Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 1er avril 2016 n° 15/03062

01/04/2016

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRET DU 01 AVRIL 2016

(n° 116 , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/03062

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2015 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2014L01478

APPELANT :

Monsieur [L M]

né le [DateNaissance 1] 1952 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de nationalité française

[adresse 4]

[LOCALITE 5]

Représenté par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Ayant pour avocat plaidant Me Assala FARAH, avocat au barreau de Paris, toque D2121

INTIMES :

LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[LOCALITE 6]

SELARL [S-R] prise en la personne de Maître [X R], ès qualité de mandataire liquidateur de la SARL ACTION D’INGENIERIE EN PROCÉDURES COLLECTIVES - AIPC

42Ter, Boulevard Rabelais

[LOCALITE 7]

Représentée par Me Nathalie CHEVALIER, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC143

Ayant pour avocat plaidant Me Sylvain DROUVILLE; avocat au barreau de VAL-DE.- MARNE, toque : PC 143

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre

M. Laurent BEDOUET, Conseiller

Mme Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Corinne DE SAINTE MAREVILLE

Ministère Public : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Marc BRISSET-FOUCAULT, Avocat Général, qui a fait connaître son avis.

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine HEBERT- PAGEOT, présidente et par Madame Pervenche HALDRIC, greffière présente lors du prononcé.

Par jugement du 14 septembre 2011, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la Sarl Action d'Ingénieries dirigée par M [M] et a désigné la Selarl [S - R], prise en la personne de Maître [R], en qualité de liquidateur.

Le 11 juillet 2014, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré M [M] coupable des faits qualifiés d'abus de biens ou du crédit d'une Sarl par un gérant à des fins personnelles, de non établissement de l'inventaire des comptes annuels ou du rapport de gestion et de banqueroute et l'a condamné à 100 jours-amendes à 50 euros et à trois ans d'interdiction de gérer toute entreprise ou société commerciale.

Sur requête du ministère public visant les articles L 653-5,6° et L 653-8 du code du commerce, le tribunal de commerce de Créteil a, par jugement du 28 janvier 2015, prononcé à l'encontre de M [M] une sanction de faillite personnelle d’une durée de 10 ans en assortissant cette décision de l'exécution provisoire, qui a toutefois été suspendue le 16 avril 2015 par le délégataire du premier président.

M [M] a relevé appel de cette décision selon déclaration du 11 février 2015, et demande à la cour dans ses conclusions signifiées le 26 janvier 2016 de constater l'illégalité et l'irrégularité du jugement du 28 janvier 2015 et d’en prononcer la réformation.

Par mémoire distinct signifié le 26 janvier 2016, M [M] demande à la cour de prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du 6° de l'article L. 653-5 du code de commerce pour violation de la Constitution du 4 octobre 1958, de constater que la question soulevée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites, de constater qu'un changement de circonstances de droit et/ou de fait est survenu depuis la décision du Conseil Constitutionnel se prononçant sur la disposition contestée qui justifie qu'elle soit de nouveau jugée par le Conseil Constitutionnel, de constater que la question présente un caractère sérieux et de la transmettre à la Cour de cassation sans délai afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil Constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

Vu les conclusions de la Selarl [S - R], ès qualités qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Action d’Ingenierie en procédures collectives, en date du 8 mars 2016 demandant à la cour de constater que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur Particle L 653-5,6° du code du commerce, qu’elle constitue l’un des fondements de poursuite de M [M] devant la cour d’appel de Paris, de constater qu’elle n’a pas été tranchée par le Conseil Constitutionnel mais qu’elle ne présente pas de caractère sérieux, en conséquence, de débouter M [M] de sa demande de transmission à la Cour de cassation et y ajoutant de le condamner aux entiers dépens,

Vu l’avis écrit de M l’avocat général en date du 8 mars 2016 exposant que la question prioritaire de constitutionnalité posée ne s’applique pas au litige et qu’il n’y a pas lieu à transmission à la Cour de cassation,

Vu l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958,

SUR CE

Dans le cadre de l’appel du jugement du tribunal de commerce de Créteil qui a prononcé à l'encontre de M [M] une sanction de faillite personnelle, pendant devant la présente cour, l’appelant soulève par mémoire distinct la question de la constitutionnalité de l’article L 653-5, 6, du code du commerce, faisant valoir que cette disposition autorise un cumul de poursuites et de sanctions à raison des mêmes faits qui aboutit à violer le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, qu'il a fait l'objet de plusieurs poursuites et sanctions à raison de faits identiques, les délits de banqueroute pour défaut de tenue de la comptabilité et de défaut d'établissement des comptes sociaux réprimant en l'espèce les mêmes faits qui sont également punis par la sanction de la faillite personnelle de l'article L. 653-5 et que le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 18 mars 2015, a déclaré dans une hypothèse semblable contraire à la Constitution des dispositions autorisant un cumul de sanctions à raison des mêmes faits.

Selon l’article L 653-5 du code du commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L653-1 contre laquelle il a été relevé l’un des faits ci-après[.….] 6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables,”

L’article L 653-8 du même code permet au tribunal dans les cas prévus aux articles L653-3 à L 653-6 du code du commerce de prononcer à la place de la faillite personnelle une interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale toute exploitation agricole et toute personne morale.

L'article 126-1 du code de procédure civile prévoit que la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Aux termes de l’article 23-2 de cette ordonnance, il est procédé à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité si les conditions suivantes sont réunies:

- la disposition contestée est applicable au litige,

- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances,

- La question n’est pas dépourvue de sérieux.

L’article L 653-5, 6°, du code du commerce est bien applicable au litige en ce qu’il constitue l’un des fondements visés dans la requête en sanction dont le ministère public a saisi le tribunal de commerce.

Il n’est ni avéré, ni même allégué que cette disposition spécifique a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel.

Le ministère public et la Selarl [S - R], ès qualités, contestent le caractère sérieux de la question et font valoir, d’une part, l’absence d’identité des poursuites, les préventions pénales étant en l’espèce plus larges que l’objet de la requête et la peine complémentaire d’interdiction de gérer pouvant être prononcée par le juge répressif même en l’absence de poursuites pour banqueroute, d’autre part, le fait que le jugement correctionnel n’était pas définitif au moment où le tribunal de commerce a prononcé la faillite.

Des pièces au débat il ressort que M [M] a fait l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel, d’une part, en sa qualité de dirigeant de la société Agence d’Ingenierie en procédures collectives, pour abus de biens sociaux (L 241-3,4° et L 241-9 du code du commerce), d’autre part, en sa double qualité de gérant des sociétés Agence d’Ingenierie en procédures collectives et Action d’Ingenierie en procédures collectives pour avoir omis d’établir pour chaque exercice les comptes annuels ( articles L 241-4,1°, L.223-26 et L241-9 du code du commerce } et pour banqueroute par abstention de tenue de comptabilité ( L 654-2,4° et L654-1 du code du commerce). Il a été reconnu coupable de l’ensemble de ces faits et condamné à titre principal à cent jours-amendes de 50 euros et à titre de peine complémentaire à une interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de trois ans.

Si la requête aux fins de sanction saisissant le tribunal de commerce au visa notamment de l’article L653-5,6° du code du commerce ne concerne que des faits reprochés à [N. M] en sa qualité de gérant de la société Action d’Ingenierie en procédures collectives, il n’en demeure pas moins, qu’en dépit de fondements textuels distincts les griefs reposent sur des faits qui sont pour partie en substance les mêmes que ceux sanctionnés par le tribunal correctionnel, la juridiction répressive ayant retenu tant pour Action d’Ingenierie en procédures collectives que pour la seconde société, la culpabilité du dirigeant pour le délit d’omission d’établissement des comptes annuels du 1% janvier 2008 au 16 mars 2009 et pour le délit de banqueroute par abstention de tenue de comptabilité pour la période du 16 mars 2009 au 14 septembre 2011, en visant le fait que M [M] n’a fourni aucun document comptable en dépit des demandes réitérées adressées par la brigade financière, l’administration fiscale et Maître [R], la juridiction commerciale ayant quant à elle prononcé une sanction de faillite personnelle en considération du fait qu'il n’avait pu être constaté l’existence et la tenue d’une comptabilité régulière et sincère prescrite par les articles L123-12 et suivants du code du commerce.

Les articles L 654-$ et l’article L 249-1 du code du commerce prévoyant respectivement la possibilité pour le tribunal correctionnel de prononcer une peine complémentaire d'interdiction de gérer en cas de banqueroute ou de défaut d’établissement des comptes annuels, il s’ensuit que tant le juge répressif que le tribunal de la procédure collective peuvent sur la base des dispositions qui leur sont propres prononcer une interdiction de gérer et de diriger pour un même manquement relatif à la tenue de la comptabilité.

La circonstance tenant à ce que le délit d’abus de biens sociaux, qui concerne des faits distincts de ceux soumis à la juridiction commerciale, permet en lui-même à la juridiction répressive de prononcer la peine complémentaire d'interdiction de gérer en application de l’article L 249-1 du code du commerce, n’est pas de nature à retirer tout caractère sérieux à la question de constitutionnalité posée, dès lors que [N. M] encourrait également le prononcé de cette peine complémentaire au titre des délits de banqueroute et d’omission d'établissement des comptes annuels pour lesquels il a été condamné.

N’a pas davantage d’incidence sur le sérieux de la question, le fait que le jugement correctionnel n’était pas définitif au jour où le tribunal de commerce a statué, ne l’étant devenu sur les dispositions pénales que le 8 décembre 2015 ensuite du désistement d’appel de M [M], dès lors que la cour appelée à statuer en appel sur la sanction de faillite se trouve confrontée à une condamnation pénale devenue définitive.

Il s’ensuit que la question posée de la conformité à la Constitution de l’article L653- 5, 6, du code du commerce au regard du principe de nécessité et de proportionnalité des peines et de la règle non bis in idem, n’est pas dépourvue de sérieux et doit en conséquence faire l’objet d’une transmission à la Cour de cassation.

Il résulte de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 que lorsque la question prioritaire de constitutionnalité est transmise à la Cour de cassation, la juridiction saisie sursoit à statuer à moins que la personne ne soit privée de liberté à raison de l’instance ou que la loi n’impose à la juridiction saisie de statuer dans un délai déterminé ou en urgence.

L’appel dont est saisi [a cour ne relevant pas de l’une de ces exceptions et l’exécution provisoire du jugement dont appel ayant été arrêtée par le délégataire du premier président, 1l y a lieu de surseoir à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : l’article L 653-S5, 6° du code du commerce est-il conforme à la Constitution au regard du principe de nécessité et de proportionnalité des peines et de la règle non bis in idem ?

Dit que la décision sera transmise à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec le mémoire et les conclusions des parties,

Sursoit à statuer jusqu’à réception de Ia décision de la Cour de cassation sur la question prioritaire de constitutionnalité transmise par arrêt de ce jour,

Réserve les dépens.

La Greffière, La Présidente,