Cour administrative d'appel de Marseille

Ordonnance du 3 octobre 2014 N° 13MA03588 QPC

03/10/2014

Renvoi

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

DE MARSEILLE

 

 

N° 13MA03588 QPC

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M. B...

 

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Ordonnance du 3 octobre 2014

 

54-10-05-03

C

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

 

Le président de la 8ème chambre,

 

 

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 21 juillet 2014, présenté pour M. A... B..., élisant domicile 87 boulevard de Sébastopol à Paris (75002), représentée par la Selarl MDMH, avocat au barreau de Paris ;

 

M. B... demande à la Cour, à l’appui de sa requête, enregistrée sous le numéro 13MA03588, tendant à l’annulation du jugement n° 1103143 du 18 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du

12 mai 2011 par laquelle l'officier général de la zone de défense Sud-Est a prononcé à son encontre une sanction de trente jours d'arrêts, de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense ;

 

Il soutient que :

 

- les trois conditions fixées par l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 pour que la question soit transmise au Conseil d’Etat sont remplies ;

 

- l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense relatif aux sanctions disciplinaires pouvant être prises à l’encontre des militaires est applicable au litige pendant devant la Cour ; il a fait appel du jugement du 18 juillet 2013 du tribunal administratif de Nîmes rejetant sa demande tendant à l’annulation de la sanction de trente jours d’arrêts qu’il s’est vu infliger le 12 mai 2011 ;

 

- l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution ;

 

- la question posée présente un caractère sérieux ;

 

 

 

 

 

 

- l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ce qu’il confie au pouvoir règlementaire le soin de fixer les modalités d’exécution de peines privatives de liberté applicables aux militaires ; en l’espèce le décret n°2008-392 du 23 avril 2008 codifié à l’article R. 4137-8 du code de la défense prévoit que « Le militaire sanctionné de jours d'arrêts effectue son service dans les conditions normales mais il lui est interdit, en dehors du service, de quitter sa formation ou le lieu désigné par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. » ; le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 728 du code de procédure pénale qui confiait « au pouvoir réglementaire le soin de déterminer l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires » ;

 

- l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense porte atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation tel que garanti par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; il méconnaît le principe de la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté individuelle garantie par l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 

- l’édiction de la sanction prononcée à son encontre respecte les prescriptions de l’article L. 4137-4 du code de la défense ; les modalités d’exécution en revanche sont déterminées par les dispositions de l’article R. 4137-28 du même code ; l’exécution de la sanction qui lui a été infligée a entravé sa liberté d’aller et de venir ; il a connu un « encellulement » devant être qualifié de détention ; les conditions d’hébergement ont porté atteinte à sa dignité ;

 

 

Vu le jugement attaqué dans l’instance enregistrée sous le n° 13MA03588 ;

 

 

Vu le mémoire enregistré le 11 septembre 2014, présenté par le ministre de la défense qui conclut à ce qu’il n’y ait pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... ; le ministre fait valoir que :

 

- les conditions prévues au 1°et au 2° de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 sont, en l’espèce, remplies ;

 

- cette question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux ;

 

- la répartition entre le domaine législatif et le domaine réglementaire s’agissant des dispositions applicables aux militaires en matière disciplinaire respecte l’article 34 de la Constitution aux termes duquel « La loi fixe également les règles concernant : / (…) - les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État ; » ;

- le législateur n’a pas méconnu sa compétence en adoptant les dispositions de l’article L. 4137-2 alinéa 4 du code de la défense, il a « épuisé » sa compétence ; l’article L. 4127-2 du code de la défense institue la sanction disciplinaire du 1er groupe dénommée « arrêts » et renvoie dans son alinéa 4 à un décret en Conseil d’Etat les modalités d’exécution ; les articles L. 4127-1,

L. 4127-3, L. 4127-4 et L. 4127-5 déterminent les principes fondamentaux applicables en matière de sanction disciplinaire ; les autres dispositions concernant la mise en œuvre relèvent du décret qui est l’instrument juridique approprié en application de l’article 37 de la Constitution ;

 

 

- la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires a simplifié le régime disciplinaire des militaires, restreint les possibilités de cumul de sanctions, adapté l’échelle des peines et inscrit les droits de la défense dans les statuts ; cette loi qui a renforcé les droits des militaires n’a pas privé de garanties légales une exigence constitutionnelle, en l’occurrence la liberté d’aller et de venir ;

 

- le Conseil constitutionnel a estimé, dans une décision du 25 avril 2014, qu’en renvoyant à un décret le soin de déterminer les conditions dans lesquelles sont garantis les droits des personnes détenues, le législateur a méconnu sa compétence ; toutefois, un militaire n’est pas placé dans la même situation qu’une personne détenue en exécution d’une peine correctionnelle ou criminelle ; la sanction disciplinaire des arrêts n’est pas une modalité d’exécution d’une peine privative de liberté qui pourrait justifier la compétence du législateur ; les militaires sanctionnés de jours d’arrêts effectuent leur service dans des conditions normales ; les locaux d’arrêts ne sont pas fermés si la sanction n’est pas assortie d’isolement ; la Cour européenne des droits de l’homme a jugé dans un arrêt du 8 juin 1976 « Engel » que les arrêts simples et les arrêts aggravés n’étaient pas constitutifs de sanction privative de liberté ;

 

- s’agissant du régime disciplinaire applicable aux militaires, hormis les principes fondamentaux qui doivent être déterminés par la loi, aucune considération liée à une privation de liberté ne justifie le recours à la loi ;

 

- le Conseil constitutionnel a jugé le 19 novembre 2009 que le régime disciplinaire des personnes détenues ne relève pas par lui-même des matières que la Constitution range dans le domaine de la loi et a déclaré conforme à la Constitution l’article 91 de la loi pénitentiaire qui renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de déterminer le régime disciplinaire des personnes détenues ;

 

- le Conseil constitutionnel a estimé que le renvoi à un décret en Conseil d’Etat constitue une garantie pour l’exercice des droits et libertés constitutionnelles ; les décrets relatifs aux sanctions disciplinaires des militaires ont représenté une garantie essentielle pour protéger la liberté d’aller et de venir ;

 

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 25 septembre 2014, présenté pour M. B... ; il confirme ses précédentes écritures et fait valoir en outre que :

 

- le ministre de la défense admet, en référence à la décision du Conseil constitutionnel du

28 novembre 1973, que la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables, lorsqu’elles sont privatives de liberté, relève du domaine législatif ;

 

- il ne saurait être contesté que les jours d’arrêts sont constitutifs d’une peine privative de liberté ; l’article L. 262-2 du code de justice militaire dispose « qu’est réputé détention provisoire le temps pendant lequel l’individu a été privé de sa liberté, même par mesure disciplinaire » ;

 

- dans une affaire similaire au cas d’espèce, le tribunal correctionnel de Nîmes a expressément qualifié, dans un jugement du 28 octobre 2010, les jours d’arrêts de « détention provisoire effectuée au corps » ; dans une décision du 15 novembre 2011, le Premier président de la Cour d’appel de Nîmes a fait droit à une requête en indemnisation à raison d’une détention provisoire injustifiée ;

 

- contrairement à ce qui est soutenu par le ministre de la défense, les dispositions du décret du

15 juillet 2005 n’ont en aucun cas représenté une garantie essentielle pour protéger la liberté d’aller et de venir des militaires sanctionnés de jours d’arrêts ;

 

- aucune garantie n’est prévue par la loi s’agissant du régime disciplinaire des jours d’arrêts ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

 

Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-12 ;

 

Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, notamment ses articles 2, 3, 4 et 5 ;

 

Vu le code de la défense, notamment l’article L. 4137-2 ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « (…) les présidents de formation de jugement (…) des cours (…) peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité. » ;

 

2. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. (…) » ; qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (…) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. (…) » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3°La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux » ; qu’aux termes de l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « (…) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité » ; qu’aux termes de l’article R. 771-11 du même code : « La question prioritaire de constitutionnalité soulevée pour la première fois devant les cours administratives d’appel est soumise aux mêmes règles qu’en première instance. » ;

 

 

3. Considérant que l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense, issu de l’article 41 de la loi n°2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires est applicable au litige ; qu’il n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que cette disposition, en ce qu’elle confie au pouvoir règlementaire le soin de fixer les modalités d’exécution de la sanction des arrêts, méconnaît la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution et porte atteinte, d’une part, au principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation tel que garanti par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, d’autre part, à la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté individuelle, garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 66 de la Constitution, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de transmettre la question soumise au Conseil d’Etat ;

 

 

 

 

ORDONNE :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’alinéa 4 de l’article L. 4137-2 du code de la défense est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête n° 13MA03588 jusqu’à ce qu’il ait été statué par le Conseil d’Etat, ou s’il a été saisi par le Conseil constitutionnel, sur la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de la défense.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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