Tribunal de Première Instance de Papeete

Ordonnance du 8 octobre 2015, RG N°F 15/00088

08/10/2015

Renvoi

ORDONNANCE N° 15/00077

Du 08/10/2015

RG N°F 15/00088

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE PAPËETE

TAHITI

TRIBUNAL DU TRAVAIL DE PAPEETE

ORDONNANCE DE TRANSMISSION DE LA QPC

AUDIENCE DU JEUDI 08 OCTOBRE 2015

Nous, Gérard JOLY, Président du Tribunal du Travail de Papeete, Juge chargé de la mise en état, séant au Palais de Justice de Papeete, assisté de Christelle LAI FAT, greffière ;

Avons rendu l'ordonnance dont la teneur suit :

ENTRE :

Monsieur [D-E F]

né le [DateNaissance 1] 1954, de nationalité française

demeurant [LOCALITE 2], lot [...] [LOCALITE 3] - [LOCALITE 4]

Représenté par Me Arcus USANG (Avocat au barreau de PAPEETE)

Comparant et plaidant par ce dernier

Demandeur aux fins de sa requête reçue et enregistrée au greffe le jeudi 07 mai 2015

D'une part :

CONTRE :

- La Caisse de Prévoyance Sociale de la Polynésie française, dont le siège social est sis [adresse 5] - [LOCALITE 6], prise en la personne de son directeur

Comparante en la personne de Madame [G H], juriste dûment mandatée

- La DIRECTION DE L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE

sise [LOCALITE 7] - [LOCALITE 8]

Représentée par Me James LAU (Avocat au barreau de PAPEETE)

Comparante et plaidante par ce dernier

- L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT (AJE) POUR LE VICE-RECTEUR

Demeurant [adresse 9] - [LOCALITE 10]

Représenté par Me Dominique BOURION (Avocat au barreau de PAPEËTE)

Comparant et plaidant par ce dernier

Défendeurs aux fins de ladite requête.

D'autre part :

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Par requête du 29 avril 2015, enregistrée au greffe le même jour sous le numéro 15/00085, [D-E F] a saisi le tribunal du travail aux fins de voir:

- dire qu'il a été victime le 6 mai 2013 d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de son employeur ;

- dire consécutivement qu'il a droit à à une rente majorée ;

- ordonner une expertise médicale ;

- Surseoir à statuer Sur l'obligation de réparation intégrale du préjudice par l'employeur dans l'attente de la réponse apportée à la question prioritaire de constitutionnalité du décret 57-245 du 24 février 1957, posée par conclusions séparées ;

il fait valoir que le décret litigieux ne permet pas une réparation suffisante du préjudice d'un salarié dont l'accident du travail résulte d'une faute inexcusable de l'employeur, en violation du droit constitutionnel à réparation des victimes d'actes fautifs ;

Le Procureur soulève l'irrecevabilité de la demande, au motif qu'elle ne répond pas aux conditions de formes requises ;

La CPS conclut au rejet de la demande en soutenant que la décision du Conseil Constitutionnel 2010-8 du 18 juin 2010, qui a émis des réserves sur l'article L452-3 du code métropolitain de la sécurité sociale, n'est pas transposable « en Polynésie française, cet article n'y étant pas applicable ;

L'agent Judiciaire de l'Etat s'oppose aussi à cette demande en faisant valoir que le décret 57-245 n'a pas valeur législative et que l'article 452-3 du code métropolitain de la sécurité sociale n'est pas applicable en Polynésie française ; Il sollicite condamnation du requérant au paiement d'une somme de 150 000 FCP en application de l'article 407 du code de procédure civile ;

À l'audience du 07 septembre 2015, la décision sur incident à été mise en délibéré au 08 octobre 2015 :

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu qu'en application de l'article 23-2 de l'ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958, le tribunal transmet une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation si :

- 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

- 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

- 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Attendu que le Procureur de la République se borne à critiquer le non respect de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, sans préciser en quoi le requérant aurait enfreint celle-ci ;

Attendu que l'indemnisation du préjudice résultant d'un accident du travail en Polynésie française est régi par le décret à valeur législative 57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer et au Cameroun ;

que ce texte n'a pas été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Attendu que l'article L 452-3 du code métropolitain de la sécurité sociale prévoit, en cas de faute inexcusable de l'employeur, qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. » :

qu'en Polynésie française, où ce texte n'est effectivement pas applicable, l'article 34 du décret 57-245 du 24 février 1957 limite à une majoration de la rente versée par la CPS les Conséquences de la faute inexcusable de l'employeur ;

Attendu que par décision du 18 juin 2010, le Conseil Constitutionnel, saisi d'une question préjudicielle de constitutionnalité des articles L 451-1 et L 452-1 à L 452-5 du code métropolitain de la sécurité sociale, a précisé que « en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte (l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale) ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces personnes (la victime d'un accident du travail ou en cas de décès, ses ayants droit) puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale » ;

qu'il a déclaré l'article L 452-3 conforme à la Constitution, sous cette réserve touchant au principe d'égalité devant la loi ;

Attendu que la question du principe d'égalité se pose de manière encore plus criante, s'agissant du texte local, encore moins favorable au droit des victimes d'un accident du travail causé par la faute inexcusable de l'employeur :

Attendu enfin que par arrêt numéro 382754, le Conseil d'Etat s'est déclaré incompétent pour statuer sur la légalité de l'article 34 du décret 57-245 du 24 février 1957 a valeur législative et qu'aucun acte réglementaire n'a été pris depuis par la Polynésie française pour modifier ce texte ; que la juridiction administrative rappelle que « ces dispositions ont été prises pour l'application de l'article 4 de la loi du 23 juin 1956 autorisant le Gouvernement à mettre en oeuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l'évolution des territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer » et qu'« en application de l'article 1er de la loi du 23 juin 1956, l'Assemblée nationale et le Conseil de la République ont, par délibérations conformes, adopté l'article 34 du décret du 24 février 1957 et lui ont ainsi donné valeur législative » ;

Attendu qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient donc de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation afin que celle-ci apprécie l'opportunité de Ia soumettre au Conseil Constitutionnel :

PAR CES MOTIFS

Transmettons la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 34 du décret 57-245 du 24 février 1957, sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d’outre mer et au Cameroun, à la Cour de Cassation, afin que celle-ci apprécie l'opportunité de la soumettre au Conseil Constitutionnel ;

La présente ordonnance a été signée par Gérard JOLY, juge de la mise en état, et par Christelle LAI FAT, greffière présente lors du prononcé.