Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 22 janvier 2016 N° 1517081/2-1

22/01/2016

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

 

 

 

N° 1517081/2-1

___________

 

Collectivité de Saint-Martin

__________

 

Ordonnance du 22 janvier 2016

__________

 

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le président de la 2ème section

statuant sur le fondement de l’article R. 771-7

du code de justice administrative

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juillet et 4 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d 'Etat, la collectivité de Saint-Martin, demande au Conseil d’Etat :

 

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté interministériel du 22 avril 2011 fixant le montant des charges et le droit à compensation des compétences transférées à la collectivité de Saint-Martin ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Elle soutient que la dotation globale de compensation aurait dû être abondée par le produit de l’octroi de mer auparavant perçu par la commune de St Martin.

 

Le ministre de l’outre-mer a présenté un mémoire en défense, enregistré au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat le 6 février 2012, par lequel il conclut au rejet de la requête.

 

Il soutient que la recette de l’octroi de mer n’entre pas dans le champ des produits fiscaux visés par l’article LO 6371-5 du code général des collectivités territoriales ; qu’il résulte clairement des débats parlementaires sur la loi organique et la loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre mer que le législateur n’a pas souhaité que la perte du produit de l’octroi de mer soit prise en compte dans le calcul de la dotation globale de compensation ; que par sa décision n° 2008-574 du 29 décembre 2008 le Conseil Constitutionnel a confirmé que l’octroi de mer n’entre pas dans le champ de la compensation.

 

Par une décision rendue le 28 décembre 2013 le Conseil d’Etat statuant au contentieux a considéré que l’arrêté attaqué ne revêt pas un caractère réglementaire et n’entre pas dans le champ du 2° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative dès lors qu’aucune autre disposition ne donne compétence au Conseil d’Etat pour en connaître en premier et dernier ressort et a attribué au tribunal administratif de Paris, le jugement de la requête de la collectivité de Saint-Martin.

Par un mémoire distinct, enregistré au greffe du tribunal administratif de Paris le 19 octobre 2015, après que le dossier a été reçu du Conseil d’Etat le 8 octobre 2015, la collectivité de Saint-Martin représentée par Me Benjamin (Selarl Genesis Avocats) demande au tribunal de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des 1° à 3° du I de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ; la collectivité de Saint-Martin soutient que ces dispositions sont applicables au litige ; qu’elles n’ont pas été déjà déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil Constitutionnel ; que ce dernier par sa décision n° 2014-386 QPC du 28 mars 2014 n’a statué que sur le 3° du paragraphe II de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ; que les dispositions des 1° à 3° du I de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, d’une part méconnaissent les articles 72, 72-2 et 74 de la Constitution, d’autre part ne sont pas conformes aux dispositions des articles LO 6371-4 et LO 6371-5 du code général des collectivités territoriales qui imposent de déterminer l’accroissement net des charges résultant des transferts de compétences et ensuite de les compenser intégralement en utilisant des ressources limitativement énumérées par l’article LO 6371-5.

 

Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2015 la ministre des outre-mer conclut à la non transmission de la question au Conseil d’Etat ; elle soutient que si les dispositions des 1° à 3° du I de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 sont incontestablement applicables au litige, le Conseil Constitutionnel a annulé le VII de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 portant sur l’octroi de mer sans se prononcer sur les autres dispositions de cet article notamment celles qui modifient l’article 104-I de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ; que toutefois pour parvenir à cette conclusion le Conseil Constitutionnel s’est appuyé sur le constat que le VII de l’article 6 de la loi déférée relatif à la répartition du produit de l’octroi de mer entre collectivités territoriales n’est pas au nombre des modalités de compensation de charges dont l’article LO 6371-5 du code général des collectivités territoriales énonce la liste limitative ; que la présente question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas de caractère nouveau ; que l’alinéa 4 de l’article 72-2 de la Constitution aux termes duquel tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient à leur exercice n’est pas applicable en l’espèce ; que l’atteinte invoquée par la requérante au principe de libre administration des collectivités territoriales ne présente pas de caractère sérieux ; que si la commune de Saint-Martin bénéficiait comme les autres communes de Guadeloupe, de la répartition du produit de l’octroi de mer dans les conditions définies par la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, l’article 51 de cette loi exclut expressément l’application des dispositions relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement de l’octroi de mer à la commune de Saint-Martin ; que la recette de l’octroi de mer ne rentre donc pas dans le champ des produits fiscaux recouvrés au titre d’impositions établies sur le territoire de la commune de Saint-Martin au sens des dispositions de l’article LO 6371-5 du code général des collectivités territoriales ; que le principe de libre administration de la collectivité de Saint-Martin est respecté puisque celle-ci dispose de la compétence fiscale pour faire face à ses charges.

 

 

Vu les autres pièces des dossiers.

 

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1,

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, ensemble le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de ladite loi,

-la loi n°2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer ;

-l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008

- le code général des collectivités territoriales,

- le code de justice administrative.

 

1. Considérant que l’article R. 771-7 du code de justice administrative dispose que « Les présidents de tribunal administratif (…), les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (…) peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité » ;

 

2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. » ; et qu’aux termes de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. » ;

 

3. Considérant qu’il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif, saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

4. Considérant que l’article 5 de la loi organique du 21 février 2007 a institué une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dénommée « collectivité de Saint-Martin », qui se substitue, sur le territoire de la partie française de l’île de Saint-Martin et des îlots qui en dépendent, à la commune de Saint-Martin, au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe ; qu’aux termes de l’article LO 6371-4 du code général des collectivités territoriales : « Tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l’Etat, la région ou le département de la Guadeloupe ou la commune de Saint-Martin et la collectivité de Saint-Martin est accompagné du transfert concomitant à la collectivité de Saint-Martin des ressources nécessaires à l’exercice normal de ces compétences » ; qu’aux termes de l’article LO 6371-5 du même code : « Les charges mentionnées à l'article LO 6371-4 sont compensées par le transfert d'impôts, la dotation globale de fonctionnement instituée par l'article L. 6364-3, la dotation globale de construction et d'équipement scolaire instituée par l'article L. 6364-5 et, pour le solde, par l'attribution d'une dotation globale de compensation inscrite au budget de l'Etat. La loi de finances précise chaque année le montant de cette dotation. Dès la première année, elle évolue comme la dotation globale de fonctionnement dans les conditions prévues à l'article L. 1613-1. » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article D. 6371-1 du même code : « Les charges financières supplémentaires résultant pour la collectivité de Saint-Martin des compétences nouvelles qui lui sont attribuées par le livre III de la sixième partie (législative) font l’objet d’une compensation financière, par le transfert d’impôts de l’ Etat, du département ou de la région de la Guadeloupe, de la commune de Saint-Martin et par les dotations de l’Etat mentionnées à l’article LO 6371-5 » ; que l’article D. 6371-2 du même code précise que le montant des charges transférées en application des dispositions de l’article D. 6371-1 est constaté, pour chaque compétence transférée, par arrêté conjoint du ministre chargé de l’outre-mer et du ministre chargé du budget, après avis de la commission consultative d’évaluation des charges de Saint-Martin ;

 

4. Considérant que la collectivité territoriale de Saint-Martin a demandé au Conseil d’Etat le 4 juillet 2011 d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté interministériel du 22 avril 2011 fixant le montant des charges et le droit à compensation des compétences transférées à la collectivité de Saint-Martin ; que par une décision du 26 décembre 2013 le Conseil d’Etat statuant au contentieux a attribué le jugement de la requête au tribunal administratif de Paris ; qu’après que le dossier a été reçu au tribunal, le 8 octobre 2015, la collectivité par un mémoire distinct, enregistré au greffe du tribunal le 19 octobre 2015, a demandé au tribunal de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des 1° à 3° du I de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ; que la collectivité territoriale soutient que ces dispositions qui ne prennent pas en compte pour le calcul de la dotation globale de compensation de Saint-Martin visée à l’article LO 6371-5 du code général des collectivités territoriales le produit de l’octroi de mer dont disposait précédemment la commune de Saint-Martin ne permettent pas de garantir le respect du principe constitutionnel résultant des articles 72 et 72-2 de la Constitution en vertu duquel une nouvelle collectivité d’outre-mer doit se voir assurer de manière pérenne l’attribution de ressources lui permettant de couvrir l’accroissement des charges qui lui sont transférées ; qu’elle soutient également que ces dispositions ne sont pas conformes aux articles LO 6371-4 et LO 6371-5 du code général des collectivités territoriales ;

 

5. Considérant que les dispositions des 1° à 3° du I de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 sont applicables au litige ainsi que l’admet le ministre des outre-mer ; que le ministre des outre-mer fait en revanche valoir que par décision 2008-574 en date du 29 décembre 2008 le Conseil Constitutionnel, saisi de la conformité à la Constitution des dispositions du VII de ce même article 6 de la loi de finances rectificative pour 2008 relatif à la répartition du produit de l’octroi de mer entre collectivités territoriales, a déclaré cet article non conforme à la Constitution comme ayant été adopté selon une procédure irrégulière au motif que cette répartition n’est pas « au nombre des modalités de compensation de charges dont l’article L.O 6371-5 du code général des collectivités territoriales énonce la liste limitative » ; que toutefois les dispositions du 1° du I de l’article 6 ne peuvent être regardées, pour ce seul motif, comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution ; que la question de leur conformité aux principes énoncés aux articles 72, 72-2 et 74 de la Constitution n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; que par suite, il y a lieu de transmettre cette question au Conseil d’Etat ;

 

ORDONNE :

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des 1° à 3° du I de l’article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l’article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 est transmise au Conseil d’Etat .

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la collectivité de Saint-Martin jusqu’à ce que le Conseil d’Etat, ou le Conseil constitutionnel s’il en est saisi, se prononce sur la question visée à l’article 1er.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la collectivité territoriale de Saint-Martin et à la ministre des outre-mer.

 

 

Fait à Paris, le 22 janvier 2016.

 

 

Le président de la 2ème section

 

 

 

 

A. Mendras

 

 

 

La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N° 1511755/2-2

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