Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 12 mai 2016 n° 15/15006

12/05/2016

Renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 12 Mai 2016

(n°120, 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 15/15006 ( 15-15012 et 15-19240 )

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Juillet 2015 par le tribunal de grande instance de PARIS RG n° 14/00012

APPELANTE

SOCIÉTÉ DE REQUALIFICATION DES QUARTIERS ANCIENS (SOREQA) RCS [LOCALITE 1] []

29 boulevard Bourdon

75180 PARIS CEDEX 04

Représentée par Me Elisabeth PORTOS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0752

INTIMÉS

Monsieur [D E]

[adresse 2]

Chambre [...]

[LOCALITE 3]

Représenté par Me Alexandra BOISSET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0368

Monsieur [K A]

né le [DateNaissance 4] 1944 à [LOCALITE 5] ([LOCALITE 6])

[adresse 7]

Chambre [...]

[LOCALITE 8]

Représenté par Me Bénédicte LAVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B1141 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 20115/045056 du 09/11/2015 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

Monsieur [G H]

né le [DateNaissance 9] 1963 à [LOCALITE 10] ([LOCALITE 11])

[adresse 12]

Chambre [...]

[LOCALITE 13]

Représenté par Me Alexandra BOISSET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0368 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 20115/045819 du 16/11/2015 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

Monsieur [L M]

[adresse 14]

Chambre [...]

[LOCALITE 15]

Monsieur [G C]

né le [DateNaissance 16] 1963 à [LOCALITE 17] ([LOCALITE 18])

[adresse 19]

Chambre [...]

[LOCALITE 20]

Représenté par Me Bénédicte LAVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : BI 141 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/045048 du 09/11/2015 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

Commissariat du gouvernement

14, rue de Richelieu

75001 PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Mars 2016, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre, spécialement désigné pour présider cette chambre par ordonnance de Mme le Premier Président de la Cour d’Appel de PARIS,

Mme Agnès DENJOY, Conseillère désignée par Mme le Premier Président de la Cour d’Appel de PARIS

Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère désignée par Mme le Premier Président de la Cour d’ Appel de PARIS

En présence de M. Antoine STEFF, Substitut Général

Greffier : Mme Isabelle THOMAS, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé :

La Société de requalification des quartiers anciens (Soreqa) est propriétaire d’un immeuble sis [adresse 21] à [LOCALITE 22], pour l’avoir acquis de la [LOCALITE 23], les 14 et 15 janvier 2013, qui en était elle-même devenue propriétaire, le 31 octobre 2012, après avoir exercé son droit de préemption urbain.

Cet immeuble, dans lequel était exploité un hôtel-café, à l’enseigne le [...], faisait l’objet d’un bail commercial au profit des consorts [N], lesquels ont reçu une indemnité d’éviction.

L’hôtel était occupé par plusieurs locataires de chambres dont cinq personnes dépourvues de titre de séjour régulier sur le territoire français : MM. [D E], [K A], [G H], [L M], [G C].

Le 11 décembre 2014, la Sorega a saisi le juge de l’expropriation de [LOCALITE 24] d’une demande d’expulsion des défendeurs de l’immeuble précité et préalablement a sollicité le renvoi à la Cour de cassation en vue de leur transmission au Conseil constitutionnel, des questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

1) les articles L 314-1 et L314-2 du code de l’urbanisme ensemble l’article L521-1 du code de la construction et de l’habitation, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, en tant qu’ils imposent le relogement des occupants de bonne foi se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français, sont-ils contraires du droit de propriété, consacré aux articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, dès lors que le propriétaire d’un immeuble acquis dans le cadre d’une opération d'aménagement et donc dans un but d’intérêt général, ne pourra pas user, jouir et disposer normalement de ce bien tant qu’il ne se sera pas acquitté de l’obligation de relogement, obligation pourtant impossible à mettre en oeuvre légalement et opérationnellement ?

2) les articles L314-1 et L314-2 du code de l'urbanisme, ensemble l’article L521-1 du code de la construction et de l’habitation, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, en tant qu’ils imposent le relogement des occupants de bonne foi se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français, sont-ils contraires au principe de sécurité juridique, à la garantie des droits et à l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté, d’intelligibilité et d'accessibilité à la norme, consacrés aux articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, alors que l’obligation de relogement expose son débiteur au délit pénal de séjour irrégulier prévu à l’article L 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ?

3) les articles L314-I et L314-2 du code de l’urbanisme, ensemble l’article L521-1 du code de la construction et de l’habitation, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, en tant qu’ils imposent le relogement des occupants de bonne foi se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français, sont-ils entachés d’incompétence négative au regard des dispositions combinées des articles 16 de la Déclaration de 1789, consacrant la garantie des droits et le principe de sécurité juridique et de l’article 34 de la Constitution, faute de préciser que le débiteur de cette obligation ne peut être poursuivi au titre du délit d’aide au séjour irrégulier prévu à l’article L 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Par jugement du 7 mai 2015, le juge de l’expropriation de [LOCALITE 25] a déclaré recevable en la forme maïs irrecevable au fond la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Soreqa visant les articles L 324-7 et L 314-2 du code de l’urbanisme et l’article L 521-1 du code de Ia construction et de l’habitation tels qu’interprétés par la Cour de cassation et dit n’y avoir lieu à transmission de cette question.

Par jugement du 3 juillet 2015, le juge de l’expropriation a débouté la Soreqa de ses demandes d’expulsion des cinq occupants en situation irrégulière.

La Sorega a interjeté appel des deux décisions, le 28 juillet 2015.

Dans ses écritures du 28 septembre 2015, elle demande À la cour, s’agissant des questions prioritaires de constitutionnalité, d’infirmer le jugement du 7 mai 2015 et, statuant à nouveau, de les renvoyer à la Cour de cassation, en vue de leur transmission au Conseil constitutionnel.

Dans son avis du 18 novembre 2015, le ministère public 4 conclu à la recevabilité de l’appel de la Soreqa s’agissant des questions prioritaires de recevabilité, à la recevabilité en la forme des trois questions soulevées, à la recevabilité lu fond de la première question relative à la conformité au droit de propriété des dispositions des articles L314-1 et L314-2 du code de l’urbanisme et de celles de l’article L521-1|du code de la construction et de l'habitation, tels qu’interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt de la 3“ chambre civile du 12 septembre 2012 et à sa transmission. En|revanche, il a considéré que les deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité n’étaient soutenues par aucun moyen sérieux susceptible de justifier une transmission à la Cour de cassation.

Dans leur mémoire déposé au greffe, le 8 janvier 2016, complété par un mémoire en réplique, MM.[K A] et [G C] demandent à la cour de confirmer le jugement du 7 mai 2015 dans toutes ses dispositions et de condamner la Soreqga aux dépens.

Dans son mémoire déposé au greffe, le 18 janvier 2016, [F. G H] demande à la cour de confirmer le jugement du 7 mai 2015 dans toutes ses dispositions et de condamner la Sorega aux dépens.

Par mémoire du 28 septembre 2015, la Soreqa demande à la cour sur le fond d’infirmer le jugement du 3 juillet 2015 du juge de l’expropriation de [LOCALITE 26] et, statuant à nouveau, de surseoir à statuer dans l’attente du renvoi à la Cour de cassation, puis de l’examen des questions prioritaires de constitutionnalité ; en tout état de cause, d’ordonner l’expulsion des intimés et de tous occupants de leur chef, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, le sort des biens laissés sur place étant réglé par les dispositions des articles L 433-1 et suivants, R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, de débouter les intimés et de les condamner aux dépens.

Par mémoires du 18 janvier 2016, [F. H] demande à la cour sur le fond de confirmer le jugement du 3 juillet 2015 en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner la Soreqga, à payer à Me Alexandra Boisset la somme de 1 S00 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et l’alinéa 2 de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par mémoires du 8 janvier 2016, MM.[A B C] demandent, sur le fond, à la cour de confirmer le jugement du 3 juillet 2015 en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner la Sorega, à payer à Me Laville la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et l’alinéa 2 de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les dépens.

MM [D E] et [L M], auxquels le mémoire de l’appelant sur les questions prioritaires de constitutionnalité a été notifié et qui ont signé l’accusé de réception, n’ont pas présenté de mémoire. L’arrêt rendu sera réputé contradictoire.

Motifs de l’arrêt :

Considérant qu’il convient d’ordonner la jonction des procédures suivies sous les numéros 15-15006, 15-15012 et 15-19240, qui sont toutes relatives aux appels concernant le litige opposant la Soreqa aux cinq occupants de l’immeuble exproprié :

Considérant que la Soreqa, appelante, soutient que :

- les trois conditions cumulatives nécessaires pour qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit renvoyée à la Cour de cassation en vue de son renvoi au Conseil constitutionnel sont remplies ;

- la décision entreprise doit être confirmée en ce qu’elle a déclaré recevable en la forme la question, s’agissant de dispositions législatives, qui n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel :

- contrairement à ce qu’a estimé le premier juge, un seul arrêt suffit pour qu’une jurisprudence soit prise en compte dans le contrôle de constitutionnalité, étant souligné que la Cour de cassation a entendu donner à la solution qu’elle a consacrée dans son arrêt du 12 septembre 2012 le caractère d’une décision de principe, l’arrêt ayant été rendu en formation de section et ayant fait l’objet d’une publication au bulletin (arrêt FS-P+B) ;

- les questions présentent par ailleurs un caractère sérieux ;

- l’obligation de relogement des occupants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français méconnaît en effet le droit de propriété, tel qu’il est protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; au cas d’espèce, les sujétions imposées par les articles contestés à l’expropriant, nouveau propriétaire du bien exproprié, ainsi d’ailleurs qu’au bailleur qui accueille l’occupant se trouvant en situation irrégulière, portent une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété, tel qu'il est protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789 ; le droit au logement, qui fonde un droit à l'hébergement d’urgence, ne justifie pas le droit à être relogé dans le même immeuble ou un immeuble équivalent à celui faisant l’objet d’une opération d'aménagement ; d'une manière générale, l’accès aux prestations sociales est subordonné à la régularité du séjour en France et il en va de même pour l’accès au logement social ; le respect de l’ordre public s'oppose à ce que la personne séjournant clandestinement en France sur le territoire français puisse faire consacrer à son profit un droit à être relogée et ainsi à faire perdurer sa situation ;

- l'obligation de relogement se révèle impossible en pratique, de sorte qu’elle est amenée à supporter une charge excessive au regard du droit de propriété ;

- par ailleurs, reloger un étranger en situation irrégulière suppose de commettre un délit pénal, tel que prévu à l’article L622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, l’appréciation portée sur ce point par la 3ème chambre de la Cour de cassation ne liant pas le juge pénal ; les dispositions législatives considérées démontrent une incohérence, contraire aux principes de garantie des droits et d’intelligibilité et d’accessibilité de la norme et plus largement au principe de sécurité juridique entre l'obligation d’assurer le relogement et les dispositions pénales relatives au séjour irrégulier;

- le législateur a entaché les dispositions en cause par une incompétence négative en violation des exigences de garantie des droits, ainsi que de sécurité juridique, faute de prévoir expressément que l’autorité expropriante, qui procède au relogement sur le fondement des articles contestés, n’encoure pas de poursuites pénales au titre de l’article L662-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France ;

Considérant que le ministère public est d’avis que :

- la question est formellement recevable, applicable au présent litige et n’a pas été déclarée conforme à la Constitution ;

- la jurisprudence de la 3ème chambre de la Cour de cassation doit être considérée comme constante, procédant d’un arrêt de principe largement publié, jamais démenti ultérieurement et au contraire confirmé par un second arrêt en même temps qu’il était appliqué par la cour d’appel de Paris ;

- si l’atteinte au droit de propriété par l’obligation de relogement est motivée par un motif d'intérêt général, il peut exister un doute sur sa proportionnalité eu égard aux difficultés mises en exergue par la Soreqa, qui confère un caractère sérieux à la première question posée, justifiant sa transmission à la Cour de cassation ;

- en revanche, les deux dernières questions n’apparaissent pas justifier un renvoi à la juridiction suprême, la commission de l’infraction supposant l’emploi de moyens frauduleux ;

Considérant que MM.[A], [C] et [H] font valoir que :

- l’adage qui leur est opposé selon lequel “personne ne peut se prévaloir de sa turpitude”, n’est ni applicable ni pertinent en l’espèce, dès lors que le$ occupants n’ont pas illégalement contracté un bail ou occupé les lieux, pour lesquels 1l$ acquittent des loyers depuis de nombreuses années:

- la qualité d’occupant de bonne foi leur a été reconnue par la Soreqa, de sorte qu’en vertu des articles L.632-1, L632-2 du code de la construction et de l’habitation et de l’article L314-1 du code de l’urbanisme, qui ne distinguent pas, Selon que la personne évincée par une opération d’aménagement, serait ou non en situation irrégulière, ils doivent bénéficier d’un relogement, les chambres qu’ils occupent constituant leur habitation principale, ainsi que l’ont déjà jugé le tribunal de grande instance de Paris, la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation dans un arrêt du 12 septembre 2012 ;

- le relogement des intéressés par la Soreqa dans son propre parc locatif ou dans celui de la mairie de Paris ou par des bailleurs privés est possible ; des solutions d'hébergement en CHU, CHRS ou autres résidences sociales, ou bien en hôtel meublé, est envisageable ;

Considérant que les moyens tirés d’atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution ont été présentés, devant la cour d’appel, le 28 septembre 2015, dans un écrit distinct des conclusions au fond de la Soreqa ; qu’ils sont motivés et dès lors recevables ;

Considérant, sur la transmission des trois questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de cassation, que l’article 23-2 de l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 dispose que la juridiction transmet sans délai Ia question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Considérant que les dispositions mises en cause, résultent de la combinaison de :

- l’article L314-1 du code de l’urbanisme, modifié par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, qui dispose désormais que “la personne publique qui a pris l’initiative de la réalisation de l’une des opérations d'aménagement définies dans le présent livre ou qui bénéficie d’une expropriation, est tenue envers les occupants des immeubles intéressés, aux obligations prévues ci-après. Les occupants, au sens du présent chapitre, comprennent les occupants au sens de l’article L5S21-1 du code de la construction et de l’habitation, ainsi que les preneurs de baux professionnels, commerciaux et ruraux ;

- l’article L314-2 du code de l’urbanisme modifié par la loi du 85-729 du 18 juillet 1985, applicable à l’espèce, eu égard à la date du transfert de propriété de l’immeuble dont s’agit, le 31 octobre 2012, puis modifié par l’ordonnance n°2014-1345 du 6 novembre 2014, prévoyant l’un et l’autre le droit au relogement des occupants ;

- l’article LS21-1 du code de la construction et de l’habitation., dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, ratifiée par l’article 44 de la loi n° 2002- 872 du 13 juillet 2006, disposant que l’occupant est notamment l’occupant de bonne foi des locaux à usage d’habitation et de locaux d’hébergement constituant son habitation principale ;

Considérant que ces dispositions contestées sont de nature législative ; qu’elles sont applicables au litige tendant à l’expulsion des intimés, puisqu'elles sont relatives à la question de savoir si la nécessité de procéder, selon les modalités qu’elles prévoient, au relogement d’occupants de bonne foi mais en situation irrégulière sur le territoire français, concernés par une opération d'aménagement, ne sont pas, d’une part, contraires au droit de propriété ou n’exposent pas, d’autre part, le débiteur de l’obligation de relogement au délit pénal de séjour irrégulier ;

Considérant qu’elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant que les questions posées mettent en cause la constitutionnalité des textes précités, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, laquelle considère, selon l’appelante, que l’obligation de relogement s’applique à tous les occupants de bonne foi, qu’ils soient ou non en situation régulière sur le territoire français ; qu’il convient de déterminer s’il s’agit bien d’une jurisprudence constante ;

Considérant que les dispositions législatives précitées font en effet l’objet d’une jurisprudence de la Cour de cassation, caractérisée par un arrêt de la 3ème chambre civile du 12 septembre 2012 reconnaissant le droit au relogement à un occupant de bonne foi, même s’il est en situation irrégulière ; que cet arrêt n’a jamais été démenti à ce jour ; qu’appliqué dans plusieurs décisions de cour d’appel, il a fait l’objet d’une large publication, tant au bulletin de la Cour de cassation qu’au bulletin d’information bimensuel, distribué à chaque magistrat, de sorte qu’il doit être à ce jour considéré, eu égard au délai de plus de trois années depuis sa date, comme une jurisprudence constante ;

Considérant sur le caractère sérieux des questions posées, que les deux dernières questions en apparaissent dépourvues, dès lors que la Soteqa fait reposer l’absence de constitutionnalité des textes précités, tels qu’interprétés| par la Cour de cassation :

- dans la question 2, sur leur contrariété alléguée au principe de sécurité juridique, à la garantie des droits et aux objectifs de clarté, d’intelligibilité et d'accessibilité à la norme,

- dans la question 3, au fait qu’ils seraient entachés d’incompétence négative au regard des dispositions combinées des articles 16 de la Déclaration de 1789 consacrant la garantie des droits et le principe de sécurité juridique, et de l’article 34 de la Constitution, dans ces deux cas, sur la même conjecture manifestement erronée que le débiteur de cette obligation de relogement puisse être poursuivi ou courir le risque d’être poursuivi au titre du délit d’aide au séjour irrégulier prévu à l’article L622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Considérant en effet que, comme le souligne le ministère public, les dispositions pénales visées ont pour finalité de poursuivre toute personne qui, par aide directe ou indirecte, facilite le séjour irrégulier d’un étranger en France quand cette aide est apportée par des moyens frauduleux ; qu’il est hors de tout doute sérieux que le relogement, conformément aux dispositions du code de l’urbanisme afférentes à l’expropriation pour cause publique, telles qu’interprétés par la Cour de cassation, d’un occupant de bonne foi mais en situation irrégulière, ne peut exposer la Soreqa aux poursuites pénales qu’elle évoque à l’appui de ces deux questions prioritaires de constitutionnalité ; qu’il n’y pas lieu, dans ces conditions de transmettre ces questions à la Cour de cassation ;

Considérant en revanche sur la première question que la Sorequa fait valoir que l’obligation de relogement qui pèse sur elle de reloger une personne en situation irrégulière lui pose des problèmes matériels et juridiques tellement lourds que les textes en cause, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, sont attentatoires à son droit de propriété ;

Considérant que la Soreqa verse aux débats, à l’appui de ses dires :

- une attestation de la sous-directrice de l’habitat de la ville de Paris du 25 août 2014, selon laquelle les occupants en situation irrégulière sur le territoire français ne peuvent, en vertu des articles L441-1, R441-1, R441-2-3 et R441-2-4 du code de la construction et de l'habitation, être légalement inscrits au fichier des demandeurs de logement locatif social, ce qui les empêche d’accéder à ce secteur;

- une note du directeur du Service immobilier et social Ile de France indiquant que ne peuvent pas bénéficier de l’intermédiation locative consentie par le dispositif Solibail et financé par la DRITHL, permettant aux Services intégrés de l’accueil et de l’orientation vers des associations spécialisées, les candidats qui ne sont pas en mesure de justifier de leur présence légale sur le territoire français ;

- une attestation de sa directrice du 12 mai 2015 précisant qu’elle ne dispose dans son patrimoine que d’immeubles devant faire l’objet de réhabilitation lourde en site inoccupé ou d’opérations de démolition-reconstruction, qui ne permettent pas d’y effectuer des relogements ;

- un Courrier d’un Cabinet d'administration de biens et de locations, dont il ressort qu’en l'absence de ressources régulières du candidat, il n’est pas possible de lui trouver un appartement dans le secteur privé ;

Considérant qu'au vu des difficultés dont fait état et quel justifie la Soreqa pour satisfaire l’obligation de relogement d’un occupant en situation irrégulière, susceptible d’occasionner une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, la Question soumise n’apparaît pas, ainsi que le considère le ministère public, dépourvue de sérieux, de sorte qu’elle doit être transmise à la Cour de cassation ;

Considérant que le jugement doit en conséquence être partiellement infirmé sur ce point

Considérant qu’il sera sursis à statuer sur toutes les autres demandes des parties jusqu’à la décision de la Cour de cassation et, le cas échéant, jusqu’à décision sur la constitutionnalité des textes en cause ; que, dans cette attente, l’affaire sera retirée du rôle et pourra être rétablie, dès la survenance de la ou des décision (s) attendue (s), à la demande de la partie la plus diligente ;

PAR CES MOTIFS,

la cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort,

- ordonne la jonction des procédures suivies sous les numéros 15-15006, 15-15012 et 15- 19240 qui seront désormais suivies sous le numéro de rôle 15-15006 ;

- confirme le jugement du 7 mai 2015 en ce qu’il a refusé de transmettre à la Cour de cassation les deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité posées par la Soreqa ;

- infirme le jugement en ce qu’il a refusé de transmettre la première question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Soreqa ;

- statuant à nouveau sur ce point, ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

“Les articles L 314-1 et L 314-2 du code de l’urbanisme, ensemble l’article LS21-1 du code de la construction et de l’habitation, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, en tant qu’ils imposent le relogement des occupants de bonne foi se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français, sont-ils contraires au droit de propriété, consacré aux articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, dès lors que le propriétaire d’un immeuble acquis dans le cadre d’une opération d’aménagement et donc dans un but d’intérêt général, ne pourra pas user, jouir et disposer normalement de ce bien tant qu’il ne se sera pas acquitté de l’obligation de relogement, obligation pourtant impossible à mettre en oeuvre légalement et opérationnellement ?”

- dit que le présent arrêt sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec Îles mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

- dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

- sursoit à statuer sur le surplus des demandes des parties jusqu’à la décision de la Cour de cassation et, le cas échéant, celle du Conseil constitutionnel ;

- ordonne le retrait de l’affaire du rôle et dit qu’elle pourra être rétablie dès la survenance de la décision attendue à la demande de la partie la plus diligente ;

- réserve les dépens.

LA GREFFIERE

LE PRÉSIDENT