Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 22 juin 2015 N° 14PA04888

22/06/2015

Renvoi

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

DE PARIS

 

 

N° 14PA04888

__________

 

M. B... A...

__________

 

Ordonnance du 22 juin 2015

__________

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

La Cour administrative d’appel de Paris

 

 

Le président de la 2ème chambre

 

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 13 avril 2015, présenté pour M. B... A..., par le cabinet d’avocats SEGIF, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du

7 novembre 1958 ; M. A... demande à la Cour, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation d’un jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1310665 du 23 septembre 2014 rejetant sa demande tendant à la décharge de l’impôt sur le revenu de l’année 1999 mis à la charge de son foyer fiscal, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article

L. 54 A du livre des procédures fiscales, notamment en ce qu’elles prévoient que les déclarations, les réponses, les actes de procédures faits par l’un des conjoints ou notifiés à l’un deux sont opposables de plein droit à l’autre, sans réserver le cas où la notification de ces actes intervient alors que les conjoints sont séparés de corps en vertu d’une décision juridictionnelle les y autorisant ou divorcés ;

 

M. A... soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige, dès lors que le Tribunal administratif de Paris s’est fondé sur ces dispositions pour rejeter comme irrecevable sa demande, au motif que la réclamation contentieuse introduite par lui devant l’administration fiscale avait, à bon droit, été considérée par cette dernière comme tardive au regard des dispositions de l’article R. 196-1 et de celles des articles L. 54 et L. 54 A du livre des procédures fiscales, alors même qu’au moment de la notification de la proposition de rectification constituant le point de départ du délai de réclamation qui lui est opposé, étant séparé de corps d’avec son épouse, et n’habitant plus le même domicile qu’elle, il ignorait tout de cette notification ;

- ces dispositions n’ont jamais été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question posée n’est pas dépourvue de caractère sérieux au regard de l’atteinte portée en particulier à son droit à l’exercice d’un recours juridictionnel effectif tel qu’il est garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; selon les dispositions de l’article L. 54 A du livre des procédures fiscales, même lorsque les époux sont autorisés par décision de justice à avoir des résidences séparées, seul l’un d’entre eux est destinataire des notifications de l’administration fiscale et l’autre époux, qui n’est pas informé des impositions émises et des procédures diligentées, n’est en conséquence pas en mesure d’exercer dans les délais qui lui sont impartis, un quelconque recours ; l’application des dispositions combinées des articles L. 54, L. 54 A et R. 196-1 du livre des procédures fiscales, a eu pour conséquence, faute pour lui d’avoir été directement informé, de porter une atteinte substantielle à son droit d’exercer, utilement, car dans les délai requis, un recours effectif devant le tribunal administratif ;

Vu les observations en réponse, enregistrées le 4 mai 2015, présentées par le ministre des finances et des comptes publics ; le ministre conclut au rejet de la demande de transmission de la question au Conseil d’Etat ;

 

Il fait valoir que :

- la question de la constitutionnalité de l’article L. 54 A du livre des procédures fiscales ne revêt pas de caractère sérieux dès lors que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de refuser à l’un des époux le droit à un recours juridictionnel effectif au sujet d’une imposition commune établie au nom du foyer fiscal mais permettent au contraire à chacun des époux d’agir au nom du foyer fiscal ;

- si le requérant souligne la situation de l’époux séparé ou divorcé lequel, ayant postérieurement à la période d’imposition commune, quitté le domicile commun, peut avoir des difficultés à être informé de la situation fiscale afférente à la période d’imposition commune, il reste que chaque époux conserve le droit d’accès au dossier fiscal relatif à cette période et peut prendre spontanément contact avec l’administration fiscale pour se tenir informé de la situation fiscale relative à la période d’imposition commune ;

- la disposition en cause, directement liée et adaptée à l’imposition commune des personnes mariées, prévue par l’article 6 du code général des impôts, ne porte pas d’atteintes substantielles au droit garanti, par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, aux personnes intéressées, d’exercer un recours effectif pour contester l’imposition commune;

 

Vu les observations en réplique, enregistrées le 11 juin 2015, présentées pour M. A..., qui maintient ses conclusions par les mêmes moyens et fait en outre valoir que :

 

- le droit à un recours effectif implique qu’une personne intéressée à une action juridictionnelle reçoive les informations appropriées lui permettant de faire valoir ses droits ;

- pour être conforme à la Constitution, il aurait suffi que l’article en cause prévoie la notification des actes de procédures au conjoint séparé de corps ou divorcé qui a informé l’administration fiscale de la séparation ou du divorce et lui a, comme cela a été fait en l’espèce, fait connaître l’adresse de son nouveau domicile ;

- il ne saurait être exigé d’un administré qu’il s’enquière spontanément et en permanence de l’existence d’éventuelles procédures fiscales le concernant ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son article 61-1 ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

 

Vu le livre des procédures fiscales ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

 

1. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article » ; qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (…), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux » ;

 

2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité » ; qu’aux termes de l’article R. 771-11 de ce code : « La question prioritaire de constitutionnalité soulevée pour la première fois devant les cours administratives d’appel est soumise aux mêmes règles qu’en première instance » ;

 

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 54 A du livre des procédures fiscales : « Sous réserve des dispositions des articles L. 9 et L. 54, chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer. Les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l'un des conjoints ou notifiés à l'un d'eux sont opposables de plein droit à l'autre. » ;

 

4. Considérant que les dispositions de l’article L. 54 A du livre des procédures fiscales sont applicables au présent litige ; qu’elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu’en ne prévoyant pas la notification des actes de procédures relatifs à l’imposition établie au nom du foyer fiscal, pour la période d’imposition commune des époux, au conjoint séparé de corps ou divorcé postérieurement à cette période d’imposition et ne résidant plus à l’adresse qui était celle du foyer fiscal, ces dispositions ne permettent pas audit conjoint de recevoir les informations appropriées nécessaires à l’exercice d’un recours juridictionnel effectif pour contester cette imposition commune et le prive du droit à valeur constitutionnelle garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, n’est pas dépourvu de caractère sérieux ; qu’il y a lieu, par suite, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... ;

 

 

O R D O N N E :

 

 

Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L. 54 A du livre des procédures fiscales est transmise au Conseil d’Etat.

 

 

 

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. A... jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur cette question prioritaire de constitutionnalité.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A..., au ministre des finances et des comptes publics et au Conseil d’Etat.

 

 

Fait à Paris, le 22 juin 2015.

 

 

 

 

 

Le président assesseur,

En application de l’article R. 222-26 du code

de justice administrative

 

 

 

 

 

S. APPECHE