Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 22 juin 2016 n° 2016/01514

22/06/2016

Renvoi

COUR D APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

N° 102/2016

16ème CHAMBRE B

MANDAT D'ARRÉT EUROPÉEN

ARRET DE TRANSMISSION D'’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

N° 2016/01514

N° 796040312016

ARRET DE LA CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

DU 22 juin 2016

La Chambre de l'instruction de la Cour d'Appel d'Aix en Provence, réunie en audience publique du VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE SEIZE

Conformément aux dispositions des articles 695-11 et suivants du Code de procédure pénale

Bruno NEDELESC, conseiller à la Chambre de l'instruction, a été entendu

en son rapport sur la question prioritaire de constitutionnalité présentée par:

[A B C]

né le [DateNaissance 1] 1973 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de [C G] et de [H I]

De nationalité allemande

Divorcé - 2 enfants

Profession : Marchand d'oeuvres d'art

Se disant domicilié en [LOCALITE 4] :

Lieudit "[LOCALITE 5]" [LOCALITE 6]

Domiciles hors de France :

[adresse 7] - [LOCALITE 8] et [LOCALITE 9] - [LOCALITE 10]

Actuellement détenu à la maison d'arrêt de [LOCALITE 11]

ordre d'incarcération provisoire de la première présidente de la cour d'appel d’Aix-en-Provence en date du 10 juin 2016

Ayant pour avocats :

Maître Bruno REBSTOCK, 11 rue Emeric David - BP 20069 - 13101 AIX

EN PROVENCE CEDEX 01(Avocat référent)

Maître Luc FEBBRARO, 32, Cours Mirabeau - 13100 AIX EN PROVENCE

Maître Olivier QUESNEAU, 15 Rue du 4 Septembre - 13100 AIX EN PROVENCE

Maître Anthony VAN HAGEN, 6 Avenue Georges V - 75008 PARIS

Assistée de Madame [D-E F], interprète assermenté en langue allemande, inscrit sur la liste des experts de la Cour d’appel d'AIX EN PROVENCE, et qui a prêté son concours chaque fois que cela a été nécessaire,

Et dont les autorités judiciaires allemandes ont sollicité la remise sur le fondement des dispositions des articles 695-22 et suivants du Code de procédure pénale, en application d'un mandat d'arrêt européen émis le 2 mai 2016 par le procureur de [LOCALITE 12] ([LOCALITE 13]) pour l'exercice de poursuites pour des faits, commis d'avril à juillet 2011 à [LOCALITE 14], qualifiés “escroquerie dans un cas particulièrement grave,” infraction pour laquelle la peine maximale encourue est de 10 ans.

*****

Serge BOCOVIZ, substitut général a été entendu en son avis.

Maître Bruno REBSTOCK, Maître Luc FEBBRARO, Maître. Olivier QUESNEAU, Maître Anthony VAN HAGEN, avocats de l'intéressé, présents à la barre, ont été entendus.

[A B C], comparant en application des dispositions de l'article 695-34 du Code de procédure pénale, a été entendu en ses explications et a eu la parole en dernier.

Les débats étant terminés, la chambre de l'instruction en a délibéré, conformément aux dispositions de l’article 200 du Code de procédure pénale.

Puis le président a prononcé l'arrêt suivant en audience publique de ce jour, en présence du ministère public, de l'intéressé, de l'interprète et de ses conseils.

*****

Vu la demande de mise en liberté déposée le 13 juin 2016 au Greffe de la Chambre de l'instruction par Me DE GUBERNATIS substituant Me REBSTOCK, Me QUESNEAU, Me FEBBRARO et Me VAN HAGEN, conseils de [A B C], et visée par le greffier le 13 juin 2016 à 11 heures 55, et sur laquelle il est statué par arrêt séparé en date de ce jour ;

Vu la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire motivé en date du 13 juin 2016 visé par le greffier le 13 juin 2016 à 12 heures, et déposé par le conseil de [A B C] :

Vu le réquisitoire écrit du procureur général en date du 21 juin 2016:

Vu les pièces de la procédure, desquelles il résulte que le procureur général a donné avis en date du 14 juin 2016, envoyés aux parties intéressées ;

RAPPEL DES FAITS

Un mandat d'arrêt européen a été émis le 2 mai 2016 par le procureur de [LOCALITE 15] ([LOCALITE 16]) pour l'exercice de poursuites à l'encontre de [A B C], ressortissant allemand, pour des faits. commis d'avril à juillet 2011 à [LOCALITE 17], et qualifiés “escroquerie dans un cas particulièrement grave,” infraction pour laquelle la peine maximale encourue est de 10 ans.

La première présidente de la Cour d'appel d’Aix-en-Provence a délivré le 40 juin 2016 un ordre d’incarcération provisoire à son encontre.

Par arrêt du 22 juin 2016, la chambre de l'instruction a donné acte à [A B C] qu'il consentait à sa remise en exécution du À titre susvisé, ne renonçait pas à la règle de la spécialité et a accordé sa remise aux autorités judiciaires allemandes.

***

Le 13 juin 2016, [A B C] a sollicité sa mise en liberté, subsidiairement son placement sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence.

Dans le cadre du dépôt de cette demande de mise en liberté, par un mémoire distinct et motivé en date du même jour, l’un des conseils de [A B C] a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant la conformité des articles 695-28 et 695-34 du Code de procédure pénale aux articles 2, 4, 6, 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, ainsi qu'avec l'article 66 de la Constitution.

Il est notamment fait valoir que ces dispositions, indissociables en ce qu'elles constituent l'unique moyen de contestation du placement en détention dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen,

- autorisent une privation de liberté disproportionnée au but poursuivi et d'une rigueur non nécessaire, dans la mesure où ce placement n'est pas limité dans la durée, de sorte qu'il pourrait être potentiellement illimité, aucun réexamen périodique de la condition unique (la représentation à tous les actes de la procédure) justifiant le placement en détention n'étant prévu. En outre, l'article 698-28 ne prévoit pas la tenue d'un débat contradictoire, de sorte que la personne recherchée ne peut bénéficier de l'assistance d'un avocat. La décision prononçant le placement en détention provisoire ne peut faire l’objet d’un recours devant la chambre de l'instruction. L'autorité judiciaire ne peut interrompre à tout moment la détention de sa propre initiative.

En conséquence, l'insuffisance de garanties propres à assurer la conciliation équilibrée entre les libertés individuelles et l'objectif poursuivi par l'extradition, ainsi que l'absence de limitation temporelle à la durée de la détention ordonnée pour l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, portent une atteinte disproportionnée aux articles 2, 4 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et à l’article 66 de la Constitution.

De plus, l'article 695-28 alinéa 2 ne précise pas que le placement sous écrou ne peut être décidé qu'à titre exceptionnel dans les cas où le contrôle judiciaire et l'assignation à résidence sous surveillance électronique apparaissent insuffisants.

En conséquence, cet article ne permet pas de garantir que l’écrou extraditionnel ne sera prononcé qu'en cas de stricte nécessité, en violation des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et de l’article 66 de la Constitution.

- Contreviennent au principe d'égalité, défini à l’article 6 Déclaration de 1789. En l'occurrence, la privation de liberté dont le fondement repose Sur l'exécution d'un mandat d'arrêt n'offre pas de garanties contre arbitraire similaires à celles applicables en matière de détention provisoire - et de rétention de sûreté puisque n'existent ni débat contradictoire lors duquel intervient un avocat, ni possibilité de recours devant la chambre de l'instruction, ni durée maximale de détention, ni faculté de mise en liberté d'office.

En conséquence, il est demandé à la chambre de l'instruction de transmettre à la Cour de cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

"les articles 695-28 et 695-34 du Code procédure pénale portent-ils atteinte aux articles 2, 4 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et 66 de la Constitution, en ce qu'ils autorisent une privation de liberté disproportionnée au but poursuivi et d'une rigueur non nécessaire, et au principe d'égalité garanti à l'article 6 de la Déclaration de 1789 ?”

*****

Le ministère public a donné un avis de non transmission de !a - question précité, à raison de l'absence de caractère sérieux.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que, par mémoire en date du 13 juin 2016, le conseil de la personne recherchée a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant la conformité des articles 695-28 et 695-34 du Code de procédure pénale aux articles 2, 4, 6, 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, ainsi qu'avec l'article 66 de la Constitution ;

A°/ Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité

Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le conseil de [A B C] a été présentée à l’occasion de d'une demande de mise en liberté formée au greffe de la Chambre de l'instruction le 13 juin 2016, dans un écrit distinct et motivé, qui a été visé par le greffier de la juridiction ;

Attendu que ladite demande satisfait donc aux conditions de forme exigées par l’article R 49-21 du Code de procédure pénale :

Attendu qu'il convient dès lors de la déclarer recevable ;

B°/ Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

Attendu qu'aux termes de l’article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité procède à Sa transmission si la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; si elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution ; si la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

a/ Sur l'application des dispositions contestées au litige ou à la procédure

Attendu que, dans ses écritures, [A B C] a entendu soulever, à l'occasion d'une demande de mise en liberté déposée sur le fondement de l'article 6956-34 du Code de procédure pénale, l'inconstitutionnalité des dispositions combinées des articles 695-28 et 695- 34 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'il fait Valoir que ces dispositions sont indissociables car elles constituent l'unique moyen de contester une détention ordonnée dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen :

Attendu en conséquence que les dispositions précitées sont à l'évidence applicables à la procédure :

b/ Sur l'absence d'examen préalable par le Conseil Constitutionnel

Attendu qu'il apparaît que le Conseil constitutionnel n’a jamais statué sur la conformité à la Constitution des articles 695-28 et 695-34 du Code de procédure pénale:

c/ sur le caractère sérieux de la demande

Attendu que, saisie de griefs identiques dans le cadre d’une demande de renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'appréciation des articles 696-11 et 696-19 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation a estimé que ‘la question posée présente un caractère sérieux en ce que les textes du Code de procédure pénale relatifs à l'extradition demandée par un gouvernement étranger, qui n'organisent pas les droits de la défense au stade du placement initial sous écrou extraditionnel décidé par le premier président de la cour d'appel ou son délégué, ne confèrent au contrôle judiciaire et à l'assignation à résidence qu'un caractère subsidiaire par rapport à la détention, n'instituent qu'un recours contre la décision de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence et ne fixent aucune limite - à la durée de l'incarcération, sont susceptibles de porter atteinte aux principes constitutionnels visés dans la question” (Cass crim 8.6.2016 pourvoi n°16-81912) :

Attendu qu'il s'évince de ce qui précède que la contestation des articles 695-28 et 695-34 du Code de procédure pénale, qui ont été introduits dans le Code de procédure pénale par la loi n°2004-204 du 9 : mars 2004 portant transposition en droit français de la décision cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres de l'Union Européenne, présente un caractère sérieux :

Attendu que les conditions exigées par l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel étant satisfaites en l'espèce, il y a lieu à transmission à la Cour de Cassation de la question posée par le conseil de [A B C] ;

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

Statuant en audience publique,

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles R 49-21 à R49-29 du Code de procédure pénale :

EN LA FORME

DECLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité.

AU FOND

TRANSMET à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

les articles 695-28 et 695-34 du Code procédure pénale portent- ils atteinte aux articles 2, 4 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et 66 de la Constitution, en ce qu'ils autorisent une privation de liberté disproportionnée au but poursuivi et d'une rigueur non nécessaire, et au principe d'égalité garanti à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ?

DIT que Îe présent arrêt sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires des parties.

CONSTATE que conformément aux dispositions des articles 803-5 et D 594-7 du code de procédure pénale, la traduction du dispositif du présent arrêt a été faite oralement par le truchement de l'interprète.

FAIT À AIX EN PROVENCE, au palais de justice en audience publique,

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE SEIZE ;

où siégeaient :

Philippe VIGIER, Président de la chambre de l'instruction,

Bruno NEDELEC, conseiller,

Guy PISANA, conseiller,

Tous trois désignés à ces fonctions, conformément à l'article 191 du code de Procédure Pénale et qui ont, à l'issue des débats, délibéré seuls. conformément à l’article 200 dudit code, hors la présence du ministère public, de l'intéressé, de l'interprète, des avocats et du greffier

en présence de Serge BOCOVIZ, Substitut Général,

assistés de Lydie BADEL, Greffier,

Ont signé le présent arrêt,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT