Tribunal de grande instance de Rouen

Jugement du 15 mars 2016 n° 15/03816

15/03/2016

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN

PAC - CONTENTIEUX

JUGEMENT DU 15 Mars 2016

AMP/MU

DOSSIER N° : 15/03816

35 Z Autres demandes relatives au fonctionnement du groupement

AFFAIRE :

SELARL CENTRE D’'IMAGERIE SCINTIGRAPHIQUE ROUENNAIS CISR

C/

Monsieur le Docteur [D E]

Monsieur le Docteur [H G]

Monsieur [F G]

S.A. HSBC

DEMANDERESSE

SELARL CENTRE D’IMAGERIE SCINTIGRAPHIQUE ROUENNAIS CISR, dont le siège social est sis [adresse 1] - [LOCALITE 2]

représentée par la SELARL POINTEL & ASSOCIES, avocats au barreau de ROUEN, vestiaire : 62

DÉFENDEURS

Monsieur le Docteur [D E]

né le [DateNaissance 3] 1964 à , demeurant [adresse 4]

représenté par la SELARL JP MARCILLE, avocats au barreau de ROUEN, vestiaire : 68,

Plaidant par Maître [A-B C], avocat

Monsieur le Docteur [H G]

né le [DateNaissance 5] 1961 à [LOCALITE 6] ([...]),

demeurant [adresse 7] - [LOCALITE 8]

Monsieur [F G],

demeurant [adresse 9] - [LOCALITE 10]

représentés par la SELARL BESTAUX - BONVOISIN, avocats au barreau de ROUEN, vestiaire : 77

S.A. HSBC,

dont le siège social est sis [adresse 11]

représentée par la SELARL HERCE POIROT-BOURDAIN, avocats au barreau de ROUEN, vestiaire : 37

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats : A l’audience publique du 02 Février 2016

JUGE UNIQUE : Manuel URBANDO), Vice Président

GREFFIER ; Anne Marie HERBA, Adjoint Administratif Principal

Faisant Fonction de Greffier

Lors du délibére :

JUGE UNIQUE : Manuel URBANO, Vice Président

JUGEMENT : contradictoire

Et en premier ressort

Prononcé par mise à disposition au greffe à la date du 15 Mars 2016

Le présent jugement a été signé par Manuel URBANO), Vice Président, et par Anne Marie HERBA, Adjoint Administratif Principal Faisant Fonction de Greffier présent lors du prononcé.

* * *

Par acte d’huissier en date du 22 juillet 2015, la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais a fait assigner à jour fixe M. [E], M. [H G] assisté de son curateur M. [F G] et la S.A. HSBC ;

La Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais expose avoir pour objet l'exercice de l’activité de médecine nucléaire par imagerie scintigraphie ; que son capital a été divisé entre MM. [G], [E] et [I] et Mme [J] qui sont tous médecins ; qu’à la suite de diverses difficultés personnelles, MM. [G] et [E] ont été exclus de la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais par des assemblées générales qui se sont respectivement tenues les 1 1 juin 2014 et 22 mai 2013 ; qu'aucun accord n’ayant pu, être trouvé quant au rachat des parts détenues par MM. [G] et [E], un expert a été judiciairement désigné dans les termes de l’article 1843-4 du code civil selon ordonnance en la formé des référés du 27 février 2014 puis ordonnance de référé du 8 janvier 2015 ; que l’expert a déposé son rapport le 26 mars 2015 et a estimé que la valeur des parts de MM. [G] et [E], à la date du jugement (ordonnance du 1 ! juin 2014) devait s’établir à 301 000 Euro pour chacun d’eux; que devant l’inertie de MM. [G] et [E], la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennaïis s’est résolue à saisir le tribunal sur le fondement des articles R 4113-16 du code de la santé publique et 1843-4 du code civil afin qu’il constate le transfert à son profit des parts détenues par MM. [G] et [E], qu'il dise que ces parts ont une valeur totale de 602 000 Euro et qu’il autorise le paiement de cette somme entre les mains d’un séquestre;

Par conclusions spéciales notifiées par voie électronique le 16 octobre 2015, M. [E] a posé une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants :

«L'omission du législateur dans la rédaction de l'article 1843-4 du Code Civil et en conséquence, l'interprétation qui en est faite par la Cour de Cassation en ce qui concerne la date d'évaluation de la valeur des droits sociaux de l'associé en l'absence de disposition statutaire ne porte-t-elle pas atteinte au :

- Droit fondamental de la propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme du 26 août 1789, notamment en ce que la Cour de Cassation considère que la date d'évaluation doit être la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ses droits ; au lieu d'appliquer la date à laquelle l'associé s'est retiré ou a été exclu;

- Principe fondamental de l'égalité du citoyen devant la Loi en ce que :

- Le législateur a fixé une date d'évaluation des parts sociales pour certains cédants «expropriés — évincés - dépossédés», et en s'abstenant pour d’autres.

- La Cour de Cassation traite de manière différente et sans justification les cessions de parts des médecins associés au sein d'une SEL et ceux associés au sein d'une SCP ».

Par conclusions écrites datées du 17 décembre 2015, M. le Procureur de la République près ce tribunal a estimé que la question ne présentait pas un caractère sérieux en ce que l’article 1843-4 du code civil, ainsi rédigé :

« I - Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II.-Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. » n’avait pour objet que de fixer les modalités procédurales de détermination de la valeur des droits sociaux d’un associé et non de prévoir les critères applicables à cette évaluation ;

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 novembre 2015 portant sur le fond et sur la question prioritaire de constitutionnalité, MM. [G] se sont associés à la demande formée par M. [E] ;

Par conclusions notifiées par voie électronique, la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais s’est opposée à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soit posée en soutenant que l’exclusion de MM. [E] et [G] procédait de leur propre comportement fautif et de l’application des statuts de la Selarl ;

La S.A. HSBC a conclu au fond mais n’a émis aucune observation sur la question prioritaire de constitutionnalité ;

Par conclusions spéciales notifiées par voie électronique le 13 janvier 2016, M. [E] a maintenu sa question prioritaire de constitutionnalité ;

Le délibéré a été fixé au 15 mars 2016 ;

MOTIFS

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 :

Vu les articles 126-1 à 126-7 du code de procédure civile ;

Attendu qu’à peine d’irrecevabilité, la partie qui soutient qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé, y compris à l’occasion d’un recours contre une décision réglant tout ou partie du litige dans une instance ayant donné lieu à un refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ; que le juge doit relever d’office l’irrecevabilité du moyen qui n’est pas présenté dans un écrit distinct et motivé ; que les autres observations des parties sur la question prioritaire de constitutionnalité doivent, si elles sont présentées par écrit, être contenues dans un écrit distinct et motivé ; qu’à défaut, elles ne peuvent être jointes à la décision transmettant la question à la Cour de cassation ;

Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [E] l’a été par des écritures spéciales et motivées ; qu’elle est recevable en la forme ;

Attendu que les écrits déposés au nom de la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais par lesquels elle s’oppose à la question sont également spéciaux et motivés ; qu’ils sont de nature à pouvoir être joints à la décision en cas de transmission ;

Attendu en revanche que les écritures déposés aux noms de MM. [G] et de la S.A. HSRC portent également sur le fond de l’affaire ; qu’il n’y aura pas lieu de les joindre à la présente décision en cas de transmission ;

Attendu qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation ; qu’il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Attendu que la disposition contestée, à savoir l’article 1843-4 du code civil, fonde expressément l'instance diligentée par la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais contre M. [E] ; qu’elle est manifestement applicable au litige ;

Attendu que cet article n’apparaît pas avoir déjà été déclaré conforme à la Constitution soit dans les motifs soit dans le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel :

Attendu que M. [E] soutient qu’en ne prévoyant pas la date à laquelle 11 convient d'évaluer les parts détenues par les associés d’une société d’exercice libéral exclus contre leur volonté, le législateur a méconnu sa compétence et a méconnu le droit de propriété des intéressés qui ont été évincés sans indemnité préalable ainsi que le principe d’égalité des citoyens devant la loi dès lors que dans d’autres hypothèses similaires, le législateur a bien prévu une telle date ; que par ailleurs, l'égalité des citoyens devant la loi aurait été également méconnue par l’application qui a été faite de cet article par la Cour de cassation qui dans des situations similaires a adopté des solutions différentes ;

Attendu que les écrits déposés au nom de M. [E] sont argumentés ; qu'ils font état de la méconnaissance de principes à valeur constitutionnelle par la disposition législative critiquée et l’application qui en a été faite indirectement; qu’ils se fonde sur diverses décisions judiciaires ayant adopté des solutions différentes dans des situations relativement similaires ; que la question apparaît sérieuse ; qu’il convient de la transmettre avec les écrits spéciaux déposés au nom de M. [E], ceux déposés au nom de la Selarl Centre d’Imagerie Scintigraphique Rouennais et les écritures prises par M. le Procureur de la République près ce tribunal ;

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en matière de question prioritaire de constitutionnalité ;

Ordonne la transmission à la Cour de cassation des conclusions de M. [E], de celles de la Selarl Centre d’ Imagerie Scintigraphique Rouennais et de celles de M. le Procureur de la République près ce tribunal s’agissant de la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [E] en ces termes :

«L'omission du législateur dans la rédaction de l'article 1843-4 du Code Civil et en conséquence, l'interprétation qui en est faite par la Cour de Cassation en ce qui concerne la date d'évaluation de la valeur des droits sociaux de l'associé en l'absence de disposition statutaire ne porte-t-elle pas atteinte au :

- Droit fondamental de la propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme du 26 août 1789, notamment en ce que la Cour de Cassation considère que la date d'évaluation doit être la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ses droits ; au lieu d'appliquer la date à laquelle l'associé s'est retiré ou a été exclu,

- Principe fondamental de l'égalité du citoyen devant la Loi en ce que :

- Le législateur a fixé une date d'évaluation des parts sociales pour certains cédants «expropriés — évincés - dépossédés», et en s'abstenant pour d’autres.

- La Cour de Cassation traite de manière différente et sans justification les cessions de parts des médecins associés au sein d’une SEL et ceux associés au sein d’une SCP ».

Ordonne le sursis à statuer jusqu’à la réception de la décision de la Cour de cassation ou celle du Conseil constitutionnel s’il devait être saisi :

Rappelle les termes de l’article 126-7 du code de procédure civile :

« Le greffe avise les parties et le ministère public par tout moyen et sans délai de la décision statuant sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

En cas de décision de transmission, l'avis aux parties précise que celle-ci n'est susceptible d'aucun recours et que les parties qui entendent présenter des observations devant la Cour de cassation doivent se conformer aux dispositions de l’article 126-9, qui est reproduit dans l'avis, ainsi que le premier alinéa de l'article 126.

L'avis est adressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception aux parties qui n'ont pas comparu »

Le Greffier