Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 15 mai 2014, N° Dossier : 2013/09412

15/05/2014

Renvoi

N° Dossier : 2013/09412

N° BO : P11161092012

Chambre 2 - Pôle 7

N° de minute : 7

COUR D'APPEL DE PARIS

7 rue de Harlay

75055 PARIS LOUVRE SP

ARRÊT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Le 15 Mai 2014,

La Cour, composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt de

Mme BOIZETTE, Président

Mme HEYTE, Président

M. GUIGUESSON, Conseiller

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du code de procédure pénale

GREFFIER :

Mme LECHAT Greffier, lors des débats et Mme BUTSCHER lors du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC :

M. WALLON, Avocat Général, lors des débats et M. BARRAL,, lors du prononcé de l'arrêt ;

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et la loi organique no 2009-1523 du 10 Décembre 2009 :

Vu les articles R. 49-21 à R. 49.29 du Code de Procédure Pénale ;

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 24 décembre 2013 par M. [M] représenté par M. Le Bâtonnier Paul-Albert Iweins ;

«En application des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution et de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, M. [L M] à l'honneur de soulever la question prioritaire de constitutionnalité suivante relative à la constitutionnalité de l'article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale :

L'article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale, en ce qu'il permet que le régime de la garde à vue prévu par l'article 706-88 du Code de procédure pénale soit appliqué à des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée, est-il contraire aux principes de sauvegarde de Ia liberté individuelle et du respect des droits de la défense tels qu'ils sont définis aux articles 2, 4, 7, 9,16 de Ia Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ainsi que par l'article 66 de la Constitution ? »

Vu l’avis du ministère public en date des 31 janvier et 2 Avril 2014 ;

Vu les observations orales formulées à l’audience en chambre du conseil le 10 avril 2014 ;

En présence de :

Me MICHEL, conseil de [D-E C]

Me GTAMARCHIT, conseil de [P B]

Me DEHAPIOT, Me PEZET, Me REYNAUD substituant Me TEMINE, conseils de [Q T]

Me IWEINS conseil de [L M]

Me GASTAUD, Me VINCENSINI Me BERTIN, conseils de [S A]

Me CHAIGNE, conseil de l’Agent judiciaire de l'Etat

Me CHABERT, conseil de CDR CREANCES et CONSORTIUM DE REALISATION

Me MAYOUX substituant Me DAL FARRA, conseil de [Q R],

Me BOURDON, conseil de l'EPFR

Avant l’ouverture des débats, Me GASTAUD, avocat de [S A], a demandé que ceux-ci se déroulent en audience publique.

M. WALLON, Avocat Général, a été entendu en ses observations sur cette demande ; Maître GASTAUD), avocat de la personne mise en examen, en ses observations sommaires et qui a eu la parole le dernier.

Les autres avocats présents n’ont pas formulé d'observations quant à la demande de publicité des débats.

Après en avoir délibéré la Cour a par arrêt distinct rejeté la demande de publicité des débats.

Puis, ont été entendus :

Mme BOIZETTE, Président, en son rapport ;

M. WALLON, Avocat général, en ses observations ;

Me DEHAPIOT et Me REYNAUD substituant Me TEMINE, avocats de [Q T], personne mise en examen,

Me CHABERT, avocat de la SAS CDR CREANCES et SAS CONSORTIUM DE REALISATION, parties civiles

Me BOURDON, avocat de L'ÉTABLISSEMENT PUBLIC DE FINANCEMENT ET DE RESTRUCTURATION (EPFR), partie civile

Me CHAIGNE, avocat de L'AGENT JUDICIAIRE DE L’ÉTAT, partie civile

Me IWEINS, avocat de M. [M], personne mise en examen,

Les avocats des personnes mises en examen ont eu la parole en dernier.

Vu les observations formulées par mémoires régulièrement déposés au greffe de ia Chambre de l'instruction les :

- 8 Avril 2014 par Me Bourdon et Garaud pour l'Etablissement Public de Financement et de Restructuration

- 8 Avril par Me Iweins pour [L M]

- 9 Avril 2014 par Me Chabert pour le Consortium de Réalisation et le Consortium de réalisation Créances

I/ FAITS ET PROCEDURE

M. [L M] est l'avocat de Mme et M. [T] depuis 1996. 1l a représenté leurs intérêts devant diverses juridictions, y compris dans le cadre du litige les opposant au CREDIT LYONNAIS et à la SDBO (devenue Consortium de Réalisation) dans le dossier dit « ADIDAS ».

Le 9 juin 2011, le Procureur général près la Cour des comptes adressait au Procureur de la République prés le Tribunal de grande instance de Paris, un courrier par lequel il exposait que le contrôle des comptes et de la gestion du CDR et de ceux de son actionnaire unique, l'Etablissement public de financement (EPFR) faisait apparaître des faits pouvant recevoir une qualification pénale d'abus de pouvoirs, infraction prévue et réprimée par l'article 242-6 4° du Code de commerce et recel de ce délit et ce en application des dispositions de l'article 40 du Code de procédure pénale, (D). À cette lettre était jointe une note reprenant l'historique de la défaisance du CREDIT LYONNAIS ainsi que des contentieux entre le Consortium de réalisation (ci-après « CDR ») et le groupe [T], (D2)

La personne visée était M. [D-E C] en sa qualité de président du conseil d'administration du CDR et de directeur général de la société anonyme CDR et de ses filiales. Les faits qui lui étaient reprochés étaient d’avoir délibérément mal informé les conseils d'administration du CDR et de l'EPFR des négociations du compromis d'arbitrage et notamment sur le fait que la franchise de 12 millions d'euros devant incomber au CREDIT LYONNAIS avait fait l'objet d'un accord transactionnel avec les liquidateurs accepté le 9 novembre 2007.

Le 22 juin 2011, le procureur de la République de Paris a ouvert une enquête préliminaire portant sur « des présomptions de délit d'abus de pouvoirs et de recel de ce délit dans la gestion du Consortium de réalisation ». (D104) Cette enquête a été clôturée le 12 Septembre 2012.

Le 18 septembre 2012, le procureur de la République a pris un réquisitoire introductif visant les infractions d'usage abusif des pouvoirs et recel, prévues et réprimées aux articles 242-6 4° du Code de commerce et 321-1 du Code pénal. (D185) Une information a été ouverte et le juge d’instruction désigné a décerné le 5 octobre 2012 une commission rogatoire à la Brigade financière ayant préalablement diligenté l'enquête préliminaire, au visa de ces chefs d’infractions.

Le 30 octobre 2012, le président de la commission de l'instruction de la Cour de justice de Îa République a adressé au magistrat instructeur copie de l'entier dossier d'instruction de cette juridiction en vue d'un versement à la procédure. Ce dossier portait sur de supposés faits de faux par simulation d'acte et détournement de fonds publics reprochés à Mme [N G], en sa qualité de Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. (D187) et ce au vu d’un réquisitoire introductif de le Procureur général près la Cour de Cassation ,tendant à requérir qu'il plaise à la commission d'instruction de la Cour de justice de la République informer par toutes voies de droit sur les faits ci-dessus énoncés à l'égard de Mme [N G], en sa qualité à la date des faits de membre du Gouvernement, sous la qualification retenue par la commission des requêtes, soit celles de complicité de faux par simulation d'acte et de complicité de détournement de fonds publics, prévus et réprimés par les articles 121-7, 4329-15 et 441-1 et suivants du code pénal.

Au vu de cette transmission, le 23 janvier 2013, le Procureur de la République de Paris a pris un réquisitoire supplétif pour des faits de faux (par simulation d'acte), détournement de fonds publics, complicité de ces trois délits et recel de ces délits.

Au vu de la commission rogatoire du 5 octobre 2012 et au vu semble t-il, de soit transmis du juge d’instruction élargissant la saisine des officiers de police judiciaire, messieurs [A B C] ont été placés en garde à vue, pour 48 h chacun, les 29 mai pour le premier, et 12 juin.2013 pour les deux autres, mesures à l’issue desquelles, les trois, au vu de réquisitions du Procureur de la République de Paris, respectivement en date du 29 mai pour M [A] (D1557) et du 12 juin 2013 pour M [B] et [C] (D1785) du chef d’escroquerie en bande organisée.

Il en ira de même pour M. [T] et Me [M] à compter du 24 juin 2013, mais cette fois, les garde à vue seront de 96heures, en effet :

Le 28 mai 2013 à 10 heures, M. [L M] a été placé en garde à vue «(...) au vu de l'existence d'une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre les infractions de complicité de détournement de fonds publics au cours de la période comprise entre l'année 2007 et l'année 2009 (...) » (D1513)

Le 28 mai 2013 à 10 heures 15, M. [S A] a également été placé en garde à vue «(...) au vu de l'existence d'une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre les infractions de complicité de d'usage abusif des pouvoirs sociaux, de complicité de faux et de complicité de détournement de fonds publics au cours de la période comprise entre l'année 2007 et l'année 2009 (..)»

Le 29 mai 2013 (D1525), à l'issue de son interrogatoire de première comparution, M. [S A] a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée (D1558), au vu de réquisitions supplétives du même jour (D1587).

Le 25 juin 2013 à 14 heures 25, M. [L M] a de nouveau été placé en garde à vue, sur fa base des réquisitoires des 18 septembre 2012, 23 janvier 2013 et 29 mai 2013 «au vu de l'existence d'une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu ‘il a commis ou tenté de commettre la ou Îles infractions d’escroquerie en bande organisée présumées commises entre 2007 et 2009 » (D 1930). Le 28 juin 2013 à 12 heures 45, M. [L M], à l'issue d'une garde à vue d'une totalité de 96 heures, a été déféré et présenté aux juges d'instruction. Le même jour, il a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée et placé sous contrôle judiciaire (DI980).

La requête soutient que les conditions formelles légales pour présenter une QPC sont remplies:

- La question fait l’objet d’un écrit distinct et motivé, qu’elle peut être invoquée à ce stade de là procédure.

- Elle est posée à l’occasion d’une requête en annulation de la procédure pénale ouverte contre le requérant et notamment en nullité de sa garde à vue,

- Les règles contentieuses soulevées s’appliquent bien au litige.

C'est dans ce cadre que M. [L M] soumet ce jour à l'examen de la Cour la présente question prioritaire de constitutionnalité.

II/ DISPOSITIONS LÉGISLATIVES FAISANT L'OBJET DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

L'article 706-73 du Code de procédure pénale dispose que : « La procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle prévue par le présent code, sous réserve des dispositions du présent titre : Il est rappelé le 8° bis Délit d'escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l'article 313-2 du code pénal ; g..)»

L'article 706-88 du Code de procédure pénale énonce quant à lui que : « Pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions : entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune. Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction.

Le requérant rappelle intégralement les dispositions des articles 706-88, 706-88-1 concernant l'assistance de l’avocat et médicale et les modalités de prolongation de ladite mesure et les dispositions plus particulièrement applicables en cas de risque terroriste.

III/ DISCUSSION PAR LE REQUÉRANT

Sont rappelées les conditions de saisine du Conseil Constitutionnel:

L'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, 1l est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »

L'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution prévoit que la juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité statue « sans délai par une décision motivée » sur sa transmission au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : « 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, où constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n‘est pas dépourvue de caractère sérieux. ». Il sera ci-après démontré que ces trois conditions sont en l'espèce remplies et justifient la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

A/ La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites.

En raison de l'incrimination d'escroquerie en bande organisée, le 25 juin 2013, M. [L M] a été placé en garde à vue dans le cadre du régime procédural dérogatoire prévu par les articles 706-73 et suivants du Code de procédure pénale et ce conformément aux dispositions de l'article 706-88 du Code de procédure pénale, la durée totale de la garde à vue pouvait atteindre 96 heures.

Ayant déjà effectué 17 heures 35 minutes de garde à vue les 28 et 29 mai 2013 pour des soupçons de complicité de détournement de fonds publics entre 2007 et 2009, la mesure dont il été l'objet à été prolongée deux fois, une première fois le 25 juin 2013 à 20 heures 35, par le magistrat instructeur pour une durée de 24 heures. (D1938/6), puis, le 26 juin 2013 à 19 heures, le magistrat instructeur, après présentation de M. [L M], a prolongé la durée de sa garde à vue de 48 heures, au visa notamment de l'article 706-88 du Code de procédure pénale. (D1945/7) Cette nouvelle prolongation est intervenue le 26 juin 2013 à 20 heures 35 jusqu'au 28 juin 2013 à 12 heures 55. (D1945/7 et D1958).

La question prioritaire de constitutionnalité posée est donc relative à une disposition légale d'application directe à la procédure qui est soumise à la Cour dans le cadre de la requête en nullité déposée ce jour, et impose, pour ce motif, qu'elle soit transmise sans délai à la Cour de cassation afin que le Conseil constitutionnel en soit saisi.

B/ Les dispositions contestées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Elle peut donc être soumise au Conseil constitutionnel pour qu'il se prononce sur sa constitutionnalité.

C/ Le caractère sérieux de la question posée

Sont rappelées les dispositions des articles 7, 9, 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Ainsi, au nombre des libertés constitutionnellement garanties figure la liberté d'aller et venir protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Il en est de même de la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire. Le respect des droits de la défense est quant à lui protégé par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Si l'atteinte à la liberté individuelle et aux droits de la défense peut parfois être tolérée en raison de la nature de certaines infractions pouvant porter atteinte aux personnes, c'est-à-dire, à la sécurité, dignité ou vie des personnes, elle ne saurait être justifiée dans un autre cas de figure. C'est ainsi que dans une décision du 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions d'une loi tendant à faire appliquer le régime de la garde à vue prévu par l'article 706-88 du Code de procédure pénale aux délits notamment de corruption, trafic d'influence et de fraude fiscale et douanière parce qu'ils n'étaient pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Les motifs de cette décision sont ainsi repris par la requête. Pour elle, ces motifs sont, à l'évidence, transposables au délit d'escroquerie en bande organisée.

En effet, l'infraction d'escroquerie en bande organisée ne porte pas atteinte en elle-même à la sécurité, dignité et vie humaine. C'est une infraction d'atteinte aux biens. Or, les infractions visées à l'article 706-73 du Code de procédure pénale sont des infractions d'atteintes graves aux personnes, punies de peines très lourdes, pour la plupart de réclusion criminelle. Ceci justifie l'application à ces infractions des dispositions de l'article 706-88 relatives à un régime dérogatoire de garde à vue. Cette justification ne vaut pas pour le délit d'escroquerie en bande organisée. Il en ressort que l'article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale.est inconstitutionnel en ce qu'il permet que le régime de la garde à vue prévu par les dispositions de l'article 706-88 du Code de procédure pénale soit appliqué à des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée.

En l'espèce, M. [L M] est bien fondé de demander à la Cour de bien vouloir transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité sans délai à la Cour de cassation afin qu'elle procède à l'examen qui lui incombe, en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité des dispositions concernées, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication en résultant.

Observations du Procureur général sur la question prioritaire de constitutionnalité posée :

Cette QPC est formulée au moyen d’un écrit distinct, daté.du 24 décembre 2013 et régulièrement déposé au greffe de la chambre de l'instruction Elle est donc recevable en la forme, et les textes dont elle invoque la non conformité aux dispositions constitutionnelles sont bien applicables au litige.

L'article 706-88 du Code de procédure pénale (possibilité d’une durée prolongée de la garde à vue pour les infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées, dont la liste est fixée par l’article 706-73 du même code), a été déclaré conforme à la constitution par une décision 2004-4927 D C du 2 mars 2004 du Conseil constitutionnel, rappelée dans une décision 2010 14/22 QPC du 30 juillet 2010 de la même juridiction du Code de procédure pénale a été déclaré conforme à la constitution, Mais le demandeur est fondé à rappeler que dans la rédaction en vigueur de l’article 706- 73, l'infraction d’escroquerie en bande organisée, présente dans la première version du texte, exclue de ses dispositions, a été réintroduite par l'effet d’une loi 2011-525 du 17 mai 2011, postérieure aux décisions évoquées ci dessus.

Il reste que le texte critiqué traduit de façon équilibrée la conciliation nécessaire entre les principes constitutionnels dont la violation est alléguée et l'objectif, lui aussi de valeur constitutionnelle, de lutte menée par les pouvoirs publics contre la délinquance, lutte qui justifie des mesures particulières prises pour la recherche et la répression des crimes et délits commis de manière organisée, cette dernière notion n° excluant pas certaines infractions contre les biens et certaines infractions dites astucieuses.

La QPC proposée par [U M] paraît ainsi dépourvue de caractère sérieux, et le procureur général est d’avis que la chambre de l’instruction dise pour ce motif qu'il n’y a pas lieu à sa transmission à la Cour de cassation.

Le 2 avril 2014, Monsieur le Procureur général a formulé des observations complémentaires:

Ï - pour ce qui regarde l’argumentation de défaut de proportionnalité et de rigueur excessive sur lequel s’ appuie le demandeur à la QPC, qui invoque la non conformité des textes précités aux principes constitutionnels, il y a lieu de rappeler que dans sa décision 2004 492 D C du 2 mars 2004 validant le régime dérogatoire d’ enquête, lequel inclut la possibilité d’ une garde à vue prolongée pour les infractions alors visées par l’article 706-73 du code de procédure pénale, le conseil constitutionnel évoquait dans son considérant N° 17 le vol en bande organisée, précisant en substance que cette infraction ne portait pas nécessairement atteinte aux personnes, mais qu’elle ne pouvait trouver sa place dans la liste qu' à la condition de présenter des éléments de gravité suffisants pour justifier les mesures dérogatoires en matière de procédure pénale, que dans le cas contraire ces procédures spéciales imposeraient une rigueur non nécessaire, et qu'il appartiendrait à l’autorité judiciaire d'apprécier l'existence de tels éléments de gravité dans le cadre de l’application de la loi.

C’est dire que le juge constitutionnel n’a pas entendu exclure par principe les infractions contre les biens de l’application du régime dérogatoire d'enquête, incluant la possibilité d’une garde à vue prolongée, et son raisonnement sur ce point peut tout à fait être transposé au cas de l’escroquerie en bande organisée.

2 - on doit en outre relever que dans sa décision 2013 679 D C du 4 décembre 2013, le conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui étendaient la possibilité de recourir à la garde à vue prolongée à certaines infractions économiques et financières : corruption, trafic d’ influence, fraude fiscale organisée ou complexe, certains délits douaniers, et blanchiment de ces délits. L'extension ainsi refusée concernait des délits tenus pour non susceptibles de porter atteinte en eux mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Mais tous ces délits constituent des infractions contre la probité ou contre la chose publique.

Tel n’est pas spécifiquement le cas de l’escroquerie en bande organisée, infraction astucieuse qui suppose un rapport établi entre un auteur et une victime, cette dernière étant conduite à remettre un bien ou une valeur par l'effet de manoeuvres frauduleuses qui bien souvent comportent des rapports directs de personne à personne.

Ainsi la réserve de l’appréciation des éléments de gravité de la situation de fait par l’autorité judiciaire, formulée par le juge constitutionnel pour d’autres infractions contre les biens, paraît suffisante pour garantir, en ce qui concerne l’escroquerie en bande organisée, la conciliation entre les principes constitutionnels dont la violation est alléguée et les nécessités de la lutte menée par les pouvoirs publics contre la délinquance, qui constitue elle aussi un objectif à valeur constitutionnelle.

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Par mémoire régulièrement déposé, Maître Chabert au nom du CDR et du CDR Créances ne conteste pas la recevabilité formelle de la QPC déposée par Me [M], maïs considère que la question a déjà été examinée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision 2004-492 DC du 2 Mars 2004, lors de l’examen de la loi du 9 Mars 2004, et notamment de ses dispositions ayant abouti à l'article 706-73 du Code de procédure pénale listant les crimes et délits, pour lesquels des moyens dérogatoires au droit commun pourront être utilisés.

Sont repris les textes de loi successifs ayant trait à cet article :

- la loi n° 2007-397 du 5 Mars 2007 a introduit le 8° de l’article 706-73, ces dispositions n'ont pas été examinées par le Conseil Constitutionnel (Décision 2007-553 DC 3 Mars 2007)

- la loi n° 2007-1598 du 13 Novembre 2007 a abrogé le 8° de l’article considéré

- la loi 2011-525 du 17 Mai 2011 a rétabli cette disposition, laquelle question n’a pas été soumise à l’examen du Conseil Constitutionnel (Décision 2001-629 du 12 Mai 2011). Il est conclu que si le Conseil Constitutionnel a validé dans son ensemble l’article 706-88 il n’a jamais examiné la conformité à la Constitution du 8° de l’article 706-73 du Code de procédure pénale.

Mais la décision de cette même juridiction du 4 Décembre 2013 ne peut être invoquée pour arguer du caractère sérieux de la question, car cette décision n’a pas invalidé celle du 2 Mars 2004 ayant considéré que l’article 706-73 était conforme à la Constitution, puisqu'elle a admis la possibilité d’une garde à vue de 96h pour des faits de vol en bande organisée, alors même qu'il s’agit d’une atteinte aux biens, qui n’est pas susceptible de porter atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Enfin l’escroquerie en bande organisée est de nature différente (dol spécial) aux délits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale qui appellent pour être caractérisé un dol général, visés par la loi du 5 Novembre 2013.

Maître Bourdon pour l’EPFR soutient que la loi applicable contestée, comprise comme la combinaison des articles 706-73 8 bis et 706-88 du Code de procédure pénale a déjà fait l’objet d’une validation dans son principe par le Conseil Constitutionnel, et que la question est dépourvue de tout sérieux, puisque fondée sur une lecture erronée et partielle de la décision n° 2013+679DC du 4 décembre 2013 et de l’article 706-73 dans son entièreté.

La formulation de la question par [U M] n’identifie pas une disposition précise et unique. Les modalités d’application du régime dérogatoire de la garde à vue sont à dissocier de l’article 706-73 du Code de procédure pénale. Les dispositions contestées sont bien celles appliquées à la procédure. Ces dispositions n’ont elles pas déjà été validées par une décision antérieure du Conseil Constitutionnel?

L'EPFER convient toutefois que l’article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale, dans sa rédaction actuelle, n’a pas été visé explicitement et de façon isolée par sa jurisprudence. Mais les articles 706-73 et 706-88 du Code de procédure pénale ont déjà fait l’objet d’un examen et d’une décision du Conseil dans les conditions de l’article 61 de la Constitution. lorsque lui a été soumise La loi 2004-204 du 29 Mars 2004 (considérant 25,26,27) et en 2010, le Conseil Constitutionnel rappelait qu’en l’absence de changement de circonstance, il n’y avait pas lieu d’examiner à nouveau l’article 706-73 (Décision 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010). Enfin, le Conseil Constitutionnel s’est prononcé sur là constitutionnalité d’un régime de garde à vue dérogatoire au droit commun pour le vol commis en bande organisée (décision 2004-492 - Cons 17) et de même pour le blanchiment et le recel des produits des infractions mentionnées, passibles de 5 ou 10 ans d’emprisonnement.

Le caractère matériel et financier de l’infraction retenue en l’espèce n’est pas de nature à remettre en question la constitutionnalité d’un régime dérogatoire, le Conseil Constitutionnel laissant au juge le soin d’apprécier les éléments de gravité, dans chaque espèce. Quant à l’article 706-88 du Code de procédure pénale, il a déjà fait l’objet d’un examen isolé et d’une décision spécifique (Décision 2010-31 QPC 22 Septembre 2010).

Ainsi si le Conseil Constitutionnel n’a pas rendu de décision validant expressément le 8° de l’article 706-73 du Code de procédure pénale, il apparaît de la jurisprudence que l'application d’un régime dérogatoire aux infractions listées par 706-73 dans son ensemble a déjà été jugée conforme à la Constitution.

Sur le caractère sérieux de la QPC, le recours au régime de garde à vue dérogatoire au droit commun pour l’escroquerie en bande organisée n’est pas disproportionné et donc ne présente pas un caractère sérieux. On ne peut pas transposer, la décision du Conseil Constitutionnel du 4 Décembre 2013, qui a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi tendant à faire appliquer un régime dérogatoire aux délits de corruption, trafic d’influence et fraude fiscale et douanière, au motif que ces délits ne portent pas atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, à l’escroquerie en bande organisée visée à l’article 706-73 8 bis. Or la liste des délits et des crimes visés par l’article 706-73 portent à la fois sur des infractions d’atteinte aux biens et aux personnes, certaines de celles-ci relevant de la criminalité organisée voire du grand banditisme, comme le vol, l’extorsion l’escroquerie et le blanchiment.

Le Conseil Constitutionnel a affirmé à maintes reprises le principe autorisant l’existence d’un régime dérogatoire, par un contrôle à priori, ou à posteriori. Sa récente décision ne remet pas En CAUSE la constitutionnalité d’un régime dérogatoire pour les infractions graves commises en bande organisée, Par sa décision du 4 Décembre 2013, le Conseil Constitutionnel fait une distinction entre les infractions qui portent atteinte à des intérêts privés et celles qui portent atteinte aux intérêts de l'Etat. Quant à l’escroquerie, sa répression vise à Préserver la propriété des individus ou le cas échéant des personnes morales, donc à protéger le citoyen, le préjudice d’une personne, comme il en est pour le vol où l’extorsion.

Par mémoire du 8 Avril 2014 en réponse aux observations de Monsieur le Procureur Général du 2 Avril 2014, Me Iweins rappelle que les conditions de forme et de fond pour déposer une QPC sont remplies et notamment que cette question n’a pas déjà été soumise au Conseil Constitutionnel et qu’elle présente un caractère sérieux.

Le mémoire reprend les considérants 76 et 77 de la décision 2013-679 du 4 Décembre 2013 et principalement le second, cette juridiction ayänt jugé au visa des articles 7,9, 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et de l’article 34 de la Constitution. :

Il est affirmé que l’escroquerie en bande organisée ne porte pas atteinte en elle-même à la sécurité ou la dignité, ou à la vie des personnes, comme y portent atteinte les autres infractions visées par l’article 706-73 du Code de procédure pénale.

La garde à vue de 96h00 imposée en l'espèce à M. [M] pour des soupçons d’escroquerie en bande organisée l’a privé des garanties accordées par la Constitution, la question présente donc un caractère sérieux, malgré les observations de Monsieur le Procureur Général.

Les pouvoirs publics sont d’un avis contraire, puisque le gouvernement a souhaité présenter au Sénat dans le cadre de l’adoption du projet de loi n° 303 (201 3-2014) transposant la directive 2012- 13/UE du Parlement Européen et du Conseil du 22 Mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, un amendement visant à cornpléter l’article 706-73 du Code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé : “les dispositions de l'article 706-88 permettant une garde à vue de quatre jours ne sont toutefois pas applicables au délit prévu par le 6 bis du présent article ou, lorsqu'elles concernent ce délit, aux infractions mentionnées au 14°, 15°, et 16° du présent article”.

Pour expliquer cet amendement, Madame le Garde des Sceaux] a expliqué le 24 Février 2014 : ” Cet amendement tend à tirer conséquence de la décision du Conseil Constitutionnel de 4 décembre 2013 sur le Loi du 13 décembre 2013 relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Nous en tirons les conséquences pour le délit d escroquerie en bande organisée auquel peut s'appliquer l'observation du Conseil Constitutionnel sur le principe de proportionnalité. Ce délit est en effet pas susceptible de porter en lui-même directement atteinte à la sécurité, à la dignité et à la vie des personnes. ”

Madame le Garde des Sceaux ajoutait : “Cet amendement, qui tend à modifier l'article 706-73 du Code de Procédure Pénale, permettra de sécuriser les procédures en cours et d'éviter que des enquêtes pénales ne soient censurées sur la base de cette décision du Conseil Constitutionnel”.

Pour le requérant, il résulte à l’évidence que la question posée à un caractère particulièrement sérieux et il y a donc lieu à la transmettre à la Cour de Cassation pour qu’il soit statué sur son renvoi devant le Conseil Constitutionnel.

*****

MOTIFS DE LA DÉCISION :

I LES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ :

À Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité:

Considérant qu’en l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct et motivé.

La demande est donc recevable en la forme.

B Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Conformément à l’article 23-2 de l’ordonnance précitée, il ressort de la procédure que le même jour, le 24 Décembre 2013, les conseils de M. [M] ont déposé une requête, n° 2013/09411, en annulation de pièces de la procédure, portant notamment quant à la régularité de la mesure de garde à vue dont leur client a été l’objet, procédure enregistrée au Parquet sous le n° P11160920212 et à l'instruction sous le n° 2013/12/15 dite “procédure de l'arbitrage [T]”, des moyens de nullité, concernant en particulier la régularité de la garde à vue de l'intéressé, étant présentés ;

- la disposition contestée est donc applicable au litige ou à la procédure.

II LES CONDITIONS DE FOND :

. Considérant qu'il y a lieu de vérifier que la question prioritaire de constitutionnalité posée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel,

A) Considérant qu’au préalable il est nécessaire d inventorier dans les textes législatifs l'existence ou la référence où pas au délit d’escroquerie en bande organisée, et plus particulièrement dans les dispositions successives de l'article 706-73 du Code de procédure pénale. Ainsi :

- la loi 2004-204 du 9 Mars 2004, applicable du 1° Octobre 2004 au 1° Mars 2005 n’y fait pas référence, pas plus que les textes intervenus en 2005 et 2006.

- C’est par la loi n°2007/297, du 9 Mars 2007, applicable jusqu’au 14 Novembre 2007, qu’est introduite l’escroquerie en bande organisée par un 8° bis dans l’article 706-73 du Code de procédure pénale ;

- Les lois des 14 Novembre 2007, janvier, mars 2011, ont abrogé la référence de cette infraction dans l’article 706-73 du Code de procédure pénale ;

- La loi du 8 Mars 2012 réintroduit cette disposition, la loi applicable du 1er Mai 2012 au 17 Novembre 2013, la maintient en vigueur, enfin la loi n° 2013-1029 du 15 Novembre 2013 a confirmé ce maintien dans l'article susvisé.

B) Quant aux décisions du Conseil Constitutionnel:

Considérant que si la loi 2004-204 du 9 Mars 2004 a été soumise à l’examen du Conseil Constitutionnel, et notamment ses dispositions qui sont devenues les articles 706-88 et 706-73 du Code : de procédure pénale, ce dernier texte ne comprenait pas de 8° bis visant l’escroquerie en bande organisée ;

Considérant que si par cette décision 2004-4927, le Conseil Constitutionnel a admis (considérant 7) que le vol en bande organisée visé au 7° de l‘article 706-73 pouvait faire l’objet de moyens d'enquête, instruction, poursuite et jugement dérogatoires au droit commun, il a précisé que cette infraction était passible de 15 à 30 ans de réclusion criminelle, selon l’article 311-9 du Code pénal, qu’il a de même admis que l’extorsion prévue par les articles 312-6 et 312-7 du Code pénal pouvait appartenir à cette liste, à la condition que les violences commises aient entraîné une mutilation, infirmité ou la mort ou aient été assorties de circonstances aggravantes pouvant entraîner une peine de réclusion criminelle à perpétuité, le critère d’une particulière gravité, voire d'atteinte à la personne étant manifestement retenu ;

Considérant qu’il ne peut donc être raisonné, par assimilation pour inclure implicitement dans cette liste des infractions les plus graves, telle que l’escroquerie en bande organisée, le droit pénal étant au surplus d'interprétation stricte ;

Considérant que dans ses décisions 2010-14 et 2010-22 QPC du 30 Juillet 2010, le Conseil Constitutionnel a refusé de réexaminer l’article 706-73 du Code de procédure pénale (et l’alinéa 7 de l’article 63-4 du même Code) au motif qu’il l’a déclaré conforme à la Constitution à l’occasion de l'examen de la loi dite Perben I ;

Considérant qu au surplus, à cette date, 30 Juillet 2010, l’escroquerie en bande organisée n’avait pas été réintroduite dans ce texte de procédure ;

Considérant que la loi n° 2007-297 du 5 Mars 2007 n’a pas été soumise à la censure du Conseil Constitutionnel, et que de toute façon elle abrogeait toute référence à l’escroquerie en bande organisée dans le texte qui intéresse la présente procédure ;

Considérant que la loi n°2011-525 du 17 Mai 2011, a réintroduit dans ses dispositions actuellement en vigueur le délit d’escroquerie en bande organisée, dans la liste des infractions visées à l’article 706-73 du Code de procédure pénale, infractions susceptibles de faire l’objet de règles de procédure dérogatoire au droit commun, telles que prévues aux article 706-80 et suivants et notamment par l’article 706-88 relatif aux modalités de la garde à vue (Section III, Chap II, Titre XXV) ;

Considérant que par sa décision 2011-629 DC du 18 Mai 2011, à l’occasion de l’examen de la loi dite de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, le Conseil Constitutionnel ne s’est . pas prononcé quant à la réintroduction de infraction d’escroquerie en bande organisée dans la liste des délits et crimes énumérés par l’article 706-73 du Code de procédure pénale ;

Considérant en conséquence que la disposition contestée soit le 8°bis de l’article 706-73 du Code de procédure pénale, concernant plus particulièrement l’escroquerie en bande organisée, n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, et n’apparaît pas en l’état, en cours d’examen devant cette juridiction ;

Considérant qu’à l’occasion de l’examen de la loi n° 2013-1117 du 6 Décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, par sa décision 2013- 679 DC du 4 Décembre 2013, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le recours à des pouvoirs spéciaux d’enquête visés par les articles 706-860 à 706-88 du Code de procédure pénale , puis 706-95 à 706-102-9 du même Code, pour les infractions de fraude fiscale prévues par les articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, lorsque commises en bande organisée, de délits douaniers prévus par les articles 414 et 415 du Code des Douanes, lorsque punies d’une peine supérieure à 5 ans d’empoisonnement, du blanchiment de ces délits, ou encore aux délits de corruption et de trafic d'influence ;

Mais considérant que, par cette même décision (considérants 77), le Conseil Constitutionnel a déclaré contraire à la constitution la référence à l’article 706-88 du Code de procédure pénale, en ces termes :

“Considérant que, à l’exception du délit prévu par le dernier alinéa de l’article414 du code général des Douanes, les infractions énumérées par l’article706-1-1, de corruption et de trafic d'influence ainsi que de fraude fiscale et douanière, constituent des délits qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes; qu’en permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l’article 706-88 du CPP, au cours des enquêtes ou instructions sur ces délits, le législateur a permis qu’il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense, une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi; que par suite, à l’article 706-1-1 du CPP, la référence à l’article 706-88 du même code doit être déclarée contraire à la Constitution; que le paragraphe IV de l’article 66doit, pour le surplus, être déclaré conforme à Ia Constitution, qu’il en va de même de son paragraphe VI”:

Que le Conseil Constitutionnel introduit ici une distinction nouvelle, quant aux infractions qui ne Sont pas susceptibles en elles mêmes de porter une atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, pour juger que cette catégorie d’infractions ne pouvait justifier une atteinte à la liberté individuelle et aux droits de la défense, en particulier par le recours à une garde à vue de 96h00, exorbitante de droit commun :

Considérant qu’on peut dès lors sérieusement s’interroger sur Le point de savoir si une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre le délit d’escroquerie en bande organisée, infraction punie de 16 ans d’emprisonnement par l’article 313-2 dernier alinéa du Code pénal, peut être l’objet d’une mesure de garde à vue de 96h00 en application de l’article 706-88 du Code de procédure pénale, sans qu’il ne soit porté une atteinte disproportionnée à sa liberté individuelle et aux droits de sa défense, par rapport au but poursuivi, qui est en l’espèce la répression et la réparation d’une atteinte aux biens, ne constituant ni crime ni délit portant atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ;

Considérant au surplus, qu’en effet, Madame la Garde des Sceaux, se référant expressément à cette dernière décision a saisi le Parlement, par le dépôt d’un projet législatif de modification des dispositions de l’article 706-73 du Code de procédure pénale, par un alinéa complémentaire visant à exclure l’application des dispositions de l’article 706-88 de ce Code, permettant une garde à vue de quatre jours, pour le délit visé à l’article 8 bis du présent texte ou lorsqu'elles concernent ce délit, aux infractions mentionnées aux 14°, 15°, 16° de ce texte :

Considérant qu’enfin, le Conseil Constitutionnel, a, par sa décision du 23 Juillet 2010 (2010-16 QPC du 23 Juillet 2010) jugé que “la modification ou l’abrogation ultérieure de la disposition contestée ne fait pas disparaître l’atteinte éventuelle à ces droits et libertés, qu’elle n’ôte pas son effet utile à la procédure voulue par le constituant, que par la suite, elle ne saurait faire obstacle, par elle-même, à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, au motif de l’absence de caractère sérieux de cette dernière ;

Considérant en conséquence, que la question prioritaire de constitutionnalité formée le 24 Décembre 2013, reçue sous le n° 2013/09412, au nom de M. [M] est recevable en la forme;

Considérant qu’elle n’a pas été déjà soumise au contrôle de constitutionnalité du Conseil Constitutionnel et qu’elle présente un caractère sérieux :

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation, aux fins de son éventuelle transmission au Conseil Constitutionnel, la question suivante :

« L'article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale, en ce qu'il permet que le régime de la garde à vue prévu par l'article 706-88 du Code de procédure pénale soit appliqué à des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée, est-il contraire aux Principes de sauvegarde de Ia liberté individuelle et du respect des droits de la défense tels qu'ils sont définis aux articles 2, 4, 7,9, 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ainsi que par l'article 66 de la Constitution ? »

afin de savoir si ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ?

Considérant qu’il convient donc de surseoir à statuer sur les demandes au fond des parties.

PAR CES MOTIFS

La Cour, vu les articles 23-1 à 23-7 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7. novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-I 523 du 10 décembre 2009 :

Statuant en chambre du conseil, par décision non susceptible de recours ;

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante:

« L'article 706-73 8° bis du Code de procédure pénale, en ce qu'il permet que le régime de la garde à vue prévu par l'article 706-88 du Code de procédure pénale soit appliqué à des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée, est-il contraire aux principes de sauvegarde de Ia liberté individuelle et du respect des droits de la défense tels qu'ils sont définis aux articles 2, 4, 7,9, 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ainsi que par l'article 66 de la Constitution ? »

porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution française et plus particulièrement aux articles 66 de la Constitution, articles 7, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789,

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public et celles des autres parties relatives à cette question prioritaire de constitutionnalité :

Sursoit à statuer sur les demandes au fond des parties ;

Dit que l'affaire sera rappelée à l’audience ultérieurement, lorsque la Cour de Cassation ou le Conseil Constitutionnel auront informé la Chambre de l'instruction de leur décision.

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

Dit que les parties non comparantes seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT