Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 4 novembre 2016 n° 2016/06111

04/11/2016

Renvoi

COUR D’APPEL DE PARIS

34 quai des Orfèvres

75055 PARIS Cedex 01

N° Dossier : 2016/06111

N° BO : P1535500275

Chambre 1 - Pôle 7

ARRET DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

N° de minute : 1

Le 4 novembre 2016,

La Cour, composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt de

M. GUIGNARD, Président

M. HALPHEN, Conseiller

Mme FRIFSCH. Conseillère

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du code de procédure pénale

GREFFIER : Mme BUTSCHER, Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC : Mme ANTON-BENSOUSSAN , Avocat Général, lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt ;

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles K. 49-21 à K. 49-29 du Code de Procédure Pénale ;

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 6 octobre 2016 par Monsieur [B C] représenté par Maître Michaël BENDAVID

Vu les observations orales formulées le 21 octobre 2016 par Me BENDAVID, avocat de [C B] Vu l’avis du ministère public en date du 19 octobre 2016 ;

En l’espèce, Monsieur [B C] représenté par Maître Michaël BENDAVID soutient que les articles 421-2-6 et421-$ du Code pénal, qui définissent et répriment “l'infraction obstacle” de préparation d’une infraction en lien avec une entreprise terroriste individuelle, souffrent d’une part d’une formulation imprécise et ambigüe qui présente un caractère incompatible avec le principe de légalité des délits et des peines, d’autre part prévoient une peine, à savoir dix ans d’emprisonnement, qui serait contestable par rapport au principe de nécessité des délits et des peines et portent donc atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

Le ministère public soutient pour sa part qu’il n’y a pas lieu à transmission à la Cour de cassation de ladite question prioritaire de constitutionnalité, en faisant valoir, s’agissant du principe de la légalité des délits et des peines, que le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises que “le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis”, ce qui est le cas en l’espèce puisque le législateur a cherché, dans sa rédaction de l’article 421-2-6, à encadrer précisément l’incrimination, limitant le champ de la répression aux actes terroristes les plus graves et en énumérant strictement les actes matériels constitutifs, la notion d’entreprise individuelle ayant déjà été déclarée conforme à la constitution, tandis que, s’agissant du principe de la nécessité des délits et des peines, que la gravité des actes terroristes justifie la sévérité de leur répression, de sorte que la question lui apparaît dépourvue de tout caractère sérieux.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

Considérant que le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct et motivé ; que la demande est donc recevable en la forme :

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Considérant que, conformément à l’article 23-2 de l’ordonnance précitée, il ressort de la procédure :

- que les dispositions contestées sont applicables au litige ou à la procédure, puisqu’elles sont relatives aux chefs de mis en examen d’ [B C] :

- que lesdites dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel ;

- que la demande de question prioritaire de constitutionnalité vise le principe de légalité des délits et des peines, lequel procède de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et forme ainsi à ce titre l’un des droits consacrés par le bloc de constitutionnalité ; qu’elle se réfère donc à la nécessité que les textes prévoyant des infractions et des sanctions soient suffisamment clairs, précis et non équivoques, à la fois pour que chaque citoyen puisse le comprendre et le respecter, c’est-à-dire adapter sa conduite, et pour que tout arbitraire dans son application soit évité ; qu’il est à ce titre notamment relevé que l'expression “entreprise individuelle”, employée dans le 1° du texte critiqué, n’a fait l’objet d’aucune définition par le législateur, de sorte qu’elle peut en l’état correspondre à toutes les actions Humaines. du simple projet au début d’une réalisation matérielle ; que, de même, l’action de “rechercher. des objets ou des substances”, qui peut se comprendre aussi bien comme accomplir un ou plusieurs actes d’investigations positifs que comme simplement se renseigner par un clic d’ordinateur, manque à tout le moins de clarté, tandis que la notion d’“objets ou substances de nature à créer un danger pour autrui” gagnerait à être un peu moins générale ; que, par ailleurs, s’agissant cette fois du 2° du même texte, l’action qui fait l’objet du point a); à savoir “recueillir des renseignements sur des lieux ou des personnes permettant de mener une action”paraît manquer elle aussi de clarté et de précision, au point que chaque question pourrait être punissable, et chaque action suspectée ; qu’enfin la question de la proportionnalité entre l'infraction commise et la peine prévue mérite elle aussi examen ; que dès lors cette demande de question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux :

Qu’il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante : “ Les articles 421-2-6 et 421-5 du Code pénal, qui définissent et répriment l'infraction d'entreprise terroriste individuelle, sont-ils compatibles avec les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines consacrés par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?”

Sur le sursis à statuer :

Conformément à l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 précitée, il ressort qu'[B C] n’est pas détenu ; que la question qui se pose est susceptible d’avoir des

conséquences sur la décision au fond qui sera prise à son sujet ;

Considérant qu’il convient donc de surseoir à statuer sur les demandes au fond des parties.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en chambre du conseil,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

“ Les articles 421-2-6 et 421-5 du Code pénal, qui définissent et répriment l'infraction d'entreprise terroriste individuelle, sont-ils compatibles avec les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines consacrés par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ? ”

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public et celles des autres parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Sursoit à statuer sur les demandes au fond des parties ;

Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience ultérieurement, lorsque la Cour de Cassation ou le Conseil Constitutionnel auront informé la Chambre de l’instruction de leur décision :

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision;

Dit que les parties non comparantes seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception;

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT