octobre 2016 (appel principal N°2016/32) contre le jugement révoquant 1 an de sursis avec mise à l’épreuve ;

Exposé

Par arrêt en date du 9 octobre 2014, la cour d'appel de Bourges confirmait un jugement du 18 février 2014 du tribunal correctionnel de Nevers qui déclarait Monsieur [B C] coupable de violence suivie d'incapacité supérieure à 8 jours et le condamnait à dix-huit mois d'emprisonnement assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans comportant l'obligation d'exercer une activité professionnelle ou de suivre un enseignement ou une formation professionnelle, d'établir sa résidence en un lieu déterminé, de réparer les dommages causés par l'infraction, en l'espèce indemniser les victimes, [B C] ayant également été condamné, solidairement avec [F C], par jugement en date du 27 février 2014 du tribunal correctionnel de Nevers statuant en matière d'intérêts civils, à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie du Maine et Loire la somme de 80 696,54 €.

Alors que la fin delà mesure était fixée au 16 février 2017, après s'être saisi d'office de la situation de [B C], le juge d'application des peines de Nevers, par jugement en date du 20 octobre 2016, en sanction de manquements de [B C] à ses obligations probatoires, révoquait partiellement le sursis avec mise à l'épreuve à hauteur d'un an et ordonnait l'exécution de la peine d'un an d'emprisonnement correspondant.

[B C] interjetait appel du jugement.

Par arrêt en date du 25 juin 2015, la cour d'appel de Bourges confirmait un jugement du 13 mars 2015 du tribunal correctionnel de Nevers qui déclarait Monsieur [B C] coupable d'exécution d'un travail dissimulé et de blanchiment (aide à la justification mensongère de l'origine des biens ou revenus de l'auteur d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans), et le condamnait à huit mois d'emprisonnement assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans comportant l'obligation d'exercer une activité professionnelle ou de suivre un enseignement ou une formation professionnelle.

Alors que la fin de la mesure était fixée au 30 juin 2017, après s'être saisi d'office de la situation de [B C], le juge d'application des peines de Nevers, par jugement en date du 20 octobre 2016, en sanction de manquements de [B C] à ses obligations probatoires, révoquait partiellement le sursis avec mise à l'épreuve à hauteur de quatre mois et ordonnait l'exécution de la peine de quatre mois d'emprisonnement correspondant.

[B C] interjetait appel du jugement. Pour chacun de ces deux dossiers inscrits au rôle de la chambre de l'application des peines le 15 février 2017, Maître Eugène Bangoura, intervenant au soutien des intérêts de [B C], sollicitait un report aux fins de formaliser une question prioritaire de constitutionnalité.

L'examen des deux dossiers d'appel étaient renvoyés au 17 mai 2017.

*

Les deux dossiers ont été évoqués conjointement devant la cour.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Les avocats de M. [C] mettent en cause la conformité aux principes de valeur constitutionnelle de la séparation des organes de poursuite et de jugement et d'impartialité de la juridiction des deux saisines d'office du juge de l'application des peines de Nevers ayant, dans l’un et l’autre cas, abouti à la révocation partielle du sursis avec mise à l'épreuve dont bénéficiait [B C].

Maître Stéphanie Jamet, loco Maître Eugène Bangoura, soutient les conclusions de ce dernier, enregistrées au greffe le 12 mai 2017, aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée : « La saisine d'office par le juge de l'application des peines, en application de l'article 712-4 du code de procédure pénale, y compris pour prononcer des mesures défavorables au condamné, est-elle conforme à la Constitution, alors même que cette faculté est susceptible d'être contraire au principe général de la séparation des organes de poursuite et de jugement et au principe d'impartialité de la juridiction ? »

Le Ministère public, qui se prononce pour le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité, fait observer que la loi n°2014-986 du 15 août 2014 d'où procède l'article 712-4 du code de procédure pénale a été soumise au Conseil constitutionnel et que la Cour de cassation, dans un arrêt de la chambre criminelle en date du 11 juin 2011 qu'il verse aux débats, a considéré qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au conseil constitutionnel, comme ne présentant pas un caractère sérieux, la question prioritaire de constitutionnalité suivante transmise par un jugement du juge de l'application des peines de Lille: « L'article 742 du code de procédure pénale porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les principes constitutionnels d'impartialité, de séparation des autorités d'instruction et de poursuite, de séparation des autorités de poursuite et de jugement ? ».

Au fond

Contestant s'être soustrait à ses obligations, [B C] prétend qu'il n'aurait pas reçu certains courriers, soutient qu'il a fait parvenir au Service pénitentiaire d'insertion et de probation un justificatif concernant son emploi, et indique qu'il occupe un emploi depuis plusieurs mois.

Maître Stéphanie Jamet fait valoir que la situation de [B C] a évolué depuis les décisions du juge de l'application des peines déférées et que la confirmation de ces décisions mettrait à mal le travail d'insertion effectué. Elle justifie du contrat de travail à durée indéterminée dont son client est titulaire depuis le 4 janvier 2017, M. [C] étant employé en tant que Chef d'équipe — maçon pour une rémunération mensuelle brute de 2846,89 €, ainsi que d'une domiciliation à [LOCALITE 5] ([...]). Elle demande en conséquence l'infirmation des jugements déférés.

Le Ministère public prend acte de l'élément positif que constitue l'emploi de M. [C], mais relève l'absence de paiement en réparation du dommage causé par l'une des infractions sanctionnées.

SUR QUOI, LA COUR :

Vu les conclusions de Maître Eugène Bangoura aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, et pièces jointes, enregistrées au greffe Le 12 mai 2017 ;

Attendu qu'il convient, pour une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des deux dossiers ;

Attendu que dans chacune des procédures soumises à la Cour, l'appel de Monsieur [B C], régulier en la forme, est recevable ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Attendu que Maître Eugène Bangoura relève dans ses écritures que chacun des | jugements déférés est revêtu du visa suivant : « Vu notre saisine d'office en révocation | du sursis avec mise à l'épreuve matérialisée par la convocation au débat contradictoire | adressée à Monsieur [B C] le 21 septembre 2016 » ; que le juge d'application des peines a ainsi fait application des dispositions de l'article 712-4 du code de | procédure pénale lequel prévoit que « Les mesures relevant de la compétence du juge | de l'application des peines sont accordées, modifiées, ajournées, refusées, retirées ou | révoquées par ordonnance ou jugement motivé de ce magistrat agissant d ‘office, sur la demande du condamné ou sur réquisitions du procureur de la République, selon les distinctions prévues aux articles suivants. »

Attendu que la disposition contestée, en l'espèce la saisine d'office du juge de l'application des peines en vertu de l'article 712-4 du code de procédure pénale, est bien applicable à la procédure suivie contre Monsieur [B C] en révocation partielle | de deux sursis avec mise à l'épreuve dont il bénéficiait ;

Que si la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 qui a créé l’article 712-4 du code de procédure pénale a été soumise en son temps au contrôle préalable du Conseil constitutionnel, la disposition contestée n'a pas été déclarée conforme à la constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Attendu que par arrêt en date du 8 juin 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu'il n'y avait lieu de renvoyer devant le Conseil constitutionnel, comme ne présentant pas un caractère sérieux, la question suivante :

« L'article 742 du code de procédure pénale porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les principes constitutionnels d'impartialité, de séparation des autorités d'instruction et de poursuite, de séparation des autorités de poursuite et de jugement ? » ;

Que le dit arrêt en date du 8 juin 2011 retient que les dispositions de l'article 712-6 du code de procédure pénale prévoit l'organisation, après avoir recueilli l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire, d'un débat contradictoire, préalable à la décision du juge de l’application des peines, au cours duquel celui-ci entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné et, le cas échéant celles de son avocat, que la décision de procéder à ce débat ne préjugeant pas de la révocation totale ou partielle du sursis avec mise à l'épreuve, elle n'affecterait pas l'impartialité du juge ;

Attendu que la portée de l'article 712-4 du code de procédure pénale (relatif aux compétences du juge de l'application des peines) mis en cause dans la présente affaire, qui renvoie à l'article 712-6 susmentionné, est équivalente à celle de l'article 742 (relative au sursis avec mise à l'épreuve) ; qu'ainsi la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 juin 2011 apparaît opposable à [a question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans Le cadre de la présente affaire ;

Attendu cependant qu'à l'occasion de plusieurs décisions postérieures à l'arrêt du 8 juin 2011 de la chambre criminelle de la Cour de cassation sus-rappelé, le Conseil constitutionnel a affirmé que Le principe d'impartialité, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles, qui procède de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et en vertu duquel une juridiction ne saurait disposer de la faculté d'introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée, a un caractère général et absolu lorsque la procédure a pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère d'une punition ; [ cf Décisions n 2013-352 QPC du 15 novembre 2013, n°2013-368 QPC et n°2013-372 QPC du 7 mars 2014, | n°2014-399 QPC du 6 juin 2014, n°2014-438 QPC du 16 janvier 2015 et2016-548 OPC | du 1er juillet 2016]

Attendu d'autre part qu'il convient de constater, ainsi que l'a soulevé l'avocat de Monsieur [B C] dans la présente affaire, que dans sa décision n° 2014-696 DC  du 7 août 2014, le Conseil constitutionnel, auquel était soumis l'examen de la conformité de la procédure de contrainte pénale au principe d'impartialité des juridictions, a déclaré  conforme à la constitution le mécanisme par lequel l'emprisonnement du condamné, en cas d'inobservation des obligations ou interdictions qui lui ont été fixées, peut être partiellement ou totalement mis à exécution, dés lors que sont définies les compétences respectives de la juridiction de jugement, du juge de l'application des peines, et du président du tribunal ou son délégué, eux-mêmes saisis par le juge d'application des peines, et devant lesquels a lieu un débat contradictoire préalable à la décision de mise à exécution éventuelle de l'emprisonnement ;

Attendu que le sursis avec mise à l'épreuve, qui a pour objet commun avec la contrainte | pénale le prononcé de sanctions ayant le caractère d'une punition, selon un mécanisme | judiciaire très comparable, ne bénéficie cependant pas en l'état de la même plénitude de garantie d'application des principes d'impartialité et de séparation des autorités de poursuite et de jugement que la contrainte pénale ; qu'il apparaît dès lors utile de soumettre au conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par l'avocat de Monsieur [B C] qui n'apparaît pas dépourvue de caractère sérieux, tant au regard de l'exigence constante du Conseil constitutionnel en la matière que de la différence qui apparaît entre deux instruments à la fois de répression pénale et de réinsertion sociale ;

Attendu qu'en conséquence de ce qui précède la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Maître Eugène Bangoura sera transmise à la cour de Cassation ;

Au fond

Attendu que les appels interjetés par Monsieur [B C] de deux décisions révoquant partiellement deux sursis avec mise à l'épreuve dont il bénéficie donnent lieu à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, qu'il y a lieu en conséquence de surseoir à statuer au fond ;

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE DE L’APPLICATION DES PEINES, statuant en Chambre du Conseil, après en avoir délibéré, par décision non susceptible de recours ;

Ordonne la jonction des dossiers n°16/556 et n°'16/557. Déclare les appels de Monsieur [B C] recevables.

Avant dire droit, transmet à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« La saisine d'office par le juge de l'application des peines, en application de l'article 712-4 du code de procédure pénale, y compris pour prononcer des mesures défavorables au condamné, est-elle conforme à la Constitution, alors même que cette faculté est susceptible d'être contraire au principe général de la séparation des organes de poursuite et de jugement et au principe d'impartialité de la juridiction ? »

Sursoit à statuer jusqu'à la réponse qui sera apportée à ladite question prioritaire de constitutionnalité,

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public et celles des autres parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

Et ont signé le Président et le Greffier,