Tribunal de grande instance de Paris

Jugement du 12 avril 2016 n° 11314092031

12/04/2016

Renvoi

Cour d'Appel de PARIS

Tribunal de Grande Instance de PARIS

Jugement du 12/04/2016

llème chambre correctionnelle/1

N° minute 1

N° parquet : 11314092031

JUGEMENT CORRECTIONNEL

À l'audience publique du Tribunal Correctionnel de PARIS le 12 avril 2016 à 9 heures,

Composé de :

Président : Monsieur GERON Olivier, vice-président,

Assesseurs : Madame VIGUIER Caroline, vice-président,

Monsieur QUIGNIOT Roger, juge,

assistés de Madame MÉLINE Marie, greffier,

en présence de Monsieur JEANJEAN Pierre, vice-procureur,

a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR de la RÉPUBLIQUE, près ce tribunal,

ET

PRÉVENU :

Nom : [H S]

né le [DateNaissance 1] 1970 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de [H T] et de [R Q]

Nationalité : française

Situation professionnelle : gérant

Antécédents judiciaires : déjà condamné

demeurant : [adresse 4] - [LOCALITE 5]

Situation pénale : libre

COMPARANT assisté de Maître RUPFERBERG Christian et Maître REIFEGERSTE Stephan avocats au barreau de PARIS, qui dépose des conclusions de question prioritaire de constitutionnalité régulièrement datées et visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.

Prévenu des chefs de :

✓ ABUS DES BIENS OÙ DU CRÉDIT D'UNE S.A.R.L. PAR UN GÉRANT À DES FINS PERSONNELLES,

✓ BLANCHIMENT PAR CONCOURS À UNE OPÉRATION DE PLACEMENT, DISSIMULATION OU CONVERSION DU PRODUIT D'UN DÉLIT PUNI D'UNE PEINE N'EXCÉDANT PAS 5 ANS,

✓ FAUX PAR ALTÉRATION FRAUDULEUSE DE LA VÉRITÉ DANS UN ÉCRIT,

✓USAGE DE FAUX EN ÉCRITURE,

✓TENTATIVE D'ESCROQUERIE,

✓ BANQUEROUTE PAR DÉTOURNEMENT OU DISSIMULATION DE TOUT OU PARTIE DE L'ACTIF.

en présence de :

x PARTIE CIVILE :

ÉTAT FRANÇAIS représenté par Maître Claire LITAUDON, avocat au barreau de PARIS,

x PRÉVENUS :

- [Y Z] comparant et assisté de Maître Lucile CARDONNET, avocat au barreau de PARIS,

- [L X] comparant et assisté de Maître Jean-Marc BENAMOU, avocat au barreau de PARIS,

- [L M] non comparant et représenté par Maître Jean-Marc BENAMOU, avocat au barreau de PARIS, muni d'un pouvoir de représentation daté du 5 avril 2016,

- [N O] comparant et assisté de Maître François-Xavier LUCAS, avocat au barreau de CRÉTEIL,

- [E F] comparant et assisté de Maître Jean-Yves LEGOFF, avocat au barreau de PONTOISE,

- [R] épouse [H Q] et [H T] comparants et assistés de Maître Pierre ROQUEFEUIL, avocat au barreau de PARIS, et en présence de [U V], interprète en kabyle (inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de PARIS),

- [C D] comparant et assisté de Maître Karine GERONIMI, avocat au barreau de PARIS.

L'affaire a été appelée successivement aux audiences des :

- 8 décembre 2015 pour audience agenda et renvoyé pour examen au fond,

- 6, 11 et 12 avril 2016 pour examen au fond.

DÉBATS

[H S] a été cité par le procureur de la République, selon acte d'huissier de justice délivré à personne le 15 octobre 2015 pour l'audience du 8 décembre 2015, au cours de laquelle il a été renvoyé contradictoirement à celles des 8, 11 et 12 avril 2016.

Il est prévenu :

- D'avoir, à [LOCALITE 6] et en [LOCALITE 7], du 1er décembre 2010 au 30 juin 2011, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, en tant que gérant de la SARL URBA SECURITE PRIVÉE, fait de mauvaise foi, des biens ou du crédit de cette société, un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était directement ou indirectement intéressé, en l'espèce par :

1.Des chèques d'un montant total de de 320.366,52 euros encaissé par la société néerlandaise NEDLUX TRADING BV justifié en comptabilité par de fausses factures de sous-traitance établies au nom de la société CASAL GARDIENNAGE SECURITE PRIVEE,

2.Un chèque d'un montant de 12.000 euros établi sans justification comptable et encaissé par cette même société NEDLUX TRADING BV, société de distribution de pièces automobiles dépourvue de lien commerciaux avec la société victime,

3.Un chèque de 28 570,60 euros établi sans justification comptable et encaissé par la société allemande OSNARENT Gmbh, holding de la société néerlandaise NEDLUX TRADING BV,

4.9 chèques d'un montant total de 60 210 euros versés à la société Anassurance sur facturation par celle-ci d'une prestation fictive de démarchage de clientèle,

5 Un chèque de 28.000 euros établi sans justification sans ordre et encaissé par la société PCS STERBAT société dépourvue de liens commerciaux avec la société victime,

6.Un chèque de 74.152 euros encaissé par la société NURERK, crée le 26 janvier 2011, et justifié en comptabilité par une fausse facture de travaux datée du 23 décembre 2010,

7.Un chèque de 39.647,40 euros établi sur la base de deux factures de sous- traitance, au nom de la société CASAL GARDIENNAGE SECURITE PRIVEE et encaissé par la société SCI MT DECOR société dépourvue de lien commerciaux avec la société victime,

8,Des chèques d'un montant total de 16.300 euros établis sur une fausse facture de mobilier et encaissés par la société TRADING WORLD société dépourvue de lien commerciaux avec la société victime,

faits prévus par ART.L.241-3 4°, ART.L.241-9 C. COMMERCE. et réprimés par ART'L.241-3, ART.L.249-1 C. COMMERCE,

- D'avoir, à [LOCALITE 8] et en [LOCALITE 9], du 1er décembre 2010 au 30 juin 2011, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, en tant que gérant de la SARL URBA SECURITE PRIVEE, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits d'abus de biens sociaux

1 Pour un montant de 320.366,52 euros en obtenant de fausses factures légitimant la sortie comptable de cette somme et en procédant au versement non causé de celle-ci sur le compte bancaire français d'une société tiers sans aucun lien avec la société victime, la société néerlandaise NEDLUX TRADING BV, compte à partir duquel la somme était ensuite transférée à l'étranger,

2 Pour un montant de 12.000 euros en procédant au versement non causé de cette somme sur le compte bancaire français d'une société tiers sans aucun lien avec la société victime, la société néerlandaise NEDLUX TRADING BV, compte à partir duquel la somme était ensuite transférée à l'étranger,

3 Pour des montants de 28.570,60 euros en procédant au versement non causé de ces sommes sur le compte bancaire d'une société tiers sans aucun lien avec la société victime, la société allemande OSNARENT GMBE, par le moyen de deux chèques portant respectivement Îles mentions «carte tel» et «[A B] »,

4 Pour un montant total de 60 210 euros en versant cette somme à la société Anassurance sur facturation par celle-ci d'une prestation fictive de démarchage de clientèle,

5. Pour un montant de 28.000 euros versé suite à la transmission d'un chèque établi sans justification et sans ordre jusqu'à la société PCS STERBAT société dépourvue de liens commerciaux avec la société victime mais pouvant apparaître comme un créancier crédible,

6.Pour un montant de 74,152 euros en intégrant en comptabilité une fausse facture au nom de la société NUREK, bénéficiaire du paiement réalisé pour une prestation ficitve,

7.Un chèque de 39.647,40 euros établi sur la base de deux factures de sous- traitance, au nom de la société CASAL GARDIENNAGE SECURITE PRIVEE et encaissé par la société SCI MT DECOR société dépourvue de lien commerciaux avec la société victime, alors même que les fausses factures avaient déjà justifié d'autres sorties comptables vers la société NEDLUX TRADING BV, et que la société bénéficiaire se réclamait ensuite d'une vente fictive de mobilier,

faits prévus par ART.324-1 AL.2,AL.3 C.PENAL. et réprimés par ART.324-1 AL.3, ART.324-3, ART.324-7, ART.324-8 C.PENAL.,

D'avoir à [LOCALITE 10] et en [LOCALITE 11], courant 2011, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, altéré frauduleusement la vérité dans un écrit ayant pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, en l'espèce en participant à l'établissement de 11 fausses factures, au nom de la société CASAL GARDIENNAGE SECURITE PRIVEE alors radiée, relatives à des prestations de sous-traitance fictives et en utilisant celle-ci dans la comptabilité de la SARL URBA SECURITE PRIVEE puis en les adressant aux services fiscaux,

faits prévus par ART.441-1 C.PENAL. et réprimés par ART. 441-1 AL.2, ART.441-10, ART.441-11 C.PENAL.,

D'avoir à [LOCALITE 12] et en [LOCALITE 13], courant 2011, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, altéré frauduleusement la vérité dans un écrit ayant pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, en l'espèce en participant à l'établissement de 11 fausses factures, au nom de la société CASAL GARDIENNAGE SECURITE PRIVEE alors radiée, relatives à des prestations de sous-traitance fictives et en utilisant celle-ci dans la comptabilité de la SARL URBA SECURITE PRIVEE puis en les adressant aux services fiscaux,

faits prévus par ART.441-1 C.PENAL. et réprimés par ART.441-1 AL.2, ART.441-10, ART.441-11 C.PENAL.,

D'avoir à [LOCALITE 14] courant 2011, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, en tant que gérant de la SARL URBA SECURITE PRIVEE, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce par la présentation de fausses factures concernant une prestation de sous-traitance fictive, tenté de tromper l'administration fiscale pour la déterminer à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, en l'espèce l'octroi d'un remboursement de crédit de TVA à hauteur de 58 877 euros, ladite tentative n'ayant manqué son effet que par suite d'une circonstance indépendante de sa volonté, en l'espèce le refus de l'administration de prendre en compte des factures considérées comme non causées,

faits prévus par ART.313-1 C.PENAL. et réprimés par ART.313-1 AL.2, ART.313-7, ART313-8 C.PENAL. et vu les articles 121-4 2° et 121-5 du code pénal,

Avoir, à [LOCALITE 15] et en [LOCALITE 16], du 1er décembre 2010 au 30 juin 2011, étant gérant de la SARL URBA SECURITE PRIVEE, personne morale de droit privé faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire prononcée par jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 28 juin 2011, commis le délit de banqueroute en détournant ou en dissimulant tout ou partie de l'actif en l'espèce en faisant voter et en assurant le versement de dividendes au bénéfice de [AA-BB] et de ses parents, seuls actionnaires de la SARL, à hauteur de 850.000 euros par l'assemblée générale du 15 décembre 2010 et de 1.090.000 euros par l'assemblée générale du 30 janvier 2011 alors que ces premiers versements de dividende depuis la création de la société intervenaient sur la base de faux bilans comptables, alors qu'elle venait de perdre son client quasi-uniqué, qu'elle était en procès avec les URSAAF pour une somme de 501.537 euros, laquelle n'avait fait l'objet d'aucun provisionnement, et que le passif déclaré à la cessation des paiements s'élevait , in fine, à 1.462.619,05 euros pour un actif inférieur à 8000 euros, faits prévus par ART.L.654-2 2°, ARTL.654-1 C.COMMERCE. et réprimés par ART L.654-3, ART.L.654-5, ART.L.654-6, ART.L.653-8 AL.1 C. COMMERCE.

Il a comparu à l'audience assisté de son conseil ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

* * *

À l'appel de la cause, le président a constaté la présence et l’identité de [G H S] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

Conformément aux dispositions de l'article 406 du Code de Procédure Pénale, le président a informé le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Vu l'article 61-1 de la Constitution ;

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles R. 49-21 et suivants du Code de Procédure Pénale, notamment l'article R. 49-26 ;

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 6 avril 2016 par Maître KUPFERBERG Christian et Maître REIFEGERSTE Stephan, conseils de [H S] ;

En l'espèce, Maître KUPFERBERG Christian et Maître REIFEGERSTE Stephan, conseils de [H S], avocats au barreau de PARIS, sollicitent du Tribunal que celui-ci saisisse la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les dispositions des articles L. 654-2, 2° L. 654-5, 2° et L. 654-0 du Code de commerce, en ce quelles répriment les mêmes faits qualifiés de manière identique, que ceux visé aux articles L. 653-I à L. 653-8 et, plus particulièrement, à l'article L. 653-4, du Code de commerce, et ce malgré une décision définitive ayant écarté toute sanction sur le fondement de ces dernières dispositions, sont-elles contraires aux principes d'égalité devant la loi pénale découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit au maintien des situations légalement acquises fondé sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

Le ministère public a requis la non transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Maître KUPFERBERG Christian et Maître REIFEGERSTE Stephan, conseils de [H S], ont été ré-entendus.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes :

MOTIFS

En application de l’article 61-1 de la Constitution, «lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d ‘État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé».

L'article R.49-25 du code de procédure pénale prévoit pour sa part que “la juridiction statue sans délai, selon les règles de procédure qui lui sont applicables, sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, après que le ministère public et les parties, entendues ou appelées, ont présenté leurs observations sur la question prioritaire de constitutionnalité”.

En l’espèce, aux termes des conclusions écrites versées aux débats le 6 avril 2016 et développées à l’audience du même jour, la défense de [S H] soulève une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L654-2 2°, L654-5 2° et L654-6 du code du commerce ainsi rédigée :

" Les dispositions des articles L.654-2, 2°, L.654-5, 2° et L.654-6 du Code de commerce, en ce qu'elles répriment les mêmes faits, qualifiés de manière identique, que ceux visé aux articles L.653-1 à L.653-8 et, plus particulièrement, a l'article L.653-4, du Code de commerce, et ce malgré une décision définitive ayant écarté toute sanction sur le fondement de ces dernières dispositions, sont-elles contraires aux principes d'égalité devant la loi pénale découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit au maintien des situations légalement acquises fondé sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ",

La défense fait valoir que ces articles sont bien en lien avec le litige et avec les poursuites, que le Conseil Constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur leur constitutionnalité et qu'en conséquence, la demande est recevable.

Elle soutient que cette question prioritaire de constitutionnalité présente un caractère sérieux dans la mesure où les dispositions critiquées seraient contraires au principe d'égalité devant la loi pénale, au principe de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et au droit au maintien des situations légalement acquises découlant respectivement des articles 6, 8 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,

Le Procureur de la République a exposé dans des réquisitions orales qu'il n'y avait pas lieu de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation au motif que la question serait dépourvue de caractère sérieux.

La partie civile n'a pas soutenu de position, indiquant qu'elle n'était constitué que pour des faits non concernés par cette question prioritaire de constitutionnalité.

SUR LA RECEVABILITÉ DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Il résulte des dispositions de l'article 23-1 alinéa ler de l'ordonnance du 7 novembre 1958 qu'une question prioritaire de constitutionnalité est, «à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé». L'exigence de motivation impose nécessairement de préciser la disposition législative arguée d'inconstitutionnalité, le droit ou la liberté garanti par la Constitution auquel il serait porté atteinte et les éléments caractérisant cette atteinte. L'article R49-21 du code de procédure pénale précise que la juridiction saisie de la question à l'obligation de relever d'office l'irrecevabilité, sans qu'il soit besoin d'en avoir au préalable informé les parties.

En l'espèce, la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité a bien fait l'objet d'un écrit distinct et motivé.

Il y a donc lieu de considérer que la question prioritaire de constitutionnalité, qui est bien soutenue par l'une des parties à l'instance, en l'espèce deux des prévenus, est recevable.

SUR LA TRANSMISSION DE LA DE CONSTITUTIONNALITÉ À LA COUR DE CASSATION

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée du 7 novembre 1958 prévoit que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

— la disposition contestée est applicable au litige et à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites;

- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances;

— la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

1 l'applicabilité au litige

La défense fait valoir que les articles incriminés constituent, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, le fondement des poursuites.

IL apparait effectivement que l'article L654-2 2° constitue le fondement des poursuites tandis que les articles 1654-5 2° et L654-6 définissent des peines complémentaires applicables à l'infraction reprochée au prévenu.

Les articles contestés sont donc bien en lien avec le litige.

2 le caractère nouveau de la question

Une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être transmise à la Cour de Cassation que si l'article qu'elle conteste n'a jamais été déclaré conforme par le Conseil Constitutionnel.

En l'espèce, il ressort de l'examen des sites internet de la cour de cassation et du conseil constitutionnel consacrés à ces questions, que les articles critiqués n'ont jamais fait l'objet d'un examen de constitutionnalité.

3 le caractère sérieux de la question posée

La défense fait valoir que [S H] a fait l'objet, en tant que dirigeant de droit de la société URBA SECURITE SERVICE, d'une procédure devant la chambre des sanctions du tribunal de commerce de [LOCALITE 17] sur requête du Procureur de la République en date du 6 juin 2012, afin que soit prononcée, à son encontre, une mesure de faillite personnelle ou, à défaut, une mesure d'interdiction de gérer, d'administrer ou de contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une où plusieurs de celles-ci.

Par jugement du 27 mars 2013, [S H] a vu prononcer à son encontre une interdiction de gérer. Cependant par arrêt en date du 8 avril 2014, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement et dit qu'il n'y avait pas lieu à sanction personnelle.

La défense fait valoir que, nonobstant cette décision devenue définitive, le Procureur de la République a fait délivrer, le 15 octobre 2015, une citation à comparaitre devant le tribunal correctionnel visant les mêmes faits que ceux reprochés devant le tribunal de commerce et la cour d'appel.

Elle estime qu'en permettant que les poursuites pénales visant les mêmes faits que ceux déjà poursuivis devant la juridiction civile ou commerciale sur le fondement des articles L.653-1 à L.653-8 du Code de commerce aux fins d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer, puissent être à nouveau engagées et prospérer devant la juridiction pénale sur le fondement des dispositions des articles L.654-2, 2°, L.654-5, 2° et L.654-6 du Code de commerce au titre du délit de banqueroute, ces dispositions portent atteinte, en méconnaissance du principe non bis in idem, aux principes d'égalité devant la loi pénale, de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et au droit au maintien des situations légalement acquises.

Il en irait ainsi en raison de l'identité, à la fois, entre la définition des fautes poursuivies devant la juridiction civile ou commerciale en vue du prononcé d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer et du délit de banqueroute poursuivi devant la juridiction pénale, et des sanctions encourues.

3-1 le principe du cumul des poursuites et des sanctions

La règle du "ne bis in idem" n’apparaît pas dans la Constitution maïs se trouve uniquement inscrite à l'article 358 du code de procédure pénale qui dispose que «aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente». Le conseil constitutionnel n’a, jusqu'à ce jour, jamais considéré que la règle du "ne bis in idem" était un principe à valeur constitutionnelle. Néanmoins, il estime que «le principe de nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou administrative en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridiction» ajoutant “toutefois, lorsqu'une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues" et chargeant les autorités administratives et judiciaires de veiller au respect de cette exigence.

De son côté, l’article 4 du protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dispose que «nul ne peut être poursuivi où puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État». L'article 6 du code de procédure pénale dispose, pour sa part, que l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la chose jugée.

Dans son arrêt Grande Stevens, rendu le 4 mars 2014, la Cour européenne des droits de l'homme a indiqué que, dès lors que les deux procédures sont de nature pénale et que les incriminations viennent sanctionner des comportements identiques qui se rapportent aux mêmes faits, il existe une obligation de mettre fin aux poursuites toujours en cours dès lors qu’un jugement définitif est intervenu,

La Cour indique clairement que la garantie offerte par l’article 4 du protocole n°7 entre en jeu «lorsque de nouvelles poursuites sont engagées» (§ 220) ou lorsque les deuxièmes poursuites ouvertes entre-temps «1'ont pas été arrêtées» (§ 223) et que «la décision antérieure d'acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée» (§ 220). En prohibant l’ouverture de poursuites, pénales en l'occurrence, alors qu’une procédure répressive administrative a été définitivement clôturée, la Cour interdit l’engagement de nouvelles poursuites pour des faits définitivement jugés selon une procédure de même nature et, a fortiori, le prononcé d’une deuxième sanction pour des faits déjà passés en force de chose jugée.

3-2 l'application au cas d'espèce

Il ressort du dossier que la cour d'appel de Paris a rendue, le 8 avril 2014, une décision devenue définitive alors que les présentes poursuites pénales ont été initiées en novembre 2015.

La procédure devant le tribunal de commerce a été initiée, conformément aux dispositions de l'article L653-7 du code de commerce, par le ministère public.

L'article L.653-4 du code de commerce dispose que “le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après : [...] 5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale".

Il ressort de la décision rendu en premier ressort le 27 mars 2013, que le tribunal de commerce était saisi, entre autre, d'un détournement d'actif par virement, sur son compte personnel, d'une somme de 374 000 €.

Dans son arrêt du 8 avril 2014, la çour d'appel de Paris mentionne pour sa part la distribution totale de dividende décidée le 31 janvier 2011, soit la somme de 1 090 000 €.

Au terme de la citation délivrée par le Procureur de la République, [S H] est poursuivi pour des faits qualifiés d'abus de biens sociaux, de blanchiment d'abus de biens sociaux, de faux et usage, de tentative d'escroquerie et de banqueroute. Seuls les faits de banqueroute sont concernés par la question posée.

Il est, sur ce point, reproché à [S H] «d'avoir, à [LOCALITE 18] et en [LOCALITE 19], du ler décembre 2010 au 30 juin 2011, étant gérant de la SARL URBA SECURITE PRIVEE, personne morale de droit privé faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire prononcée par jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 28 juin 2011, commis le délit de banqueroute en détournant ou en dissimulant fout ou partie de l'actif en l'espèce en faisant voter et en assurant le versement de dividendes au bénéfice de lui-même et de ses parents, seuls actionnaires de la SARL, à hauteur de 850.000 euros par l'assemblée générale du 15 décembre 2010 et de 1.090.000 euros par l'assemblée générale du 30 janvier 2011 alors que ces premiers versements de dividende depuis la création de la société intervenaient sur la base de faux bilans comptables, alors qu'elle venait de perdre son client quasi-unique, qu'elle était en procès avec les URSAAF pour une somme de 501.537 euros, laquelle n'avait fait l'objet d'aucun provisionnement, et que le passif déclaré à la cessation des paiements s'élevait, in fine, à 1.462.619,05 euros pour un actif inférieur à 8000 euros).

Il apparait que la procédure pénale englobe un plus grand nombre de faits que la procédure commerciale.

Cependant, s'agissant de l'appréciation de l'identité des faits poursuivies, la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 exige que les dispositions contestées répriment les mêmes faits qualifiés de manière identique, ce qui est le cas en l'espèce pour une partie des faits qualifiés de banqueroute par la citation. Elle n'exige nullement que les deux procédures menées concurremment concernent exclusivement" des faits identiques.

Il apparait donc qu'il existe bien une identité, au moins partielle, des faits poursuivis.

Les dispositions pénales des articles L654-1 et suivants du code de commerce réprimant la banqueroute frauduleuse ont évidemment pour objet de sanctionner une mise en péril grave de l'ordre public économique, cette infraction constituant d'ailleurs un crime jusqu'en 1958.

Les dispositions prévues aux articles L653-1 à L653-11 concernant la faillite personnelle et d'autres mesures d'interdiction ont, pour leur part, une finalité qui dépasse la simple protection des intérêts des débiteurs. En effet dans le cadre des procédures prévues par ce chapitre du code de commerce, il convient de noter que le tribunal de commerce peut également, conformément aux dispositions de l'article L653-10, prononcer l'incapacité d'exercer une fonction publique élective.

Par ailleurs la sanction prononcée par le tribunal de commerce est mentionnée sur le bulletin numéro 1 du casier judiciaire.

Il apparait donc que les intérêts sociaux protégés semblent similaires et que les sanctions prononcées par le tribunal de commerce ont un caractère pénal.

Dans l'arrêt Grande Stevens précité, la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé que l’interdiction temporaire d’administrer, de contrôler ou de diriger des sociétés cotées en bourse que l'autorité administrative italienne avait infligée aux requérants était une sanction de nature à «porter atteinte au crédit» et à «l'honorabilité» de ces personnes et qu'en conséquence, ces sanctions relevaient bien, du fait de leur sévérité, de la matière pénale,

Dès lors, il ressort bien de la procédure que, nonobstant l'existence d'une décision définitive statuant sur requête du ministère public et écartant les accusations de détournement d'actif, ce même ministère public a saisi le tribunal correctionnel en partie pour les mêmes faits.

Si l'article L654-6 du code de commerce prévoit expressément qu'en cas de condamnation à une interdiction de gérer par le tribunal de commerce, le tribunal correctionnel ne peut prononcer à son tour une telle mesure, la loi est muette sur la situation résultant d'une décision antérieure refusant de prononcer une telle sanction au motif que les faits reprochés au gérant ne sont pas avérés.

Au demeurant une question similaire, portant elle sur les dispositions mis en œuvre par le tribunal de commerce, a été transmise par la 8ème chambre de la cour d'appel de Paris 1er avril 2016.

Compte tenu de ces éléments, il apparaît que la question présente un caractère Sérieux.

SUR LES SUITES À DONNER A LA PROCEDURE AU FOND

Il résulte de l'article 23-3 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel que lorsque la question est transmise, le juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'État où de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel".

Ce même article prévoit qu'il peut être passé outre au sursis à statuer lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance, ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté", lorsque "la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence" et "lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie". Dans ce dernier cas cependant, la juridiction ne peut statuer que "sur les points qui doivent être immédiatement tranchés".

En l'espèce, il n'apparait pas que l'un ou l'autre des cas rendant possible de passer outre au sursis à statuer soit constitué.

Dès lors, et nonobstant la situation qui en résulte tant.en terme de gestion des audiences de la chambre correctionnelle qu'en ce qui concerne les prévenus poursuivis pour d'autres faits, il apparait nécessaire de sursoir à statuer sur le fond jusqu'à ce que la Cour de cassation et, éventuellement, le Conseil constitutionnel, se soient prononcé sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par [S H].

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l’égard de [H S], prévenu ;

AVANT DIRE DROIT :

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation, aux fins d'une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les dispositions des articles L. 654-2, 2°, L. 654-5, 2° et L. 654-6 du Code de commerce, en ce quelles répriment les mêmes faits, qualifiés de manière identique, que ceux visé aux articles L, 653-1 à L. 653-8 et, plus particulièrement, à l'article L. 653-4, du Code de commerce, et ce malgré une décision définitive ayant écarté toute sanction sur le fondement de ces dernières dispositions, sont-elles contraires aux principes d'égalité devant la loi pénale découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit au maintien des situations légalement acquises fondé sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observation des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité,

DIT que les parties et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la décision.

DIT qu'il sera sursis À statuer sur le fond jusqu'à la décision de la Cour de cassation et, éventuellement du Conseil constitutionnel.

ORDONNE le RENVOI à l’audience du 29 août 2016 à 13h30 devant la 11ème chambre/1 du Tribunal correctionnel de PARIS.

et le présent jugement ayant été signé par le président et le greffier.

Le GREFFIER