Tribunal de grande instance de Tours

Ordonnance du 30 mars 2017 n° 16/02321

30/03/2017

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TOURS

MISE EN ÉTAT

PREMIERE CHAMBRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ORDONNANCE RENDUE LE 30 MARS 2017

N° RG : 16/02321

DEMANDEUR :

Monsieur [A-B C]

né le [DateNaissance 1] 1937 à [LOCALITE 2] ([...]), de nationalité Française, demeurant [LOCALITE 3] - [LOCALITE 4] représenté par Maître Philippe MERCIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocats au barreau de TOURS, avocat plaidant

ET:

DÉFENDERESSE :

DIRECTION DES FINANCES PUBLIQUES [LOCALITE 5], sise [adresse 6] - [LOCALITE 7]

En présence de Monsieur Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de TOURS

ORDONNANCE RENDUE PAR :

JUGE DE LA MISE EN ÉTAT : S. CARRERE

GREFFIER : C. HERALD .

DÉBATS :

A l'audience de cabinet du 09 Mars 2017, le Juge de la Mise en Etat a fait savoir aux parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 30 Mars 2017.

EXPOSÉ DE L’INCIDENT

[A-B C] est bénéficiaire, avec deux autres personnes, de deux contrats d’assurance vie SOGECAP souscrits par sa tante, [D E], auprès de la SOCIETE GENERALE.

Après le décès de cette dernière survenu le [DateDécès 8] 2015, [A-B C] a présenté à la formalité de l’enregistrement une déclaration partielle de succession et l’administration fiscale a mis à sa charge les droits d’enregistrement à hauteur de 90 066 €. Par réclamation du 10 février 2016, il a contesté la fixation de l’assiette des droits. Une décision de rejet a été rendue le 19 avril 2016.

Par acte du 13 juin 2016, [A-B C] a attrait devant le tribunal de grande instance de ce siège la Direction des Finances Publiques d’Indre et Loire en application des articles L 199, R 202-1 et R 202-2 du Livre des procédures fiscales aux fins de :

- voir déclarer illégaux les articles 292 A et B de l’annexe II au Code général des impôts et l’instruction BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 190,.

- voir déclarer non fondée la décision de rejet du 19 avril 2016,

- se voir accorder le dégrèvement de la somme de 32 3 30 € assortie des intérêts moratoires (articles L 208, R 208-1 208-2 du Livre des procédures fiscales),

- condamner l’administration à lui rembourser les dépens mentionnés à l’article R 207-1 du Livre des procédures fiscales, ainsi que, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, une somme de 2 500 € représentant les frais non compris dans les dépens.

La Direction des Finances Publiques [LOCALITE 9] a conclu en défense dans un mémoire signifié le 25 août 2016.

[A-B C] a conclu en réponse par mémoire signifié le 24 octobre 2016.

Aux termes d’un mémoire à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité, signifié le 28 octobre 2016, [A-B C] demande le renvoi à la Cour de cassation de la question de la conformité des dispositions du paragraphe I de l’article 757 B du Code général des impôts à l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Il soutient que la rédaction de l’article 757 B du Code général des impôts conduit à inclure dans l’assiette des droits mis à la charge du bénéficiaire de contrats d’assurance vie constitués de primes versées après l’âge de 70 ans une contribution déconnectée de ses facultés contributives, puisque ne sont pas déduits les rachats ou retraits effectués par le souscripteur. Il se prévaut en outre du caractère confiscatoire de l’impôt.

En réplique, par mémoire signifié le 29 novembre 2016, la Direction des Finances Publiques [LOCALITE 10] s’oppose à la transmission de la question à la Cour de cassation, en soutenant qu’elle n’est pas sérieuse. Elle rappelle que le mécanisme décrit à l’article 757 B du Code général des impôts a été prévu pour lutter contre l’évasion fiscale et répond donc à un objectif d’intérêt général. Elle ajoute que les dispositions de ce texte ne présentent aucun caractère confiscatoire et ne créent pas une contribution déconnectée des facultés contributives du redevable de l’impôt puisqu’en tout état de cause, ce dernier profitera d’un surplus de patrimoine.

[A-B C] a répondu par mémoire signifié le 06 janvier 2017.

La Direction des Finances Publiques [LOCALITE 11] a répliqué par mémoire signifié le 1er février 2017.

La présente affaire a été communiquée au ministère public le 27 décembre 2016, qui a fait connaître son avis le 03 février 2017. Le ministère public soutient que le grief principal ne porte pas tant sur le principe de la taxation édictée par l’article 757 B du Code général des impôts, que sur les modalités de son application développées aux articles 292 A et B de l’annexe II du même code et par l’instruction administrative publiée au BOFIP sous laréférenceBOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 190. Il requiert qu’il plaise au tribunal de déclarer le mémoire irrecevable en l’état, en raison de l’imprécision de la question posée et des dispositions querellées, à la fois de nature législative et réglementaire, et de refuser sa transmission à la Cour de cassation.

[A-B C] a répondu par mémoire signifié le 02 mars 2017.

L’incident a été retenu à l’audience du juge de la mise en état du 09 mars 2017 et mis en délibéré au 30 mars 2017.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

I. Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 28 octobre 2016 dans un écrit distinct des conclusions au fond de [A-B C], et motivé. Il est donc recevable.

II Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

L’article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

[A-B C] soutient que le paragraphe I de l’article 757 B du Code général des impôts contrevient à l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu’elle est relative à l’assujettissement aux droits de mutation par décès des primes des contrats d’assurance vie versées après le soixante dixième anniversaire de l’assuré.

Cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

L’article 757 B paragraphe I du Code général des impôts dispose : “Les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l'assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 €".

Aux termes de l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, “pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".

Dans une décision n° 2014-708 DC du 29 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a précisé que' l’exigence énoncée à l’article XIII précité ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

[A-B C] prétend que la rédaction de l’article 757 B précité, en n’excluant pas du dispositif les primes rachetées avant le décès, conduit à inclure dans l’assiette des droits mis à la charge du bénéficiaire des sommes dont il ne peut avoir la disposition puisque c’est l’assuré qui en a disposé avant son décès au moyen de rachats ou de retraits partiels. Il en déduit que cet article conduit à soumettre les bénéficiaires de contrats d’assurance vie constitués de primes versées après l’âge de soixante-dix ans à une contribution totalement déconnectée des facultés contributives lorsqu’il y a eu des retraits partiels.

Néanmoins, les facultés contributives dont il est question à l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sont celles du redevable de l’impôt et non celles de l’assuré qui, de son vivant, a effectué ou non des rachats sur son contrat.

Le mécanisme de l’impôt prévu à l’article 757 B ne fait donc pas peser sur le contribuable une charge excessive au regard de ses facultés contributives, notamment en raison du correctif qui permet, lorsque les retraits ont été d’une importance telle que le capital existant au décès se trouve inférieur au total des primes versées, de ne taxer que le montant de ce capital.

En revanche, il est permis de s’interroger sur le point de savoir si ce mécanisme ne fait pas revêtir à l’impôt un caractère confiscatoire en ce que des sommes retirées avant le décès, qui ne feront donc pas l’objet d’une transmission au bénéficiaire redevable de l’impôt, vont être incluses dans l’assiette de la taxation.

La question n’est donc pas dépourvue de caractère sérieux. Il y a lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

PAR CES MOTIFS

Nous, Juge de la mise en état, statuant publiquement par ordonnance rendue contradictoirement et insusceptible de recours,

ORDONNONS la transmission à la Cour de cassation de la question suivante: le paragraphe I de 1 ’article 757 B du Code général des impôts porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ?

DISONS que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties ;

DISONS que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

DISONS que l’affaire sera rappelée à la conférence de mise en état du 14 septembre 2017 à 09h30 ;

RESERVONS les dépens et frais irrépétibles de l’incident.

Ainsi fait et ordonné au Palais de Justice de Tours les jour, mois et an que dessus.