Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 31 août 2016 N° 15LY00532

31/08/2016

Renvoi

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL

DE LYON

 

N° 15LY00532

___________

 

M. et Mme A... B...

___________

 

M. Bourrachot

Rapporteur

__________

 

Ordonnance du 31 août 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

 

 

 

 

LE PRÉSIDENT DE LA 2ème CHAMBRE

DE LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Procédure contentieuse antérieure :

 

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de leur accorder la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 et 2010.

 

Par un jugement n° 1206489 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

 

Procédure devant la cour :

 

Par une requête enregistrée le 16 février 2015 et des mémoires enregistrés le 23 juin 2016 et le 19 juillet 2016 M. et Mme B..., représentés par Me Duraffourd, demandent à la cour :

 

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 15 décembre 2014 ;

 

2°) de leur accorder la décharge des impositions contestée et des pénalités correspondantes ;

 

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

 

 

Ils soutiennent que :

 

l’administration fiscale n’apporte pas la preuve qui lui incombe de l’appréhension des fonds ;

la société Agemi n’a pas procédé à une distribution de fonds à leur égard ;

la société n’a pas mis à disposition de son gérant les sommes placées sur le compte bancaire Fortuneo ouvert au nom de M. B... ;

ce placement avait pour unique but la gestion de la trésorerie excédentaire de la société ;

l’investissement dans des produits financiers « Contract for difference » ne saurait caractériser un acte anormal de gestion, ce placement ayant un intérêt pour la société que l’administration ne peut contester en raison du principe de non immixtion de l’administration dans la gestion de la société ;

l’existence d’un risque jugé excessif par l’administration n’est pas de nature à caractériser un acte anormal de gestion ;

la majoration de 25 % des prélèvements sociaux n’a aucun fondement légal ;

les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées.

 

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2015 et des mémoires enregistrés les 5,8 et 20 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête ; le ministre fait valoir qu’aucun moyen de la requête n’est fondé.

 

Par des mémoires enregistrés les 12 juillet 2016 et 23 août 2016 M. et Mme B... demandent, à l’appui de leur requête tendant à l’annulation du jugement n° 1206489 du 15 décembre 2014, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité des dispositions combinées du 2 de l’article 158-7 du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d’égalité, la majoration de 25 % de la base des contributions sociales frappant inégalement les différents revenus de capitaux mobiliers alors que tel n’est pas le cas pour les autres catégories de revenus.

 

Ils soutiennent que :

 

la combinaison de ces dispositions est applicable au litige ;

la combinaison de ces dispositions n’a pas été déclarée conforme à la Constitution, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat s’étant prononcés isolément sur chacune de ces dispositions ;

la question présente un caractère sérieux.

 

Par un mémoire enregistré le 10 août 2016 le ministre des finances et des comptes publics conclut à l’absence de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qui ne présente pas de caractère sérieux et n’est pas nouvelle.

 

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

 

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 ;

 

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010 ;

 

Vu la décision du Conseil d’Etat n° 341293 du 27 septembre 2010.

 

 

1. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. » ;

 

2. Considérant qu'aux termes de l'article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. » ;

 

3. Considérant que le 31 octobre 2009 et le 4 janvier 2010, la société Agemi a procédé, en vue de la gestion de sa trésorerie, à deux virements bancaires opérés à partir de l’un de ses comptes bancaires à Genève, s’élevant respectivement à 100 000 euros et à 70 000 euros ; que les sommes ont été portées sur un compte personnel de son gérant associé, M. B..., ouvert auprès de la banque Fortuneo ; que cette opération a été traduite en comptabilité pour chacun des exercices clos le 31 mars 2009 et le 4 avril 2010, par le débit au compte produits n°708400 « produits divers » et le crédit du compte financier n°503100 « placement BCG/Meunier » ; que l’administration fiscale a considéré que cette opération devait être qualifiée d’acte anormal de gestion et a réintégré la somme de 170 000 euros dans le résultat imposable de la société ; qu’elle a également estimé que cette somme était constitutive de revenus distribués au sens des dispositions de l’article 111 c) du code général des impôts imposables dans les mains de Mme et M. B..., requérants, au titre des années 2009 et 2010, à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales ;

 

4. Considérant que, dans le cadre d’une réforme globale de l’impôt sur le revenu applicable à compter du 1er janvier 2006, le législateur a supprimé l’abattement de 20 % dont bénéficiaient les traitements, salaires, pensions et rentes viagères en application du a du 5 de l'article 158 du code général des impôts ainsi que les revenus professionnels des adhérents d'un centre de gestion ou d'une association agréés en application du 4 bis du même article et a compensé cette suppression par une réduction équivalente des taux du barème de l’impôt sur le revenu ; que la modification du barème ayant concerné tous les contribuables, le législateur a, afin de maintenir l’exclusion, qui prévalait sous l’empire du régime antérieur, du bénéfice, pour certains revenus, de l’abattement de 20 %, décidé, par une mesure arithmétiquement équivalente, de majorer de 25 % ces revenus ; qu’ainsi, aux termes du 7 de l’article 158 du code général des impôts dans sa rédaction issue du 4° du I de l'article 76 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 : « 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1, 25. Ces dispositions s'appliquent : / (…) 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice » ; que les dispositions de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale prévoient également que : « I.-Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : a) Des revenus fonciers ; b) Des rentes viagères constituées à titre onéreux ; c) Des revenus de capitaux mobiliers ; (…) Pour la détermination de l'assiette de la contribution, il n'est pas fait application des abattements mentionnés au I de l'article 125-0 A, à l'article 150-0 D bis et aux 2° et 5° du 3 de l'article 158 du code général des impôts, ainsi que, pour les revenus de capitaux mobiliers, des dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu (…) » ; que les dispositions des articles 1600-0 C du code général des impôts relatives à la contribution sociale généralisée, 1600-0 F relatives aux prélèvements sociaux et 1600-0 G relatives à la contribution au remboursement de la dette sociale renvoient aux dispositions de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ;

 

5. Considérant que les dispositions combinées de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et du 7 de l’article 158 du code général des impôts ont pour effet de majorer la base d’imposition de M. et Mme B... aux contributions sociales et sont applicables au litige tendant pour partie à la décharge de ces impositions ;

 

6. Considérant que si le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans les motifs de sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 et sur la constitutionnalité des dispositions du 1° du 7 de l’article 158 du code général des impôts dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010, le Conseil constitutionnel ne s’est prononcé ni sur les dispositions du 2° du 7 de l’article 158 du code général des impôts, ni sur l’application combinée des dispositions de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et du 2° du 7 de l’article 158 du code général des impôts ; que le régime issu du 4° du I de l'article 76 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est susceptible de constituer un changement de circonstances ;

 

7. Considérant que si la modification du barème de l’impôt sur le revenu a concerné tous les contribuables et si le législateur a, afin de maintenir l’exclusion, qui prévalait sous l’empire du régime antérieur, du bénéfice, pour certains revenus, de l’abattement de 20 %, décidé, par une mesure arithmétiquement équivalente, de majorer de 25 % ces revenus, la même mesure ne s’est accompagnée, pour les contributions sociales, d’aucune modification du taux d’imposition ; qu’il en résulte une différence de traitement d’une part entre les bénéficiaires des différentes catégories de revenus et, d’autre part, entre les différents revenus de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers selon leur fondement ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par ces dispositions législatives des principes d’égalité devant la loi et devant l’impôt ainsi que le principe d’égale répartition des charges de la Nation entre tous les citoyens à raison de leurs facultés contributives doit être regardé comme posant une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité à la Constitution de ces dispositions et de surseoir à statuer sur la requête n° 15LY00532 de M. et Mme B... ;

 

 

 

ORDONNE :

 

 

Article 1er : La question prioritaire de constitutionnalité de M. et Mme B... visant les dispositions combinées de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et du 2° du 7 de l’article 158 du code général des impôts est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête n° 15LY00532 jusqu’à ce qu’il ait été statué par le Conseil d’Etat sur la question de la transmission au Conseil constitutionnel de cette question prioritaire de constitutionnalité, ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme A... B... et au ministre de l’économie et des finances.

 

 

 

 

Fait à Lyon, le 31 août 2016.

 

Le président de la 2ème chambre

 

 

 

 

François Bourrachot

 

 

 

 

La République mande et ordonne au ministre de l’économie et des finances, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

 

Pour expédition,

Le greffier,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N° 15LY00532