Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche (Régime agricole)

Jugement du 25 avril 2017

25/04/2017

Renvoi

AFFAIRE [A-B C D E F G] -

CONTRE

M.S.A. [LOCALITE 1] -

DOSSIER N° 20160023

Question Prioritaire de Constitutionnalité

REPUBLIQUE FRANÇAISE

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TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE DE LA MANCHE

JUGEMENT DU 25 AVRIL 2017

Demandeur : [A-B C] - [LOCALITE 2] - [LOCALITE 3] - représenté par Maître Christine BAUGE ;

Défendeur : M.S.A. Côtes Normandes - 37 rue de Maltot - [LOCALITE 4] - représentée par Madame [J], dûment mandatée ;

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré :

Présidente :

Mme. Aude VERNET ; Juge au Tribunal de Grande Instance de Coutances, Présidente ;

Secrétaire : Marie Christine HUBERT ;

DEBATS

A l’audience publique du 21 mars 2017

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au Secrétariat le 25 avril 2017

Vu les convocations reconnues régulières adressées par la Secrétaire ;

Le Tribunal après avoir éclairé les parties sur leurs droits n’a pu les concilier ;

FAITS ET PROCEDURE

M. [A-B C] a exercé son activité agricole en 2013 et 2014 sous couvert de 2 sociétés :

- l'EARL [C] pour la production laitière, où ses revenus sont imposés selon le régime des bénéfices agricoles et soumis à cotisations sociales du régime agricole,

- l'EARL Ronde Touche en tant qu'associé unique pour la production de veaux gras, l'EARL ayant opté pour le paiement de l'impôt sur les sociétés.

M. [C] a contesté devant la Commission de recours amiable de la MSA l'appel de cotisations émis par la MSA [LOCALITE 5] date du 21 octobre 2014, rectifié le 28 novembre suivant. M. [C] conteste l'incorporation des dividendes perçus en juillet 2013 pour un montant de 30.000 Euros dans l'assiette de ses cotisations et contributions sociales pour l'année 2014.

La commission de recours amiable a rejeté le recours de l'intéressé le 20 juin 2016, raison pour laquelle M. [C] a saisi le Tribunal des Affaires de sécurité sociale de la MANCHE le 21 juillet suivant.

Par un courrier du 5 décembre 2016, il a transmis à la juridiction un mémoire par lequel il entendait soulever l'inconstitutionnalité de l'article L. 731-14 du Code Rural tel qu'issu de l'article 9 de la loi du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Le dossier a été appelé à l'audience du 21 mars 2017, première audience utile s'agissant du contentieux agricole. Le Ministère Public avait au préalable été rendu destinataire du mémoire déposé et avisé de la date d'audience.

Au cours de cette audience,

M. [C], par la voix de son conseil (SELARL SALMON et Associés) a maintenu son recours et le mémoire distinct déposé.

Il a expliqué que les revenus tirés de l'EARL [C] pour l’année 2013 avaient été imposés à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2014 dans la catégorie des bénéfices agricoles.

L'EARL Ronde Touche avait quant à elle été soumise à l'impôt sur les sociétés pour l'année 2013 et avait distribué des dividendes à M. [C] (30.000 Euros en juillet 2013), dividendes qui avaient été soumis à prélèvements sociaux pour un total de 5.650 Euros. Par la suite, ces revenus avaient été à nouveau soumis à cotisations sociales par la MSA au titre de l'année 2014.

Par conclusions écrites du 5 décembre 2016 oralement soutenues par son conseil, il a demandé à la juridiction de transmettre à la Cour de Cassation une question prioritaire de constitutionnalité et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision rendue par le Conseil Constitutionnel.

La MSA [LOCALITE 6], représentée par Mme [J], a indiqué que les textes applicables au litige avaient été correctement appliqués et a sollicité la confirmation de la décision prise par ses services, confirmée par la commission de recours amiable. Elle a ajouté qu'une circulaire prévoyait la possibilité pour le cotisant de réclamer la restitution du trop-versé auprès des services des Impôts, et qu'une telle demande n'avait pas été effectuée par M. [C].

La décision a été mise en délibéré au 25 avril 2017, afin que le mémoire du Ministère Public puisse être transmis aux parties (avant le 5 avril 2017) et qu'elles puissent y répondre avant la date retenue.

La présente affaire a été communiquée au ministère public à l'issue de l'audience, qui a requis le 5 avril 2017 la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, considérant que les conditions posées pour une telle transmission étaient remplies.

Les parties ont eu communication de ces réquisitions.

Par télécopie du 6 avril 2017, le conseil de M. [C] faisait savoir à la juridiction que ces réquisitions n'appelaient aucune observation de sa part.

Par un envoi du 7 avril suivant, la MSA maintenait ses écrits développés à l'oral au cours de l'audience et ne formulait aucune observation complémentaire.

MOTIFS DE LA DECISION

▸ Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution : En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 5 décembre 2016 par M. [C] dans un écrit distinct et motivé par conclusions séparées et accompagnées d’un mémoire de question prioritaire de constitutionnalité.

Le moyen est en conséquence recevable.

▸ Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En l’espèce la nature législative des dispositions objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité (article L.731-14 du code rural modifié par l'article 9 de la loi 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014) est établie.

Aux termes de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est procédé à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité si les conditions suivantes sont remplies:

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,

- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et les dispositifs d’une décision du Conseil Constitutionnel,

- la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l’espèce, les dispositions contestées sont applicables au litige en ce qu’elles ont servi de fondement aux décisions rendues successivement par la MSA et la commission de recours amiable suite à la demande présentée par M. [C], puisque la modification de l'article L.731-14 du Code Rural a eu pour objet d'intégrer dans l'assiette des cotisations et contributions sociales du chef d'exploitation des revenus qui n'y entraient pas auparavant, entraînant une incorporation dans l'assiette de la CSG (contribution sociale généralisée) et des autres prélèvements sociaux en tant que revenus d'activité en 2014 des revenus soumis à ces mêmes prélèvements en tant que revenus mobiliers en 2013.

Ces dispositions n’ont pas été de surcroît déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel qui n'a jamais été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 9 de la loi du 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, pour les points particuliers soulevés par M. [C].

En effet, si la Cour de Cassation a déjà été saisie d'une question relative à cet article, et avait décidé un non-lieu à renvoi devant le Conseil Constitutionnel, force est de constater que les questions posées ne concernaient pas la question de la conformité d'une double imposition à l'impôt au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits tel qu' interprété par le Conseil constitutionnel.

Enfin, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux en ce que l'incorporation dans l'assiette des cotisations sociales agricoles 2014 de revenus distribués en 2013 entraîne une double imposition à la CGS et autres prélèvements, ce qui est contraire à l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen et à l'interprétation qui en est faite par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 2012 garantissant les situations légalement acquises.

Dès lors il y a lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : L'article 9 II de la loi 2013-1203 de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui intègre dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale et des contributions sociales (contribution sociale généralisée et autres prélèvements) les revenus de capitaux mobiliers définis aux articles 108 à 115 du Code général des impôts perçus en 2013 par le chef d'exploitation et sa famille, entraînant une nouvelle taxation à la contribution sociale généralisée et autres prélèvements sociaux par la Mutualité sociale agricole en 2014, puis 2015 puis en 2016 malgré leur perception en 2013 par la Direction des Finances publiques et remettant en cause rétroactivement une imposition déjà acquittée à laquelle la loi avait attribué un caractère libératoire sans prévoir d'aménagements ou de dispositifs pour y remédier, (une seconde soumission de revenus à une imposition déjà acquittée ayant été censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 29 décembre 2012) est-il conforme à la Constitution et notamment à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen garantissant les situations légalement acquises ?

PAR CES MOTIFS

La Présidente du tribunal, statuant publiquement par décision mise à disposition au secrétariat de la juridiction, rendue contradictoirement et insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

L'article 9 II de la loi 2013-1203 de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui intègre dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale et des contributions sociales (contribution sociale généralisée et autres prélèvements) les revenus de capitaux mobiliers définis aux articles 108 à 115 du Code général des impôts perçus en 2013 par le chef d'exploitation et sa famille, entraînant une nouvelle taxation à la contribution sociale généralisée et autres prélèvements sociaux par la Mutualité sociale agricole en 2014, puis 2015 puis en 2016 malgré leur perception en 2013 par la Direction des Finances publiques et remettant en cause rétroactivement une imposition déjà acquittée à laquelle la loi avait attribué un caractère libératoire sans prévoir d'aménagements ou de dispositifs pour y remédier, (une seconde soumission de revenus à une imposition déjà acquittée ayant été censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 29 décembre 2012) est-il conforme à la Constitution et notamment à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen garantissant les situations légalement acquises ?

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

La Secrétaire

HUBERT