Cour d'Appel de Caen

Arrêt du 30 janvier 2014, N° RG 13/02095

30/01/2014

Renvoi

AFFAIRÉ : N° RG 13/02095

ORIGINE : DECISION en date du 19 Juin 2013 du Tribunal de Commerce de LISIEUX - RG n° 2013002432

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 30 JANVIER 2014

APPELANTE et DEMANDERESSE SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE :

LA SA BEVERAGE AND RESTAURATION ORGANISATION (BRO)

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 1]

Place de l'Hôtel de Ville

14600 HONFLEUR

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me MOSQUET substituant Me Jacques MIALON, avocats au barreau de CAEN assistée de Me Henry MONS, avocat au barreau de LISIEUX.

INTIMEE et DEFENDERESSE SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE :

LA SELARL [A B], mandataire liquidateur de la SA BEVERAGE AND RESTAURATION ORGANISATION (BRO)

[adresse 2]

[LOCALITE 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur CHRISTIEN, Président, rédacteur,

Madame BEUVE, Conseiller,

Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller,

MINISTERE PUBLIC : En présence du Ministère Public représenté par M. FAURY, Substitut Général.

DÉBATS :A l'audience publique du 16 Janvier 2014 Rapport oral de M. CHRISTIEN, Président,

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2014 et Signé par Monsieur CHRISTIEN, Président, et Mme LE GALL, Greffier

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 13 décembre 2012, le tribunal de commerce de Lisieux a, sur la déclaration de cessation des paiements de son représentant légal, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Beverage & Restauration Organisation (la société BRO) et désigné la SELARL [B] en qualité de mandataire judiciaire.

Puis, par un second jugement du 19 juin 2013, le tribunal de commerce, constatant à l'issue de la période d'observation que l'entreprise n'était pas viable et qu'aucune solution de redressement n'était envisageable, a prononcé d'office la liquidation judiciaire de la société BRO et nommé la SELARL [B] aux fonctions de liquidateur.

La société BRO a relevé appel de cette seconde décision le 21 juin 2013.

Par conclusions spéciales déposées le 20 décembre 2013, la société BRO a demandé à la cour de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité, au regard du principe d'impartialité du juge, des dispositions de l'article L. 631-15-II du code de commerce donnant pouvoir au juge, si le redressement judiciaire est impossible, de prononcer d'office la liquidation judiciaire à tout moment de la période d'observation.

Estimant que le juge ne pouvait statuer dans un sens différent de celui en faveur duquel il s'était auto-saisi, elle estime que le pouvoir de saisine d'office méconnaît l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et reproduit le considérant de la décision du Conseil constitutionnel du 7 décembre 2012 déclarant la saisine d'office prévue par l'article L. 631-5 du code de commerce contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en soulignant que ‘les mêmes principes devraient conduire à la même solution”.

Par conclusions déposées le 20 décembre 2013, la SELARL [B] s'oppose à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité en faisant valoir que les dispositions critiquées de l'article L. 631-15-II du code de commerce ne donnent pas au juge le pouvoir d'introduire d'office une nouvelle instance et que la société BRO opère une confusion entre les notions de saisine d'office et de respect du principe de la contradiction.

Le Ministère public, auquel l'affaire a été communiquée le 30 décembre 2013, a conclu le 9 janvier 2014 au rejet de la demande de transmission, en arguant que les dispositions critiquées de l’article L. 631-15-II se bornent à conférer au juge le pouvoir de statuer sur les suites d'une procédure en Cours, laquelle comprend en germe la possibilité d'une conversion du redressement en liquidation, et non d'introduire spontanément une instance.

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'exception d'inconventionnalité de l’article L. 631-15-II du code de commerce au regard de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme n'a pas à être transmise à la Cour de cassation.

En revanche, il est certain qu'en reproduisant la décision du Conseil constitutionnel du 7 décembre 2012 déclarant la saisine d'office prévue par l'article L. 631-5 du code de commerce contraire à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 tout en soulignant que “les mêmes principes devraient conduire à la même solution”, la société BRO a aussi entendu invoquer l'inconstitutionnalité du pouvoir de saisine d'office du juge au regard du principe constitutionnel d'impartialité.

Reformulée sous forme de question, ce que la société BRO s'était abstenue de faire, la contestation de la société BRO doit être présentée ainsi : les dispositions de l'article L. 631-15-II du code de commerce donnant pouvoir au tribunal de prononcer d'office la liquidation judiciaire à tout moment de la période d'observation portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?

Ce moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct des conclusions de la société BRO, et motivé, de sorte qu'il est recevable.

Il résulte par ailleurs de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité la transmet sans délai à la Cour de cassation si la disposition contestée est applicable au litige, si elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et si elle n'est pas dépourvue de Caractère sérieux.

Il est exact que l’article L. 631-15-II du code de commerce énonce que le tribunal peut d'office, à tout moment de la période d'observation, prononcer la liquidation judiciaire du débiteur en redressement judiciaire si celui-ci est manifestement Impossible.

Cette disposition est applicable au litige, dès lors que c’est Sur son fondement que le tribunal s'est lui même saisi pour prononcer la liquidation judiciaire de la société BRO qui poursuivait alors son activité dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire ouverte sur sa déclaration de cessation des paiements.

En outre, cette disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, si la question n'est pas nouvelle, il demeure que la faculté pour une juridiction de se saisir elle-même en vue de convertir un redressement judiciaire en cours en liquidation judiciaire peut apparaître contraire au droit du débiteur à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que le juge, en prenant l'initiative du prononcé de la liquidation judiciaire, peut être perçu comme une partie.

S'il répond à des considérations d'intérêt général fondées sur là nécessité d'une surveillance des entreprises et d’un traitement rapide des procédures collectives, et s'il peut se Concevoir comme la simple adaptation du principe dispositif à la procédure de redressement judiciaire comprenant déjà en germe la possibilité d’une conversion en liquidation judiciaire, l'exercice de ce pouvoir de saisine d'office du juge est aussi susceptible de constituer une atteinte au principe d'impartialité, dès lors qu'il ne comporte pas de garanties propres à assurer le respect de celui- ci.

Le question posée présente donc un caractère sérieux et mérite par conséquent d'être transmise à la Cour de cassation.

Il convient dès lors, conformément aux dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, S'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

Les dispositions de l'article L. 631-15-II du code de Commerce donnant pouvoir au tribunal de prononcer d'office la liquidation judiciaire à tout moment de la période d'observation portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?

Dit que le présent arrêt sera adressé a la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires où conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties et le Ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision :

Sursoit à statuer sur les demandes des parties jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel :

Réserve les dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL J. CHRISTIEN