Tribunal de grande instance de Nice

Jugement du 17 mars 2016 n° 15/04822

17/03/2016

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NICE

1ère Chambre Cabinet C

JUGEMENT

PRONONCÉ LE 17 MARS 2016

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

N° RG : 15/04822

N° Minute : 16 /345

AFFAIRE

[A B C D]

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Juge : Madame Nathalie GASTALDI

Greffier : Madame Laetitia LACROIX

Demandeur à la question prioritaire :

Monsieur [A B C D]

né le [DateNaissance 1] 1961 à [LOCALITE 2] ([...])

[LOCALITE 3]

[LOCALITE 4]

Non comparant

Représenté par Me Cyril CHAHOUAR-BORGNA, Avocat au Barreau de NICE

Vu la requête déposée au Greffe des affaires familiales le 19 février 2013 ;

Vu la radiation et le réenrôlement de l'affaire ;

Vu le mémoire aux fins de question prioritaire de constitutionnalité déposé au Greffe le 24 septembre 2015;

Vu l'article 61-1 de la Constitution ;

Vu les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance 58-1067 du 07 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Vu les articles 797 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Vu les réquisitions écrites distinctes du ministère public en date du 1er février 2016 tendant au rejet de la question prioritaire de constitutionnalité ;

Vu les observations orales du requérant présentées à l'audience du 18 février 2016 lors de laquelle il a été porté à sa connaissance les dispositions des articles 126-4 et 126-9 du Code de Procédure Civile.

*****

Monsieur [A D] et Madame [X E épouse D] se sont mariés le [Date mariage 5] 1998 à [LOCALITE 6], un contrat portant adoption du régime de la séparation de biens ayant préalablement été dressé devant Maître GRANDIDIER, Notaire a [LOCALITE 7] le [...] 1998. Deux enfants actuellement mineurs sont issus de leur union : [Y] né le [DateNaissance 8] 1999 et [J] né le [DateNaissance 9] 2001.

Suivant acte notarié du 04 février 2013, les époux ont fait le choix d'adopter le régime de la communauté universelle, conformément aux dispositions des articles 1526 et suivants du Code Civil, Madame [E épouse D] étant atteinte par la maladie.

Monsieur [D] et Madame [E épouse D] ont déposé une requête en homologation de changement de régime matrimonial devant la juridiction de céans. L'affaire a été audiencée à la date du [DateDécès 10] 2013, le ministère public ayant émis un avis favorable à la requête, et Madame [D] est décédée trois jours avant l'audience.

L'affaire a été réenrôlée à la demande de Monsieur [D] suite à sa radiation intervenue le [DateDécès 11] 2013.

Monsieur [D] invoque l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 1397 alinéa 6 du Code Civil.

Il fait valoir que si le principe de l'intervention d'une phase d'homologation judiciaire en présence d'enfants mineurs n'est pas contesté, il demeure contraire au principe d'égalité qu’en pareille hypothèse, la date d'effet du changement de régime matrimonial entre époux soit différente de celle prévue pour les époux sans enfants mineurs de sorte qu'en dépit de l'existence d’un jugement d'homologation, manifestation d'un contrôle nécessaire, les effets du changement de régime matrimonial pourraient être fixés à la date de l'acte notarié comme pour les époux sans enfants mineurs. 1! considère ainsi que la disposition précitée telle qu'issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 contrevient à l’article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen consacrant le principe d'égalité des citoyens devant la loi puisque, pour mémoire, avant la réforme de 2006, l'ensemble des couples, avec ou sans enfants mineurs étaient soumis à l'homologation judiciaire de leur changement de régime matrimonial.

Le ministère public fait valoir que le contrôle du juge en la matière “est prévu non pas dans un seul cas, celui où les époux auraient des enfants mineurs, mais dans trois cas, à savoir également dans les cas où les enfants majeurs de chaque époux et les créanciers, devant obligatoirement être informés de la modification envisagée, décideraient de faire opposition audit projet”. Il ajoute que “dès lors que le contrôle du juge en présence d'enfants mineurs (contrôle obligatoire) et d'enfants majeurs hostiles au projet de changement de régime matrimonial de leurs parents ne paraît pas induire une rupture d'égalité contraire à la Déclaration des droits de l'homme : que l'enfant majeur a en effet la capacité de saisir le juge, ce que n'a pas l'enfant mineur qui doit être représenté obligatoirement par ses parents, d'où une possible contrariété d'intérêts”, de sorte que la question ne présente pas de caractère sérieux.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Sur la recevabilité de la question

La question est soumise dans un mémoire distinct et motivé. Elle est donc recevable au regard des dispositions de l'article 126-3 du Code de Procédure Civile.

Sur la transmission de la question

Rappel des dispositions applicables :

L'article 1397 alinéa 6 du Code Civil dispose que “Lorsque l'un ou l’autre des époux a des enfants mineurs, l'acte notarié est obligatoirement soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux. Le changement a effet entre les parties à la date de l'acte ou du jugement qui le prévoit et, à l'égard des tiers, trois mois après que mention en a été portée en marge de l'acte de mariage. Toutefois, en l'absence même de cette mention, le changement n'en est pas moins opposable aux tiers si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial.”

Applicabilité de la disposition critiquée à la cause : L'article 1397 alinéa 6 précité apparaît ainsi applicable à la requête soumise à l'appréciation du juge s'agissant du texte applicable au changement de régime matrimonial, objet de l'instance en cours.

Caractère nouveau de la question :

La disposition dont il s'agit n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution.

Ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour de Cassation ne sont déjà saisis de la question de sa conformité à la Constitution.

Caractère sérieux de la question :

Le requérant soutient que la disposition législative précitée porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité des droits résultant de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse »,

En l'espèce, il y a lieu de souligner à titre liminaire que le principe du contrôle judiciaire du changement de régime matrimonial par l'intervention d'une phase d'homologation dudit changement par un juge en ce qu'elle vise à préserver des intérêts différents de ceux des époux, à savoir ceux des enfants mineurs, n'apparaît pas contesté par le requérant.

Seule la date d'effet du changement de régime matrimonial apparaît critiquée en ce que, indépendamment du principe de l'existence du contrôle judiciaire, celle-ci diffère alors pour les couples avec ou sans enfants mineurs et ce alors même que l'existence d'une phase d'homologation judiciaire n'apparaît pas par nature incompatible avec une prise d' effet du changement de régime matrimonial au jour du consentement donné devant Notaire. Dès lors, il y a lieu de considérer que la question de l'inconstitutionnalité de la disposition critiquée au regard du principe général d'égalité n'apparaît pas dépourvue de caractère sérieux, mais de nature à faire naître un doute dans un esprit éclairé.

Il convient donc de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité suivante à la Cour de cassation : L'article 1397 alinéa 6 du Cède Civil en ce qu’il prévoit, dans l'hypothèse d'une homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, une date d'effet dudit changement à la date du jugement dans les rapports entre époux alors que dans les autres cas le changement prend effet à la date de l'acte notarié est-il conforme à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?

Sur le fond, il y a lieu de surseoir à statuer.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire, non susceptible de recours,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : L'article 1397 du Code Civil en ce qu'il prévoit, dans l'hypothèse d'une homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, une date d'effet dudit changement à la date du jugement dans les rapports entre époux alors que dans les autres cas le changement prend effet à la date de acte notarié est-il conforme à l’article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions présentées par un écrit distinct et motivé du requérant relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Rappelle les dispositions de l'article 126-9 du Code de Procédure Civile aux termes desquelles : “ les parties disposent d’un délai d’un mois à compter de la décision de transmission pour faire connaître leurs éventuelles observations. Celles-ci sont signées par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation” :

Rappelle les dispositions de l'article 126-11 du Code de Procédure Civile aux termes desquelles “Le président de la formation à laquelle l’affaires est distribuée ou son délégué, à la demande de l’une des parties ou d'office, peut, en cas d'urgence, réduire le délai prévu par les articles 126-9 et 126-10 (...)” ;

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Sursoit à statuer sur les demandes du requérant ;

Dit que l'affaire sera appelée au fond à l'audience du 06 Octobre 2016 à 10h00 ;

Réserve les dépens.

En foi de quoi la présente décision rendue aux jour, mois et an ci-dessus indiqués a été signée par le Président et le Greffier.

LE GREFFIER

LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES