Tribunal d'instance de Paris 15ème

Jugement du 30 mai 2017 n° 11-16-811

30/05/2017

Renvoi

TRIBUNAL D’ INSTANCE

154, rue Lecourbe

16, rue Péclet

75015 PARIS

: 01.53.68.77.80

RGN° 11-16-811 Minute : JUGEMENT Du: 30/05/2017 La société SNCTOUR EIFFEL C/

Le Syndicat des salariés des Hôtels de Prestige et autres Expédition :

- à la Cour de Cassation

- au Ministère Publique

- aux parties

- aux avocats

- le : 30/5/2017 JUGEMENT

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Après débats à l'audience du 24 avril 2017 devant Anne TOULEMONT, Juge d'Instance et Brigitte FUTTERSACK, Greffier, le jugement suivant a été rendu :

ENTRE:

DEMANDEUR :

La société SNCTOUR EIFFEL

2 rue de la Mare Neuve à EVRY COURCOURONNES (91000)

Exploitant l'hôtel PULLMAN PARIS TOUR EIFFEL

situé 18 avenue de Suffren à PARIS (75015)

représentée par Me D’ALEMAN Jean, avocat au barreau de PARIS

ET:

DÉFENDEURS:

Le Syndicat des salariés des Hôtels de Prestige Economique (CGT-HPE)

3, place du Général Koemig, 75017 PARIS,

représenté par Monsieur [O P], muni d’un mandat écrit

Monsieur [Q R]

chez [H I]

[adresse 1],

non comparant

Madame [G B D]

[adresse 2],

non comparante

Madame [E F G]

[adresse 3], [LOCALITE 4],

non comparante

Madame [J K]

[adresse 5]

non comparante

Madame [L M] née [S]

[adresse 6], [LOCALITE 7],

comparante en personne

La Société Action Simplifiée STN GROUPE

Parc des Reflets bat J 165

avenue du Bois de la Pie, 95700 ROISSY EN FRANCE,

représentée par Me FELDMAN Jean-Philippe, avocat au barreau de PARIS

Le Syndicat CFDT Hôtellerie Tourisme Restauration Île de France

85 rue Charlot, 75003 PARIS,

non comparant

Le Syndicat FGTA-FO

7 passage Tenaille, 75680 PARIS CEDEX 14,

non comparant

Le Syndicat INOVA CFE CGC

59-63 rue du Rocher, 75008 PARIS,

représenté par Me PESCHAUD Antoine, avocat au barreau de PARIS

EXPOSE DU LITIGE Par requête reçue au Greffe de ce Tribunal en date du 29 septembre 2016 , le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES a demandé à voir convoquer :

*La SNC TOUR EIFFEL,

*La SAS STN GROUPE,

*Le syndicat CFDT HOTELLERIE TOURISME RESTAURATION,

*Le syndicat FGTA-FO,

*Le syndicat INOVA CFE-CGC, et ce afin de voir :

- faire respecter les dispositions du protocole d’accord préélectoral du 5 février 2016 sous astreinte de 1.000,00 € par irrégularités constatées, le Tribunal se réservant la liquidation,

- déclarer éligibles aux élections de la délégation unique du personnel les travailleurs mis à disposition du PULLMAN PARIS TOUR EIFFEL, qui sont présents dans les locaux, et qui y travaillent depuis au moins 24 mois continus, à condition d’avoir exprimé leur choix de voter au sein de PULLMAN PARIS TOUR EIFFEL conformément à l’article L. 2314-18-1 du code du travail, y ajoutant, par mémoire distinct, le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité de l’article L. 2326-2 du code du travail aux dispositions de la constitution de 1946 et plus particulièrement au 8™e alinéa de son préambule édictant que “ Tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu 'à la gestion des entreprises”.

Par requête du 13 octobre 2016, la SNC TOUR EIFFEL a demandé à voir convoquer le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES, Monsieur [Q R], Madame [G B D], Madame [E F G], Madame [N K], Madame [L M] afin de voir constater que Monsieur [Q R], Madame [G B D], Madame [E F G], Madame [N K], Madame [L M] sont inéligibles à la Délégation Unique du Personnel de la SNC TOUR EFFEIL.

Par jugement du 14 novembre 2016, le Tribunal d'Instance du 15éme arrondissement a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la question suivante, relative à la première affaire : « L'article L. 2326-2 du code du travail (rédaction issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015) porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par le 8ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, plus précisément, en ce qu’il créé une rupture d'égalité entre des salariés à ancienneté et intégration égales en fonction de l'entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition ? ».

Le Tribunal d'instance a ordonné un sursis à statuer sur la deuxième affaire.

La Cour de cassation a rendu un arrêt le 23 février 2017 déclarant irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité. La Cour de cassation, dans cet arrêt, souligne que le juge du fond a transmis une question qu'il a lui même reformulée. La Cour de cassation explique, toutefois, que le juge du fond ne peut pas modifier la question posée par la partie pour la rendre plus claire ou lui restituer son exacte qualification et ainsi en modifier la portée ou l'objet. De ce fait, elle écarte la formulation transmise par le juge du fond dans son jugement du 14 novembre 2016 et s’est référé à la formulation initiale transmise dans le mémoire distinct de la partie. Elle en conclut que la question, en ce qu'elle n'explicite pas en quoi l'article L. 1326-2 du code du travail porterait atteinte au principe constitutionnel qu'elle vise, ne lui permet pas d'en apprécier le sens et la portée et l'a, ainsi, déclaré irrecevable.

Par transmission d'un mémoire distinct et motivé reçu en date du 6 mars 2017, le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES a posé une nouvelle question à la Cour de cassation formulée de la façon suivante :

« L'article L2326-2 du code du Travail ( rédaction issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015) porte -t-il atteinte aux droits et libertés garantis par le 8ème alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, plus précisément en ce qu'il crée une rupture d'égalité entre les salariés à ancienneté et intégration égales en fonction de l'entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition ».

Par requête en date du 27 février 2017, la SNC TOUR EFFEIL a demandé la convocation des parties dans le cadre des deux affaires citées. Les deux affaires ont été appelées à l’audience du 24 avril 2017, après réception par l'ensemble des parties des conclusions du ministère public, datées du 13 avril 2017.

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

A titre liminaire, au cours de l'audience, Monsieur [O P], doté d'un pouvoir pour représenter le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUE, demande la jonction des dossiers 11.16.811 et 11.16.774, et indique que la question posée porte sur les deux dossiers, qui, de fait, traitent du même contentieux.

Le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES prétend que l’article L. 2326-2 du code du travail porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Il soutient que les dispositions contestées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, qu'elles sont applicables au litige et que la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Il rappelle, en outre, que :

- le 8éme alinéa du préambule de la Constitution garantit la participation par l'intermédiaire de ses délégués de tout travailleur à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ;

- l'article L2314-18-1 du code du Travail relatives aux dispositions permettant aux travailleurs mis à disposition d'être éligibles aux élections de délégués du personnel reste inchangé ;

- l'article L2326-1 du Code du travail permet aux employeurs, pour les entreprises de moins de 300 salariés, de décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES fait valoir que, selon ces dispositions, les règles électorales à appliquer pour les élections de la délégation unique du personnel (DUP) sont celles qui régissent les délégués du personnel, puisque la délégation unique du personnel n'est pas une institution nouvelle, les fonctions du Comité d'entreprise et du CHSCT étant conférées aux délégués du personnel. Or, il précise que l'article L.2326-2, dans sa rédaction, se réfère aux règles édictées pour le comité d'entreprise puisqu'il dispose que « La délégation unique du personnel est composée des représentants du personnel élus dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre IV du présent titre », cette section 2 du chapitre IV se rapportant aux règles relatives au comité d'entreprise, qui limitent l’éligibilité des salariés mis à disposition dans les entreprises utilisatrices ( article L2347-17-1).

Le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES en déduit que l'application de l'article L2326-2 du Code du travail dans les entreprises de plus de 50 salariés, dans lesquelles une délégation unique du personnel est constituée, interdit de fait l'application de l'article L2314-18-1 du même code qui autorise les salariés mis à disposition remplissant certaines conditions d'être élus comme délégués du personnel, puisque ces derniers ne peuvent pas être élus dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre IV du présent titre.

Le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES en conclut que cet article induit une inégalité de traitement des salariés mis à disposition dans leur représentation dans l'entreprise utilisatrice suivant sa taille. Le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES apporte, à l'appui de ses prétentions, deux arrêts de la Cour de cassation , du 5 décembre 2012 et du 24 septembre 2013 antérieurs à la loi n°2015-994 du 17 août 2015 de 2015 mais postérieurs à l'arrêt du 7 août 2008 fourni par la SNC TOUR EIFFEL dans ses écritures.

En conclusion, le syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES sollicite la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et un sursis à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

En réplique, par mémoire déposé, la SNC TOUR EIFFEL fait valoir que la question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas de caractère sérieux et qu'à ce titre, elle doit être rejetée.

A ce titre, elle soutient que :

- les dispositions légales fixant le principe de l'inéligibilité aux élections de Comité d'entreprise pour les salariés mis à disposition ont déjà été déclarées conformes à la Constitution, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 7 août 2008, ayant tranché la question de l’inéligibilité au comité d’entreprise des salariés mis à disposition, principe appliqué à la DUP qui ne peut, donc, être contesté.

- les principes fixés par la loi relative au dialogue social et à l'emploi du 17 août 2015 ne sont en contradiction avec aucune disposition constitutionnelle le droit constitutionnel de participer indirectement à la détermination des conditions de travail et à la gestion des entreprises est garanti aux salariés mis à disposition qui peuvent prendre part au vote des représentants du personnel, le droit constitutionnel garantissant le droit d'être électeur et non d'être éligible. De plus, les salariés mis à disposition peuvent être électeurs et éligibles aux élections de leurs entreprises d'origine.

- en tout état de cause, le principe d'égalité connaît des limites, le traitement différencié des situations différentes et la rupture d'égalité pour cause d’intérêt général.

En réplique, par lettre transmise le 19 avril 2017, la SAS STN GROUPE fait savoir qu’elle s’associe au mémoire de la SNC TOUR EIFFEL et sollicite le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité.

Le syndicat FGTA-FO, le syndicat INOVA CFE-CGC et le syndicat CFDT HOTELLERIE TOURISME RESTAURATION, bien que régulièrement convoqués par le Greffe de ce Tribunal, ne comparaissent pas au jour de l’audience ni ne se font représenter.

Monsieur [Q] et Madame [L], présents à l'audience, ne souhaitent pas prendre la parole.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au ministère public le 17 mars 2017 qui a fait connaître son avis le 13 avril 2017, avis transmis à l'ensemble des parties le 18 avril 2017, avant la tenue de l'audience.

Le ministère public soutient que :

- la question prioritaire de constitutionnalité est recevable en la forme pour avoir été déposée dans un mémoire distinct et motivé,

- la disposition contestée est applicable au litige,

- la question prioritaire de constitutionnalité est nouvelle pour ne jamais avoir été posée,

- la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux, l’article L. 2326-2 du code du travail ne viole pas le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le ministère public fait valoir que cet article vise à renforcer la confidentialité des informations échangées au sein des instances professionnelles et n'interdit nullement aux salariés mis à disposition de participer aux élections de la délégation unique du personnel en tant qu'électeur, l'inéligibilité visée à l'article L2324-17-1 du Code du travail ayant, par ailleurs, été déclarée conforme à la Constitution dans la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2008.

L’affaire a été mise en délibéré au 30 mai 2017

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur le moyen tiré de l’atteinte portée aux droits et libertés garantis par le 8ème alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 par la Constitution par l’article L. 2326-2 du code du travail

L’article L. 2326-2 du code du travail (rédaction issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015) dispose que « La délégation unique du personnel est composée des représentants du personnel élus dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre IV du présent titre ».

La section 2 du chapitre IV du Titre II comprend l’article L. 2324-17-1 qui dispose que les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 1111-2 peuvent être électeurs si leur présence dans l'entreprise utilisatrice est de douze mois continus mais que les salariés mis à disposition ne sont pas éligibles dans l'entreprise utilisatrice ; et que les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions mentionnées au premier alinéa choisissent s'ils exercent leur droit de vote dans l'entreprise qui les emploie ou l'entreprise utilisatrice.

a) Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l’audience dans un écrit distinct des autres observations de syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES, et motivé.

Il est donc recevable.

b) Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

L’article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

- sur le premier point :

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu’elle concerne l’interdiction pour les salariés mis à disposition d’être éligibles aux élections relatives à la DUP.

En l’espèce, la demande du syndicat CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES tend à déclarer éligibles aux élections de la délégation unique du personnel les travailleurs mis à disposition du PULLMAN PARIS TOUR EIFFEL, qui sont présents dans les locaux, et qui y travaillent depuis au moins 24 mois continus, à condition d’avoir exprimé leur choix de voter au sein de PULLMAN PARIS TOUR EIFFEL conformément à l’article L. 2314-18-1 du code du travail.

Tant les autres parties que le ministère public ne contestent, d'ailleurs, pas ce point.

- sur le deuxième point

La question prioritaire de constitutionnalité n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Tant les autres parties que le ministère public ne contestent, d'ailleurs, pas ce point.

- sur le troisième point

La question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En effet, le 8ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que “tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises."

Il convient de relever, d'une part, que l’article L. 2326-1 du code du travail dispose que, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, l'employeur peut décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il prend cette décision après avoir consulté les délégués du personnel et, s'ils existent, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Le choix de créer une DUP relève, ainsi, d'une décision discrétionnaire et unilatérale de l’employeur dans les entreprises de moins de 300 salariés. La DUP peut également être mise en place dans les entreprises de plus de 300 salariés par accord collectif.

Il convient de constater, d'autre part, que l’article 1. 2314-18-1 du code du travail prévoit que, dans le cadre de l'élection des délégués du personnel, pour les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions mentionnées au 2° de l'article L.llll-2, la condition de présence dans l’entreprise utilisatrice est de douze mois continus pour être électeur et de vingt-quatre mois continus pour être éligible. Les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions mentionnées au premier alinéa choisissent s'ils exercent leur droit de vote et de candidature dans l'entreprise qui les emploie ou au sein de l'entreprise utilisatrice.

Dans le cas d'espèce, les dispositions contestées interdisent à des salariés mis à disposition de se présenter aux élections de la DUP aux motifs que cette institution regroupe les délégués du personnel, les membres du CE et les membres du CHSCT.

Il est rappelé que, dans l'arrêt du 7 août 2008, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le cas des salariés mis à disposition au regard du 8ème alinéa de la Constitution de 1946 en validant la situation conduisant à déclarer les salariés mis à disposition éligibles dans l'entreprise utilisatrice aux élections des délégués du personnel mais inéligibles aux élections des membres du Comité d'entreprise.

Cependant et, contrairement à ce qu'avance la SNC TOUR EIFFEL, dans ses écritures, cette position du Conseil constitutionnel ne trouve pas à s'appliquer, dans le cas d'espèce.

Comme l'a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 décembre 2012, cité par CGT HOTELS DE PRESTIGE ET ECONOMIQUES dans ses écritures et postérieur à la décision du Conseil constitutionnel précédemment mentionnée : « Qu'il en résulte que les travailleurs mis à disposition d'une entreprise, qui remplissent les conditions fixées par l'article L. 2314-18-1 du code du travail pour être éligibles en qualité de délégué du personnel peuvent, à ce titre, en l'absence de dispositions légales y faisant obstacle, être candidats à la délégation unique du personnel ».

Le conseil constitutionnel dans son arrêt du 7 août 2008 dispose que « considérant en second lieu que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que dans l'un et dans l'autre cas la différence de traitement soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

Mais, il ressort de l'ensemble de ces éléments qu’en fonction de l’entreprise dans laquelle seront mis à disposition les salariés, à condition d’ancienneté égale, c'est à dire 24 mois, donc dans le cadre d'une situation identique, certains auront le droit ou non de se présenter et d’être élus ou non en qualité de délégué du personnel, possibilité qu'ils tiennent, par ailleurs de l'article L.2314-18-1, tel que cela ressort de l'arrêt de la cour de cassation précité, alors que d’autres ne pourront que voter alors qu’ils sont pareillement intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail.

De ce fait, cette interdiction faite pour les salariés mis à disposition depuis plus de 24 mois de se présenter aux élections de la DUP créé une rupture d’égalité contraire à la Constitution, cette rupture d’égalité, étant, par ailleurs, accentuée par le choix discrétionnaire de l’employeur d’une entreprise de 50 à 299 salariés de recourir ou non à la DUP, ce choix pouvant servir à éviter le pluralisme syndical.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

L’article L. 2326-2 du code du travail (rédaction issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015) porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par le 8im' alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, plus précisément, en ce qu’il créé une rupture d’égalité entre des salariés à ancienneté et intégration égales en fonction de l’entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition ?

2) Sur les autres demandes des parties et les dépens

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu’une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties.

PAR CES MOTIFS:

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

L’article L. 2326-2 du code du travail (rédaction issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015) porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par le 8èrae alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, plus précisément, en ce qu’il créé une rupture d’égalité entre des salariés à ancienneté et intégration égales en fonction de l’entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition ?

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité remis à l’audience du 24 avril 2017,

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties,

DIT que l’affaire sera rappelée à l’audience du lundi 29 janvier 2018 à 14h si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l’audience du lundi 9 octobre 2017 à lOh dans le cas contraire,

DIT que la notification du présent jugement vaut convocation des parties aux. audiences sus-indiquées,

Ainsi jugé à l’audience de ce jour, et nous avons signé, avec le greffier.

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT