Tribunal administratif de Poitiers

Jugement du 19 juin 2014 N° 1401110

19/06/2014

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE POITIERS

 

 

N°1401110

___________

 

ELECTIONS MUNICIPALES DE GARAT

___________

 

Mme Léon

Rapporteur

___________

 

M. Bonnelle

Rapporteur public

___________

 

Audience du 5 juin 2014

Lecture du 19 juin 2014

___________

ac

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le tribunal administratif de Poitiers

 

(1ère chambre)

 

 

 

 

Vu le déféré, enregistré le 7 avril 2014, présenté par le PREFET DE LA CHARENTE ; le PREFET DE LA CHARENTE demande au tribunal d’annuler l’élection de M. C... de Lorgeril comme conseiller municipal, proclamée à l’issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 pour la désignation du conseil municipal de Garat (16410) ;

 

il soutient que :

 

le mandat de conseiller municipal étant, en vertu de l’article L. 46 du code électoral, incompatible, avec la fonction de militaire de la marine nationale de M. de Lorgeril, il a invité l’intéressé, par courrier du 28 mars 2014, conformément aux dispositions de l’article L. 237 du code électoral, à faire un choix entre ses fonctions d’élu et son emploi de militaire ; à défaut de réponse de sa part, le tribunal doit annuler son élection ;

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2014, présenté pour M. C... de Lorgeril, qui conclut au rejet de la protestation et demande que soit mise à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

il fait valoir que le premier alinéa de l’article L. 46 et le dernier alinéa de L. 237 du code électoral, sur le fondement desquels le PREFET DE LA CHARENTE demande au tribunal d’annuler son élection comme conseiller municipal, sont inconstitutionnels ;

 

Vu le mémoire distinct, enregistré le 13 mai 2014, par lequel M. C... de Lorgeril demande au tribunal de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de renvoi au Conseil Constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, des dispositions de l’alinéa premier de l’article L. 46 et du dernier alinéa de l’article L. 237 du code électoral ;

 

 

Il fait valoir que :

 

- ces dispositions, qui fondent la demande d’annulation de son élection comme conseiller municipal présentée par le PREFET DE LA CHARENTE, sont applicables au litige en cours ;

- elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel ;

- elles sont contraires aux dispositions de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen dès lors que, instituant une incompatibilité générale et absolue, elles portent une atteinte excessive au droit d’exercer un mandat électif ; la question posée est sérieuse ;

 

Vu le procès-verbal des opérations électorales en cause et les documents annexés ;

 

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

 

Vu la Constitution ;

 

Vu la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ;

 

Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution et modifiant les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance organique

n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

 

Vu le code électoral ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juin 2014 :

 

- le rapport de Mme Léon, rapporteur ;

 

- les conclusions de M. Bonnelle, rapporteur public ;

 

- et les observations de Me Tchernonog pour M. de Lorgeril ;

 

Connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 10 juin 2014, présentée pour M. de Lorgeril ;

 

 

 

 

 

 

Sur la question prioritaire de constitutionalité :

 

1. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. » ;

 

2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions combinées que le tribunal administratif, saisi par un écrit distinct et motivé d’un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

3. Considérant que l’article L. 46 du code électoral dispose que : « Les fonctions de militaire de carrière ou assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, sont incompatibles avec les mandats qui font l’objet du livre 1er (…) » ; que le mandat de conseiller municipal est au nombre des mandats qui font l’objet du livre 1er de ce code ; qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L. 237 du même code : « Les personnes désignées à l’article L. 46 et au présent article qui seraient élues membres d’un conseil municipal auront, à partir de la proclamation du résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l’acceptation du mandat et la conservation de leur emploi. A défaut de déclaration adressée dans ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles seront réputées avoir opté pour la conservation dudit emploi. » ;

 

4. Considérant que les dispositions de l’alinéa premier de l’article L. 46 et du dernier alinéa de l’article L. 237 du code électoral sont applicables au présent litige dès lors que le PREFET DE LA CHARENTE demande au tribunal d’annuler l’élection de M. de Lorgeril comme conseiller municipal de la commune de Garat lors du scrutin électoral du 23 mars 2014 en raison de l’incompatibilité entre le mandat de conseiller municipal et les fonctions de militaire de carrière de l’intéressé ; que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel ; que le grief tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe énoncé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, pose une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. de Lorgeril ;

 

Sur les conclusions du PREFET DE LA CHARENTE :

 

5. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance du

7 novembre 1958 : « Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. (…) La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence. » ; que l’article R. 120 du code électoral prévoit que : « Le tribunal administratif prononce sa décision dans le délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe (bureau central ou greffe annexe) et la notification en est faite dans les huit jours à partir de sa date, dans les conditions fixées à l'article R. 751-3 du code de justice administrative. En cas de renouvellement général, le délai est porté à trois mois. (…) » ; que, statuant en matière de renouvellement général des conseils municipaux, le tribunal est tenu de prononcer sa décision dans un délai de trois mois à compter de l’enregistrement de la protestation au greffe ; que dans ces conditions, il y a lieu de statuer sur le fond sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité ;

 

6. Considérant que l’article L. 46 du code électoral dispose : « Les fonctions de militaire de carrière ou assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, sont incompatibles avec les mandats qui font l’objet du livre 1er » ; que le mandat de conseiller municipal est au nombre des mandats qui font l’objet du livre 1er ; qu’aux termes de l’article L. 237, 2ème alinéa du même code : « Les personnes désignées à l’article L. 46 et au présent article qui seraient élues membres d’un conseil municipal auront, à partir de la proclamation du résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l’acceptation du mandat et la conservation de leur emploi. A défaut de déclaration adressée dans ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles seront réputées avoir opté pour la conservation dudit emploi. » ;

 

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. de Lorgeril, militaire de carrière dans la marine nationale, a été élu au conseil municipal de Garat le 23 mars 2014 ; qu’en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, ce mandat est incompatible avec ses fonctions de militaire ; que, par un courrier du 28 mars 2014, le PREFET DE LA CHARENTE a invité l’intéressé à choisir entre son mandat d’élu et ses fonctions militaires ; que n’ayant pas expressément fait connaître son choix dans le délai imparti par les dispositions précitées de l’article L. 237 du code électoral, M. de Lorgeril doit être regardé comme ayant opté pour la conservation de son emploi de militaire ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler son élection comme conseiller municipal de Garat ;

 

8. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 270 du code électoral : « Le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu est appelé à remplacer le conseiller municipal élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit. » ; qu’en application de ces dispositions, il y a lieu, en raison de l'annulation de l'élection de

M. de Lorgeril, de proclamer élue Mme A... B..., venant sur la liste où figurait

M. de Lorgeril immédiatement après le dernier élu de cette liste ;

 

 

 

 

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

9. Considérant, enfin, qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de M. de Lorgeril, tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’alinéa premier de l’article L. 46 et du dernier alinéa de l’article L. 237 du code électoral est transmise au Conseil d’État.

 

Article 2 : L’élection de M. C... de Lorgeril comme conseiller municipal de la commune de Garat est annulée.

 

Article 3 : L’élection de Mme A... B... comme conseillère municipale de la commune de Garat est proclamée.

 

Article 4 : Les conclusions de M. de Lorgeril tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

 

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au PREFET DE LA CHARENTE et à M. C... de Lorgeril.

 

Copie en sera adressée à Mme A... B....

 

Délibéré après l'audience du 5 juin 2014, à laquelle siégeaient :

 

Mme Massias, président,

Mme Léon, premier conseiller,

Mme Malingue, conseiller.

 

Lu en audience publique le 19 juin 2014.

 

Le rapporteur,

 

 

Signé

 

 

T. LEON

 

Le président,

 

 

Signé

 

 

N. MASSIAS

Le greffier,

 

 

Signé

 

 

C. ADAM

La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

 

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

Le greffier,

 

 

 

 

 

C. ADAM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

N°1401110