Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 23 octobre 2014 N° 1405745

23/10/2014

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE CERGY-PONTOISE

 

 

N° 1405745

___________

 

NEXTRADIO TV

___________

 

Mme Coblence

Rapporteur

___________

 

M. Legeai

Rapporteur public

___________

 

Audience du 9 octobre 2014

Lecture du 23 octobre 2014

___________

 

Code PCJA : 54-10-05-03-01

Code publication : C

 

 

cl

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

 

(5ème chambre)

 

 

 

 

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 12 juin 2014, présenté par la société NEXTRADIO TV, dont le siège est 12, rue d’Oradour-sur-Glane à Paris (75015), en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par Me Piwnica et Me Molinie, avocats ; la société NEXTRADIO TV demande au Tribunal, à l’appui de sa requête, enregistrée le même jour, tendant à la décharge de la contribution exceptionnelle prévue à l’article 235 ter ZAA du code général des impôts à laquelle elle a été assujetti au titre des années 2011 et 2012, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article 235 ter ZAA du code général des impôts ;

 

La société NEXTRADIO TV soutient que les dispositions de l’article 235 ter ZAA du code général des impôts, qui instituent une contribution exceptionnelle de 5 % pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, applicables au litige, portent atteinte à l’article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; qu’en effet, la définition du chiffre d’affaires à prendre en compte pour l’appréciation du seuil de 250 millions d’euros crée une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques pour les groupes de médias qui, comme elle, possèdent leur propre régie publicitaire ; que le prix d’un espace publicitaire vendu par cette régie publicitaire à un annonceur peut être reversé aux filiales médias du même groupe, ce qui entraîne une refacturation interne de cet espace, à l’origine d’une augmentation artificielle du chiffre d’affaires du groupe sans augmentation réelle de ses recettes ; que la prise en compte, dans son chiffre d’affaires à retenir, de ces refacturations internes a entraîné une augmentation purement artificielle de celui-ci la rendant redevable, à tort, de la contribution exceptionnelle de 5 % ; que le chiffre d’affaires retenu par les dispositions de l’article 235 ter ZAA du code général des impôts ne reflète pas les véritables facultés contributives du groupe et que l’assujettissement à la contribution exceptionnelle de 5 % induit une inégale répartition de la charge fiscale entre les citoyens ; que la rupture d’égalité devant les charges publiques est, en outre, caractérisée par le fait que plus de 100 millions d’euros séparent le chiffre d’affaires consolidé du groupe, soit 163 345 000 euros au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2011 et 177 605 000 euros au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2012, du chiffre d’affaires constitué par la simple addition des chiffres d’affaires de chaque société du groupe, soit respectivement 309 614 000 euros et 354 548 000 euros au titre des exercices clos les 31 décembre 2011 et 31 décembre 2012 ; que plus de 100 millions d’euros séparent également le chiffre d’affaires après retraitement des recettes des régies publicitaires, soit respectivement 195 544 000 euros et 224 447 000 euros, au titre des deux exercices en litige, du chiffre d’affaires constitué par la simple addition des chiffres d’affaires de chaque société du groupe, soit respectivement 309 614 000 euros et 354 548 000 euros au titre des exercices clos les 31 décembre 2011 et 2012 ; que le montant de la contribution de 5 % contestée, qui s’est élevé à 102 645 euros en 2011 et à 68 312 euros en 2012, est de nature à remettre en cause son équilibre économique et son développement ;

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 août 2014, présenté le directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine ; le directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine conclut qu’il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société NEXTRADIO TV ;

 

Le directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine fait valoir que les deux premières conditions posées par le premier alinéa de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont remplies ; qu’en revanche, la troisième et dernière condition tenant à ce que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux n’est pas remplie ; que les dispositions de l’article 235 ter ZAA du code général des impôts ne sont pas de nature à entraîner une rupture manifeste d’égalité devant les charges publiques dès lors que le critère du chiffre d’affaires retenu pour la détermination du seuil de 250 millions d’euros au-delà duquel les sociétés sont assujetties à la contribution exceptionnelle de 5 % a pour objectif de soumettre les très grandes entreprises à un effort financier supplémentaire et que ce seuil s’apprécie par référence aux recettes retirées de l’ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle, qui permettent de mesurer l’importance de l’entreprise, en l’espèce du groupe fiscal intégré, et ainsi de tenir compte de ses capacités contributives réelles ; que la contribution exceptionnelle de 5 % n’est, en tout état de cause, pas assise sur le chiffre d’affaires mais sur le bénéfice du groupe ; que cette contribution exceptionnelle ne revêt aucun caractère confiscatoire ou ne fait peser sur le groupe NEXTRADIO TV aucune charge excessive au regard de ses facultés contributives ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 25 septembre 2014, présenté pour la société NEXTRADIO TV ; la société NEXTRADIO TV conclut aux mêmes fins que précédemment ;

 

Elle soutient, en outre, que, contrairement à ce que soutient l’administration fiscale, la question soulevée n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; que l’objectif de la loi ayant institué la contribution exceptionnelle contestée est de déterminer les très grandes entreprises et groupes capables de fournir un effort financier supplémentaire dans un but d’intérêt général ; or, dès lors que le calcul du chiffre d’affaires à retenir ne tient pas compte des refacturations internes entre sociétés d’un même groupe, il ne reflète ni l’importance ni les facultés contributives de ce dernier ; que le critère du chiffre d’affaires n’est donc pas conforme aux objectifs du législateur ; que, s’il avait été tenu compte de la double facturation des espaces publicitaires, son chiffre d’affaires aurait été inférieur à la limite de 250 millions d’euros ; que l’administration fiscale ne conteste nullement les chiffres énoncés dans sa requête ; que, si le régime fiscal des groupes intégrés prévoit d’assurer une neutralité fiscale, de telles corrections n’existent nullement dans le calcul du chiffre d’affaires tel que prévu par l’article 235 ter ZAA du code général des impôts ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 6 octobre 2014, présenté le directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine ;

 

Vu la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

 

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 octobre 2014 :

 

- le rapport de Mme Coblence, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Legeai, rapporteur public ;

- et les observations de Me Molinie, pour la société NEXTRADIO TV ;

 

 

1. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. » ; qu’en vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, susvisée, le Tribunal administratif, saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’article 235 ter ZAA du code général des impôts est applicable au présent litige au sens et pour l’application de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, susvisée ; que les dispositions de cet article n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et, notamment, aux exigences de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, soulève une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

 

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article 235 ter ZAA du code général des impôts est transmise au Conseil d'Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société NEXTRADIO TV, jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société NEXTRADIO TV et au directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine.

 

Délibéré après l'audience du 9 octobre 2014, à laquelle siégeaient :

 

M. Kelfani, président, Mme Coblence, premier conseiller et M. Kiecken, conseiller.

 

Lu en audience publique le 23 octobre 2014.

 

Le rapporteur,

 

 

signé

 

 

E. COBLENCE

Le président,

 

 

signé

 

 

K. KELFANI

Le greffier,

 

 

signé

 

 

C. LUREAU

 

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

N° 1405745