Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 17 juin 2016 n° 16/001450

07/06/2016

Renvoi

N° 25/2016

DOSSIER N° 16/001450

Arrêt N° 16/25

du 7 juin 2016

COURS D'APPEL DE RENNES

Chambre Spéciale des mineurs

statuant en matière correctionnelle

ARRÊT

Prononcé publiquement le 17 juin 2016 par fa chambre spéciale des mineurs statuant en matière correctionnelle,

PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :

[P T]

Né le [DateNaissance 1] 1998 à [LOCALITE 2], [LOCALITE 3] ([...])

Fils de [P Q] et de [L M]

De nationalité française, célibataire, sans profession

Demeurant [LOCALITE 4]" - [LOCALITE 5] - [LOCALITE 6]

mandat de dépôt en date du 24/07/2015, mise en liberté sous contrôle judiciaire en date du 31/07/2015

Prévenu, appelant, libre, non comparant, représenté par Maître GALAU Natacha, avocat au barreau de NANTES, muni d’un pouvoir,

[P M]

Demeurant [adresse 7] - [LOCALITE 8]

citée en qualité de civilement responsable, intimée, non comparante, non représentée

ET :

[H G],

demeurant [adresse 9] - [LOCALITE 10]

Partie civile, intimée, non comparante, non représentée (lettre recommandée du 25/05/16)

LE MINISTÈRE PUBLIC : Appelant,

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats et du délibéré :

Président :

Madame [H], conseiller délégué à la protection de l'enfance désigné par ordonnance de

M. le premier président du 10 décembre 2015

Assesseurs :

Madame TURBE-BION, président de chambre

Madame [X], conseillers délégués à la protection de l’enfance suppléants, désignés par ordonnance de M. ie premier président du 10 décembre 2015,

Prononcé à l'audience du 17 juin 2016 par Mme [H], conformément aux dispositions de l'article 485 alinéa 3 du code de procédure pénale

MINISTERE PUBLIC :

en présence de l’Avocat Général spécialement en charge des affaires des mineurs lors des débats et du prononcé de l'arrêt

GREFFIER :

en présence de Mme GESLIN OMNES lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt

DÉROULEMENT DES DÉBATS EN AUDIENCE AVEC PUBLICITÉ RESTREINTE :

(article 14 de l'Ordonnance du 2 février 1945 et 7 de l'ordonnance du 22 décembre 1958) :

À l'appel de la cause à l'audience du 20 mai 2016, le Président a constaté l'absence du prévenu qui n'a pas comparu mais a demandé à être représenté au cours des débats par son avocat Me GALAU, la Cour déclarant alors le présent arrêt contradictoire, par application de l'article 411 du code de procédure pénale ;

À cet instant, le conseil du prévenu a déposé un mémoire aux fins de question prioritaire de constitutionnalité.

La Cour, après avoir entendu :

Le Président en son rapport de l'affaire et sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ;

Maître GALAU, Avocat, en sa demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ;

Mme l'Avocat Général en ses réquisitions sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ;

Puis, la Cour a mis l'affaire en délibéré pour son arrêt être rendu à l'audience du 17 juin 2016 ;

Conformément aux prescriptions de l'article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale, le Président a avisé les parties présentes de la date de l'audience à laquelle l'arrêt serait rendu ;

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LE JUGEMENT :

Le tribunal correctionnel de NANTES par jugement contradictoire en date du 03 FEVRIER 2016, pour :

- RECEL DE BIEN PROVENANT D'UN VOL, NATINF [...]

- CONDUITE D'UN VEHICULE SANS PERMIS, NATINEF [...]

- REFUS, PAR LE CONDUCTEUR D'UN VEHICULE, D'OBTEMPERER A UNE SOMMATION DE S'ARRETER, NATINF [...]

SUR L'ACTION PUBLIQUE

- a déclaré [P T] coupable des faits reprochés ;

- l'a condamné à un emprisonnement délictuel de 3 mois dont 2 mois avec sursis et mise à l'épreuve d’une durée de 18 mois ;

- a ordonné l'exécution provisoire ;

- a dit que ce sursis est assorti des obligations suivantes : exercer une activité professionnelle, suivre un enseignement ou une formation professionnelle ; Interdiction de fréquenter les coauteurs ou complices de l'infraction en l'espèce, [I J], le service de la Protection Judiciaire de la Jeunesse étant désigné pour la mise en oeuvre de fa mesure ;

- à titre de peine complémentaire :

- a ordonné à son encontre la confiscation du scellé 2 ;

SUR L'ACTION CIVILE :

- a déclaré [P M] civilement responsable de [P T] ;

- a reçu la constitution de partie civile de [H G] ;

- a déclaré [N T] (avec [I J]) responsable du préjudice subit par [H G] :

- à condamné [P T] (solidairement avec [I J], co prévenu) et in solidum avec leurs civilement responsables à payer à [H G] la somme de 200 € au titre des dommages-intérêts pour tous les faits commis à son encontre :

- a reçu [R S] en sa constitution de partie civile :

- à débouté [R S] de ses demandes :

LES APPELS :

Appel à été interjeté le 12 février 2016 par :

- Monsieur [P T], à titre principal de l’entier jugement,

- M. le procureur de la République, à titre incident,

LA PRÉVENTION :

Considérant qu'il est fait grief à [P T]

- d’avoir à [LOCALITE 11] ([...]), dans la nuit du 22 juillet 2015 au 23 juillet 2015, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, sciemment recelé un véhicule qu’il savait provenir d’un vol commis au préjudice de [G H] et d’une clef de voiture ainsi qu'une carte grise qu’il savait provenir d’un vol au préjudice de [S R] ;

Faits prévus et réprimés par les articles 321-1 AL.1, AL.2, 311-I, 321-1 AL.3, 321-3, 321-9, 3521-10, 311-14 1°,2°3°,4°,6° du Code pénal ;

- d’avoir à [LOCALITE 12] ([...]), dans la nuit du 22 juillet 2015 au 23 juillet 2015, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, conduit un véhicule, en l’espèce une voiture, sans être titulaire du permis de conduire nécessaire à sa conduite : Faits prévus et réprimés par les articles L.221-2 §I, L.221-1 AL.I, R.221-1 §1 AL.HI, L.221-2 du Code de la route

- d’avoir à [LOCALITE 13] ([...]), dans la nuit du 22 juillet 2015 au 23 juillet 2015, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, étant conducteur d’un véhicule, omis d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité ;

Faits prévus et réprimés par les articles L.233-1 §I, L.233-1, L.224-12 du code de la route ;

***

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Considérant que M. [P] demande à la cour de dire et juger recevable et bien fondée, et en conséquence en ordonner la transmission à la Cour de cassation, de la question prioritaire de constitutionnalité en ces termes :

«L'article 22 de l'ordonnance du 2 février 1945 et la portée que lui confère la Jurisprudence en matière d'exécution provisoire d'une condamnation à une peine d'emprisonnement ferme est-il conforme aux droits et libertés tels que garantis pur les articles 1, 6 et 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, par les PFRLP dégagés dans lu décision du Conseil Constitutionnel du 29 août 2002 sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice et par l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ?»

et de surseoir à statuer sur le fond du dossier ;

Le Ministère public conclut à l'irrecevabilité de l'écrit, non signé, et, à titre subsidiaire, de constater l'absence de sérieux de la question posée et dire n'y avoir lieu à sa transmission à la Cour de cassation ;

SUR CE

Considérant que dans le cadre de l'appel formé par [T P] du jugement rendu le 3 février 2016 par le tribunal pour enfants de [LOCALITE 14], l'avocat du prévenu à présenté dans un écrit distinct et motivé une question prioritaire de constitutionnalité transmise par fax le 19 mai 2016 ;

À l'audience des débats, l'écrit initial non revêtu de la signature de l'avocat a été régularisé ;

Les observations du Ministère Public ont été présentées dans un écrit en date du 19 mai 2016 ;

Considérant qu'il y a lieu de déclarer la demande recevable en la forme :

La disposition contestée soit l’article 22 de l’ordonnance du 2 février 194$ dispose :

«le juge des enfants et le tribunal pour enfants pourront, dans tous les cas, ordonner l'exécution provisoire de leur décision, nonobstant opposition ou appel.

Les décisions prévues à l'article 15 ci-dessus et prononcées par défaut à l'égard d'un mineur de treize ans, lorsque l'exécution provisoire en aura été ordonnée, seront ramenées à exécution à la diligence du procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article 707 du code de procédure pénale. Le mineur sera conduit et retenu dans un centre d'accueil ou dans une section d'accueil d'une institution visée à l'article 10 ou dans un dépôt de l'assistance ou dans un centre d'observation.»

La disposition contestée est applicable au litige en ce qu'elle permet d'ordonner l'exécution provisoire de décisions et en ce que son interprétation Jurisprudentielle selon laquelle la question de l'exécution provisoire, disposition générale ayant vocation à s'appliquer aux décisions du juge des Enfants et du tribunal pour Enfant, appliquée à une décision prononçant une peine d'emprisonnement ferme équivaut à mandat de dépôt ;

En l'espèce, [T P] a été condamné à une peine de trois mois d'emprisonnement dont deux mois assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve ; que cette peine a été assortie de l'exécution provisoire de sorte que le mineur a été immédiatement incarcéré ;

Il ressort de l'examen de la jurisprudence que l'article 22 de l'ordonnance du 2 février 1945 n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Sur le principe de proportionnalité et d'individualisation des peines issu de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789

Considérant que la question porte sur une modalité d'exécution d'une peine préalablement décidée dans le cadre d'une procédure précise à l’encontre du prévenu, en cause ; que, précisément, le juge a le choix de prononcer ou non l'exécution provisoire en fonction du cas sur lequel il statue ;

La question posée qui ne précise pas en quoi la disposition critiquée serait une atteinte au principe de proportionnalité et d'individualisation des peines est dès lors dépourvue de sérieux ;

Sur le principe d'interdiction de la détention arbitraire proclamé par l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958

Le moyen tiré de l'atteinte portée au principe d'interdiction de la détention arbitraire est dépourvu de sérieux, l'incarcération du mineur, en l'espèce, étant liée à l'exécution provisoire de la condamnation à une peine mixte et résulte d'une décision de la juridiction qui l'a prononcée, en application du texte contesté, dans le cadre de la question posée, ce qui ne saurait constituer une détention arbitraire :

Sur l'atteinte à l'égalité devant la loi et au principe d'atténuation de la responsabilité des mineurs

La question apparaît en revanche sérieuse en ce qu'elle interroge sur une violation de l'égalité devant la loi par la comparaison entre la justice applicable aux majeurs qui exclut la possibilité pour la juridiction de jugement de première instance de prononcer un mandat de dépôt pour les peines d'emprisonnement inférieures à la durée d'une année et la justice applicable aux mineurs, dont le régime choisi protégé par la Constitution est celui de l'atténuation de la responsabilité pénale, qui toutefois permet. par le biais de la jurisprudence précitée relative à l'exécution provisoire des décisions, l'incarcération du mineur pour une peine même inférieure à ce délai :

I y a lieu en conséquence de constater sur ce seul point le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité et de la transmettre en conséquence à la Cour de Cassation

PAR CES MOTIFS,

La chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Rennes,

Statuant publiquement, après débats en chambre du conseil, par arrêt contradictoire à l'égard de monsieur [T U], par arrêt contradictoire à signifier à l’égard de madame [M P] et de monsieur [G H],

Déclare recevable la question de constitutionnalité relative à l’article 22 de l’ordonnance du 2 février 1945

Dit avoir lieu à transmission partielle de la question à la Cour de Cassation sur le seul moyen tiré de l'atteinte à l'égalité devant la loi et au principe d'atténuation de la responsabilité des mineurs ;

Surseoit à statuer au fond dans l’attente de la décision de la Cour de Cassation :

Dit que les parties seront citées à comparaître à la diligence du Ministère Public après décision de la Cour de Cassation :

Le tout en application des articles 1 et suivants de l'Ordonnance du 2 février 1945 et du code pénal.

LE GREFFIER,

P/LE PRÉSIDENT, empêché

I. GESLIN OMNES

L. TURBE BION