Tribunal administratif de Rennes

Ordonnance du 17 novembre 2014 N° 1404524 QPC

17/11/2014

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE RENNES

 

 

N° 1404524 QPC

___________

 

M. E... A...

__________

 

Ordonnance du 17 novembre 2014

 

 

 

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le Président de la 5ème chambre du

Tribunal administratif de Rennes,

 

 

 

 

Vu la requête, enregistrée le 20 octobre 2014, présentée pour M. E... A..., demeurant 331 Chemin des Pâquerettes à Boug en Bresse (01000) par Me Kuchukian, avocat ;

 

 

M. A... demande au Tribunal d’annuler l’arrêté de la Garde des sceaux, ministre de la justice du 11 septembre 2014 portant nomination de M. B... G... en qualité de greffier du tribunal de commerce de Rennes ;

 

Il soutient que :

- une question prioritaire de constitutionnalité est présentée par mémoire distinct au sujet de la constitutionnalité de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 en ce qu’elle s’applique aux greffiers des tribunaux de commerce au regard de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

- il présente un intérêt pour agir dès lors que le tribunal administratif de Lyon a jugé définitivement de sa dispense de l’examen professionnel pour accéder aux fonctions de greffier de tribunal de commerce et ce alors qu’il a pris l’attache d’un greffier associé du tribunal de commerce de Rennes ;

- l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen vise l’égal accès aux dignités, places et emplois publics et non les seuls emplois occupés par des agents publics ;

 

 

Vu le mémoire distinct, enregistré le 20 octobre 2014, présenté pour M. A... par Me Kuchukian, avocat, tendant à la transmission au Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution et des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant la conformité de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 au principe constitutionnel de l’égale admissibilité aux dignités, places et emplois publics garantie par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

 

Il soutient que :

- la question prioritaire de constitutionnalité est applicable au litige qui concerne la nomination en application de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 d’un nouveau greffier associé du tribunal de commerce de Rennes sur la base d’un « droit de présentation » effectué par le précédent titulaire, l’accès à cette fonction publique se faisant par l’argent et non en fonction du talent et de la vertu comme mentionnés à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

- l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 est contraire notamment à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ;

- le Conseil constitutionnel n’a pas été appelé à statuer sur la constitutionnalité de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 ;

- la même question prioritaire de constitutionnalité a été transmise par le Conseil d’Etat le 10 septembre 2014 en tant qu’elle concerne les notaires ;

- la question n’est pas dénuée de caractère sérieux puisqu’elle est actuellement posée devant le Conseil constitutionnel au sujet des notaires ;

 

 

Vu la décision attaquée ;

 

Vu la communication de la question prioritaire de constitutionnalité à la Garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... G... le 22 octobre 2014 ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution et notamment la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée et notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

 

Vu la loi du 28 avril 1816 et notamment son article 91 ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

Vu la délégation de la présidente du tribunal accordée en application de l’article

R. 771-7 du code de justice administrative ;

 

 

 

1. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article » ; que l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 771-3 du code de justice administrative : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ” » ;

 

2. Considérant que l’article R. 771-7 du code de justice administrative dispose que : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité » ;

 

3. Considérant qu’aux termes de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances, dans sa rédaction applicable : « Les avocats à la Cour de cassation, notaires, greffiers, huissiers, agents de change, courtiers, commissaires-priseurs, pourront présenter à l’agrément du Président de la République des successeurs, pourvu qu’ils réunissent les qualités exigées par les lois. Cette faculté n’aura pas lieu pour les titulaires destitués. Les successeurs présentés à l’agrément, en application du présent alinéa, peuvent être des personnes physiques ou des sociétés professionnelles » ;

 

4. Considérant que le tribunal administratif de Rennes est saisi d’une demande de

M. A... tendant à l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision de la Garde des sceaux, ministre de la justice du 11 septembre 2014 désignant M. B... G... en qualité de greffier du tribunal de commerce de Rennes, associé au sein d’une société civile professionnelle ; que

M. A... invoque à l’appui de sa demande la méconnaissance, par l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 qui instaure un « droit de présentation » pour l’accès notamment aux fonctions de greffier d’un tribunal de commerce, de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose que tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ; que la question prioritaire de constitutionnalité est posée en tant que les dispositions précitées de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 sont applicables aux greffiers des tribunaux de commerce ;

 

5. Considérant que les dispositions contestées de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 sont applicables au litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ce qu’elles prévoient que les greffiers des tribunaux de commerce disposent d’un « droit de présentation » de leurs successeurs, méconnaissent le principe d’égal accès aux places, dignités et emplois publics protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulève une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de renvoyer au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. A... portant sur les dispositions de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816, en tant qu’elles sont applicables aux greffiers des tribunaux de commerce ;

 

 

 

 

 

 

 

O R D O N N E :

 

 

Article 1er : La question prioritaire de constitutionnalité posée par M. A... portant sur l’atteinte portée par l’article 91 de la loi du 28 avril 1816, en tant qu’il concerne les greffiers des tribunaux de commerce, au principe constitutionnel d’égalité d’accès aux emplois publics protégé par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. A..., jusqu’à ce qu’il ait été statué par le Conseil d’Etat ou, s’il est saisi, par le Conseil constitutionnel, sur la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, à M. E... A..., à la Garde des sceaux, ministre de la justice, à M. B... G... et à M. D... F....

 

 

Fait à Rennes, le 17 novembre 2014.

 

 

Le président de la 5ème chambre,

 

 

 

 

 

J.M. C...

 

 

 

 

 

 

La République mande et ordonne à la ministre de la justice, en ce qui la concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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