Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 22 juin 2015, N° Dossier : 2015/02933

22/06/2015

Renvoi

COUR D’APPEL DE PARIS

7 rue de Harlay

75055 PARIS LOUVRE SP

N° Dossier : 2015/02933

N° BO :

Chambre 5 - Pôle 7

N° de minute :

ARRÊT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Le 22 juin 2015,

La Cour, composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt de

M. BARTHOLIN, Président,

M. VANDINGENEN, Conseiller,

Mme HOURCADE, Conseiller

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du code de procédure pénale

GREFFIER :

Mme LECHAT, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC :

Mme TRAVAILLOT, Avocat Général, lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt ;

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles R. 49-21 à KR. 49-29 du Code de Procédure Pénale ;

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 13 mai 2015 par Monsieur [D E] représenté par Maîtres [F G] et [A B],

Vu les observations formulées le 1er juin 2015 par Monsieur [D E] représenté par Maîtres [F G] et [A B],

Vu l'avis du ministère public en date du 29 mai 2015,

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En l’espèce, Monsieur [D E] représenté par Maîtres Saida DRIDI et Gérard TCHOLAKIAN, après avoir rappelé que la Chambre de l'Instruction de la Cour d'appel de Paris est saisie d’une requête en réhabilitation visant notamment une condamnation à la peine d'interdiction définitive du territoire français, prononcée à titre de peine principale, soutient que les dispositions de l'article 786 alinéa 3 du code de procédure pénale et la Jurisprudence qui lui est applicable, ainsi que la jurisprudence applicable à la peine d'interdiction définitive du territoire français prononcée à titre de peine principale portent, ensemble, atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit en ce qu'elles ne prévoient pas une égalité de traitement entre les justiciables, dans la mesure où un étranger condamné à une interdiction définitive du territoire français à titre de peine principale est exclu du droit à présenter une demande de réhabilitation, voire de relèvement ou de prescription, alors même que tout autre justiciable pourrait le faire.

Il relève que par application des dispositions des articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale, l’interdiction définitive du territoire français à titre de peine principale ne peut pas faire l’objet d’une demande en relèvement ; qu’en outre, la peine d’interdiction définitive du territoire français ne pouvait être prescrite selon la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation et qu’en vertu de l’article 786 du code de procédure pénale qui dispose que “ /a demande en réhabilitation ne peut être formée qu'après un délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle, de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle et d'un an pour les condamnés à une peine contraventionnelle. Ce délai part, pour les condamnés à une amende, du jour où la condamnation est devenue irrévocable et, pour les condamnés à une peine privative de liberté, du jour de leur libération définitive ou, conformément au dernier alinéa de l'article 733, du jour de leur libération conditionnelle lorsque celle-ci n'a pas été suivie de révocation. À l'égard des condamnés à une sanction pénale autre que l'emprisonnement ou l'amende, prononcée à titre principal, ce délai part de l'expiration de la sanction subie”, toute requête en réhabilitation portant sur une interdiction définitive du territoire national à titre de peine principale ne peut être recevable.

Or souligne-t-il, l'article 782 du code de procédure pénale dispose, sans restriction, que : « Toute personne condamnée par un tribunal français à une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle peut être réhabilitée. » et l'article133-12 du code pénal : “foute personne frappée d'une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle peut bénéficier, soit d'une réhabilitation de plein droit dans les conditions prévues à la présente section, soit d'une réhabilitation judiciaire accordée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale”.

Il conclut que dans ces conditions, la personne condamnée à titre de peine principale à une interdiction définitive du territoire national non seulement ne peut prétendre à un relèvement ou une prescription de sa peine, mais est aussi privée du droit à l'examen d'une demande de réhabilitation. Ainsi, l'article 786 alinéa 3 du code de procédure pénale soumet les condamnés, en l'espèce des étrangers, à un régime dérogatoire total lorsqu'ils font l'objet d'une peine complémentaire prononcée à titre de peine principale, y compris pour des faits, à la dangerosité relative, telles que les infractions au séjour pour lesquels des charges peuvent être admis sous l'ancienne qualification d'infraction au séjour. Dès lors, l’article 786 du code de procédure pénale porte atteinte au principe d'égalité et de proportionnalité.

Or, le Conseil constitutionnel a rappelé son attachement au principe d'égalité devant la loi et la Justice à l'occasion de l'examen de la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.

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Le ministère public soutient dans ses écritures que la question posée est dépourvue de caractère sérieux dans la mesure où elle ne prend pas en compte l'ensemble des textes régissant la question de la réhabilitation qu'elle soit légale ou judiciaire. En effet, il résulte des dispositions de l’article 133-13 2° du code pénal et de l’article 786 du code de procédure pénale combinés, ainsi que de la circulaire relative à l'effectivité de la réponse pénale en date du 10 avril 2002 (CRIM 2002-08 E3/10-04-2002 :NOR:JUSD0230067C), qu'une requête en réhabilitation portant sur une condamnation à une interdiction définitive du territoire français prononcée à titre principal pourra être présentée au terme d'un délai de 3 ans suivant l'expiration d'une période de 10 ans à compter de la mise en œuvre de cette interdiction.

Par ailleurs, les effets d'une réhabilitation judiciaire ou d'une réhabilitation de plein droit sur une interdiction à titre définitif seront déterminés selon les nouvelles dispositions de l'article 133-16 du code pénal en vigueur depuis le 1° janvier 2015 et en fonction de la date de commission des faits (ante ou post 28 mars 2012).

Enfin, il ne peut être fait grief à l'article 786 al.3 d'introduire une rupture d'égalité entre justiciables pouvant être sanctionnée au regard des textes garantissant uniquement l'égalité de traitement entre les citoyens français devant la loi.

Ainsi, s'agissant de la situation particulière de [D E], une requête en réhabilitation est irrecevable dans la mesure où l'interdiction définitive du territoire français dont il a fait l'objet, est donc toujours en cours, un délai de 10 ans ne s'étant pas encore écoulé depuis la mise en œuvre effective de l'interdiction prononcée par arrêt du 27 mars 2006, en notant que le point de départ de ce délai a été reporté à la date de la fin de peine d'emprisonnement qu'il purgeait alors et dans la mesure où, de fait, le délai de 3 ans prévu par l'article 786 al.1 n'a, par essence, pu commencer à s'écouler.

Monsieur le Procureur Général soutient en conséquence qu’ il n’y à pas lieu de transmettre la présente question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

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MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

Considérant qu’en l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct et motivé par rapport à la requête en réhabilitation; que la demande est donc recevable en la forme, en application des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution, de l’article 23-2 de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 et des articles R49-21 à R49-29 du code de procédure pénale ;

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Considérant que conformément à l’article 23-2 de l’ordonnance précitée, 1l ressort de la procédure que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative aux conditions de recevabilité d’une requête en réhabilitation ;

Considérant que cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant que la demande de question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux, bien qu’en l’espèce le requérant n’ait pas cru bon devoir, à aucun moment, commencer à exécuter sa peine d'interdiction définitive du territoire français prononcée à titre principal, en ce que par application des dispositions de l’article 133-13 du code pénal, la réhabilitation ne peut être acquise de plein droit à la personne physique condamnée à une interdiction définitive du territoire national prononcée à titre de peine principale ; que la peine d’interdiction définitive du territoire français prononcée à titre principal est imprescriptible ; qu’en vertu de l’article 786 alinéa 3 du code de procédure pénale, est irrecevable toute requête en réhabilitation d’un condamné à une interdiction définitive du territoire national prononcée à titre de peine principale ; que dans ces conditions, la peine susvisée s’apparente manifestement à une peine perpétuelle, puisque insusceptible de pouvoir faire l’objet d’un réexamen ou d’un effacement.

Considérant qu’il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante: Les dispositions de l'article 786 alinéa 3 du code de procédure pénale portent-elles atteintes aux droits et libertés que la Constitution de la République française garantit, en particulier par ses articles 1, 34 et 66 alinéa 2, mais aussi en application de l'article 6 et 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août1789, et plus particulièrement aux principes d'égalité et de proportionnalité, en ce qu'elles excluent un condamné à une peine d'interdiction définitive du territoire français prononcée à titre de peine principale du droit de solliciter une réhabilitation prévue aux articles 782 du code de procédure pénale et 133-12 du code pénal ?

Considérant qu’il convient donc de surseoir à statuer sur la requête en réhabilitation introduite par [D E].

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en chambre du conseil, par décision contradictoire à signifier, non susceptible de recours ;

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

Les dispositions de l'article 786 alinéa 3 du code de procédure pénale portent-elles atteintes aux droits et libertés que la Constitution de la République française garantit, en particulier par ses articles 1, 34 et 66 alinéa 2, mais aussi en application de l'article 6 et 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août1789, et plus particulièrement aux principes d'égalité et de proportionnalité, en ce qu'elles excluent un condamné à une peine d'interdiction définitive du territoire français prononcée à titre de peine principale du droit de solliciter une réhabilitation prévue aux articles 782 du code de procédure pénale et 133-12 du code pénal ?

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public et celles de [D E] relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité,

Sursoit à statuer sur la requête en réhabilitation introduite par [D E],

Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience ultérieurement , lorsque la Cour de Cassation ou le Conseil Constitutionnel auront informé la Chambre de l’instruction de leur décision,

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

Dit que les parties non comparantes seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception.

LE GREFFIER LE PRESIDENT