Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Sarthe (Régime agricole)

Jugement du 26 avril 2017

26/04/2017

Renvoi

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE LA SARTHE

Cité Judiciaire 1 avenue Mendès France 72014 LE MANS CEDEX 2

Recours n° 25 085

DECISION SUR UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Nous, Madame Nadège BOSSARD, Présidente du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du MANS,

Assistée de Madame Christine JARDIN, Secrétaire,

DEMANDEUR :

Société VALEO SYSTEMES DE CONTROLE MOTEUR

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

représentée par Maître ANGOTTI, Avocat au Barreau de PARIS

DEFENDEUR :

URSSAF [LOCALITE 3] venant aux droits de l’URSSAF [LOCALITE 4]

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

Représentée par Madame [E], Chargée d’Affaires Juridiques, suivant pouvoir.

Le Tribunal, après avoir entendu à l’audience du 29 mars 2017 chacune des parties en ses dires et explications, après les avoir informées que le Jugement était mis en délibéré et qu’il serait rendu le 26 avril 2017,

Ce jourd’hui, 26 avril 2017, prononçant son délibéré par mise en disposition au Secrétariat, Le 13 janvier 2016, la Société VALEO SYSTEMES DE CONTROLE MOTEUR a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Sarthe (TASS) d’un recours contre la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de l’UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D’ALLOCATIONS FAMILIALES [LOCALITE 7] (URSSAF), saisie par elle en contestation de la décision en date du 18 août 2015 de l’URSSAF [LOCALITE 8] refusant le remboursement des cotisations FNAL versées par son établissement de [LOCALITE 9] sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013.

L’affaire a été appelée à l’audience du 29 mars 2017.

La Société VALEO SYSTEMES DE CONTROLE MOTEUR a soulevé par mémoire distinct reçu le 13 janvier 2017, amendé le 14 mars 2017,-une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants : “ les dispositions de l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale - dans ses versions issues des lois n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 (article 135) et n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 (article 209), applicables avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 - ne méconnaissent-elles pas les exigences de compétence législative et le principe constitutionnel de clarté et de précision de la loi garanties par l’article 34 de la Constitution de 1958, et à ce titre ne portent-elles pas atteinte au droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, au principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et l’article 34 de la Constitution de 1958, et à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité devant la loi garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?”

Elle a soutenu que la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale dans ses versions issues des lois n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 (article 135) et n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 (article 209) était en lien avec le litige en cours et que cette disposition législative dans ses rédactions critiquées n’avait pas fait l’objet d’une déclaration de constitutionnalité.

La société a également fait valoir que la question posée n’était pas dépourvue de sérieux en ce que la disposition législative critiquée était entachée du même vice que celle censurée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision DC n°2014-706 à savoir qu’elle renvoie au pouvoir règlementaire le soin de fixer le taux, l’assiette et les modalités de recouvrement de la cotisation FNAL ce qui affecte, d’une part, le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 en ce que le texte se limite à renvoyer pour les modalités de son recouvrement aux règles applicables en matière de sécurité sociale sans préciser s’il s’agissait des règles applicables aux cotisations de sécurité sociale, et affecte, d’autre part, le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et l’article 34 de la Constitution de 1958, et la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité devant la loi garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, droits et libertés garantis par la Constitution en ce que la disposition législative critiquée institue une différence de traitement entre les employeurs du régime agricole et les autres et les entreprises d’au moins 20 salariés et les autres, distinction non justifiée par une différence de situation dès lors que ces entreprises n’ont pas une moindre capacité contributive ni par le but de la loi qui est de financer un fonds public d’intervention. L'URSS AF [LOCALITE 10] a produit un mémoire par lequel elle demande, à titre principal, de déclarer irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité au motif que la décision n° 2014-706 du Conseil Constitutionnel du 18 décembre 2014 a précisé que la déclaration d’inconstitutionnalité du 7°du paragraphe I l’article 2 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 avait pour effet de maintenir en vigueur la rédaction de l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale résultant de l’article 209 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011. Elle a considéré que l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du Conseil Constitutionnel devait conduire à ne pas accueillir la question prioritaire de constitutionnalité. Elle a souligné que la déclaration de non conformité à la Constitution prononcée par la décision du 29 décembre 2014 n’était fondée que sur l’article 34 de la Constitution sans qu’il ait été fait mention de la moindre atteinte portée à un droit ou une liberté garantis par la Constitution. Elle a considéré que le Conseil Constitutionnel entendait valider, d’une part, l’absence d’atteinte à un droit ou une liberté garantis par la Constitution, d’autre part, l’article 834-1 du code de la sécurité sociale dans sa version issue de la loi de finances pour 2011. Elle a relevé que la Cour de Cassation avait par arrêts en date des 7 juillet 2016 et 8. septembre 2016 refusé de transmettre des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’article 834-1 du code de la sécurité sociale dans sa version issue de la loi de finances pour 2011 en ce que les questions posées relatives à l’atteinte au droit à un recours effectif et à l’atteinte au droit de propriété ne portaient pas sur l’interprétation de dispositions constitutionnelles dont le Conseil Constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application et n’étaient pas nouvelles. Elle en a conclu que la Cour de Cassation avait considéré que le Conseil Constitutionnel avait implicitement reconnu que l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale dans ses rédactions contestées ne violait pas les droits ou libertés garantis par la constitution.

Elle a fait valoir que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne pouvait être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Elle en a déduit que pour être recevable la question prioritaire de constitutionnalité doit mettre en cause une disposition législative et le faire au motif que cette décision viole une disposition, une règle ou un principe à valeur constitutionnelle. Elle a également fait valoir que selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ne pouvait être invoqué que de manière indirecte dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité car il n’est pas au nombre des droits et libertés invocables au soutien d’une telle question.

L’URSSAF a considéré que l’atteinte à un recours effectif invoqué par la Société VALEO SYSTEMES DE CONTROLE MOTEUR n’était pas opérante en ce que le recours engagé par celle-ci devant le TASS de la Sarthe démontrait qu’elle disposait d’un recours effectif et a souligné que cette question n’était pas nouvelle pour avoir fait l’objet d’un arrêt de la Cour de Cassation le 7 juillet 2016.

Elle a rappelé que, selon la décision n° 96-380 du Conseil Constitutionnel, l’atteinte invoquée au principe d’égalité devant les charges publiques ne s’opposait pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit.

L’URSSAF a considéré que si l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale dans ses rédactions issues du 7) du paragraphe I de l’article 2 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 et l’article 12 de la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2015 a été déclaré contraire à la Constitution en ce qu’il renvoyait au pouvoir règlementaire la fixation des taux de cotisations FNAL sans prévoir aucun encadrement ni élément de référence pour la détermination de ces taux, en revanche, l’article L 834-1 dans ses versions issues des lois n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 (article 135) et n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 (article 209) encadre le taux de cotisation.

Elle a ajouté que la question prioritaire de constitutionnalité portait atteinte par ricochet aux droits des bénéficiaires des aides au logement, que les cotisations régies par l’article L 834-1 contesté financent.

Le Procureur de la République a émis un avis favorable à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité présentée.

SUR CE

En vertu de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office.

L’article 23-2 de ladite ordonnance dispose que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1°) La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2°) Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3°) La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Selon l’article 126-2 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé, y compris à l'occasion d'un recours contre une décision réglant tout ou partie du litige dans une instance ayant donné lieu à un refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.

Le juge doit relever d'office l'irrecevabilité du moyen qui n’est pas présenté dans un écrit distinct et motivé.

Les autres observations des parties sur la question prioritaire de constitutionnalité doivent, si elles sont présentées par écrit, être contenues dans un écrit distinct et motivé. A défaut, elles ne peuvent être jointes à la décision transmettant la question à la Cour de Cassation.

L’article 126-5 dispose que le juge n'est pas tenu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont la Cour de Cassation ou le Conseil Constitutionnel est déjà saisi.

En l’espèce, la disposition législative édictée par l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale est applicable au litige portant sur une demande de remboursement des sommes versées au titre des cotisations et contributions régies par cet article.

Les dispositions de l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale dans ses rédactions issues des lois n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 (article 135) et n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 (article 209) n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel.

La Cour de Cassation a déjà été saisie de questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’article L 834-1 et a rendu les 10 mars 2016, 7 juillet et 8 septembre 2016 des arrêts déclarant irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité tirée de la violation de l’article 34 de la Constitution et a dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel les autres questions qui lui étaient soumises en ce que la disposition législative de l’article L 834-1 ne porte par elle-même aucune atteinte au droit à un recours effectif découlant de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et est étrangère au droit de propriété énoncé aux articles 2 et 17 de la même Déclaration.

La question posée par la Société VALEO SYSTEMES DE CONTROLE MOTEUR ne vise pas isolément la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence édictée par l’article 34 de la Constitution, d’une part, et les droits et libertés garantis par la Constitution, d’autre part, mais soutient que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence affecte un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

Ces droits et libertés sont, en outre, différents de ceux visés par les précédentes questions prioritaires de constitutionnalités transmises.

Dès lors, dans la mesure où la méconnaissance des dispositions de l’article 34 de la Constitution n’est pas invoquée seule au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité mais en ce qu’elle affecte un droit ou une liberté que la Constitution garantit, en l’espèce, le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité devant la loi garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la question est recevable et n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence, il y a lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

PAR CES MOTIFS

Le Président du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Sarthe statuant publiquement, contradictoirement, par décision non susceptible de recours,

TRANSMET à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la Société VALEO SYSTEMES DE CONTROLE MOTEUR ainsi libellée :

“ Les dispositions de l’article L 834-1 du code de la sécurité sociale -dans ses versions issues des lois n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 (article 135) et n°<2010-1657 du 29 décembre 2010 (article 209), applicables avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 - -ne méconnaissent-elles pas les exigences de compétence législative et le principe constitutionnel de clarté et de précision de la loi garanties par l’article 34 de la Constitution de 1958, et à ce titre ne portent-elles pas atteinte au droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, au principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et l’article 34 de la Constitution de 1958, et à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité devant la loi garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?”,

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties,

DIT que les parties seront avisées de la présente décision conformément aux dispositions de l’article 126-7 du code de procédure civile.

Le présent jugement a été signé par Madame BOSSARD, Présidente et par Madame JARDIN, secrétaire présente lors du prononcé.

Le Secrétaire