Conseil de Prud'hommes de Paris

Jugement du 10 janvier 2014, RG N° F 12/02587

10/01/2014

Renvoi

CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE PARIS

SERVICE DU DÉPARTAGE

27, rue Louis Blanc 75484 PARIS CEDEX 10

Tél : 01.40.38.52.39

MN

SECTION

Commerce chambre 4

RG N° F 12/02587

Notification le :

Date de réception de l’A.R. :

par le demandeur:

par le défendeur :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

---------

JUGEMENT

réputé contradictoire et susceptible de recours dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Janvier 2014

Composition de la formation lors des débats :

Mme Karima GASSEM, Présidente Juge départiteur

assistée de Madame NELLEC., Greffière

ENTRE

M. [A B C D]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

Comparant en personne

DEMANDEUR

ET

SARL BIO PHILIPPE AUGUSTE

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

Non comparante, ni représentée

DEFENDEUR

PROCÉDURE

- Saisine du Conseil : 23 mars 2011 - sous le numéro 11-4893.

- Convocation de la partie défenderesse par lettres simple et recommandée dont l’accusé réception a été retourné au greffe avec signature en date du 29 mars 2011

- Audience de conciliation le 9 juin 2011.

- À l’audience du bureau de jugement du 1er mars 2012 une question prioritaire de constitutionnalité a été posée et l’affaire renvoyée au bureau de jugement du 12 décembre 2012, cette question ayant fait l’objet d’un enregistrement au RG sous le présent numéro. Avis a été donné au Ministère Public le 8 mars 2012.

- Partage de voix prononcé le 24 Janvier 2013

- Débats à l'audience de départage du 06 Décembre 2013 à l'issue de laquelle les parties ont été avisées de la date et des modalités du prononcé.

DEMANDES PRÉSENTÉES AU DERNIER ETAT DE LA PROCÉDURE

Demande principale

- prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du 3° de l’article L. 1243-10 du code du travail pour violation des articles 1 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, de l’article 1 de la Constitution de 1958 et du principe constitutionnel d'égalité,

- Constater que la question soulevée porte sur une question applicable au litige,

- Constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n’a pas été déjà été déclarée conforme à la Constitution,

- Constater que la question soulevée présente un caractère sérieux,

- transmettre à la Cour de Cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

- transmettre à la Cour de Justice de l'Union Européenne, conformément à l’article 247 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, toute question qu’il estimera nécessaire et notamment la question suivante : « le principe général de non-discrimination en fonction de l'âge fait-il obstacle à une législation nationale excluant les jeunes travaillant durant leurs vacances scolaires ou universitaires, du bénéfice d'une indemnité de précarité due en cas d'emploi sous forme de contrat à durée déterminée non suivi d’une offre d'emploi à durée indéterminée ?

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [B C D A], étudiant en droit, a été embauché par la SARL BIO PHILIPPE AUGUSTE du 21 au 24 décembre 2010 selon contrat à durée déterminée et pendant ses vacances universitaires.

À l'issue de son contrat, l’indemnité de précarité prévue par l’article L 1243-8 du Code du travail ne lui a pas été versée en application du 2° de l’article L 1243-10 du Code du travail.

Par déclaration au greffe enregistrée le 23 mars 2011, Monsieur [B C D A] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS afin d’obtenir le versement de la prime de précarité à hauteur de 23,21 euros outre la somme de 4.500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

À l'audience des plaidoiries du 29 mars 2011, employeur était absent et Monsieur [B C D A] a maintenu ses demandes.

Le 1er mars 2012, Monsieur [B C D A] a déposé une question prioritaire de constitutionnalité. Un nouveau renvoi a dès lors été opéré au 2 décembre 2012 pour statuer sur la transmission de cette question.

La formation de jugement a renvoyé l'affaire devant le juge départiteur.

Dans un mémoire écrit soutenu oralement à l'audience de départage du 6 décembre 2013, Monsieur [B C D A] a soulevé l'inconstitutionnalité de l'article L.1243-10 du code du travail. Il sollicite également la transmission d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne.

Monsieur [B C D A] expose que cette disposition du code du travail est discriminante pour les étudiants lesquels sont pénalisés.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, le conseil de prud'hommes renvoie, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux déposées et soutenues oralement à l'audience de départage.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Attendu que l’article L 1243-10 du Code du travail dispose que l'indemnité de fin de contrat n'est pas due :

1° Lorsque le contrat est conclu au titre du 3° de l'article L. 1242-2 ou de l'article L. 1242-3, sauf dispositions conventionnelles plus favorables :

2° Lorsque le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances Scolaires ou universitaires ;

3” Lorsque le salarié refuse d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi où un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente :

4° En cas de rupture anticipée du contrat due à l'initiative du salarié, à sa faute grave ou à un cas de force majeure ;

Attendu qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé;

Attendu que devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis:

Attendu qu'en l'espèce l'avis du ministère public sur la question prioritaire de constitutionnalité a été sollicité le 8 mars 2012:

que dès lors la procédure est régulière;

Attendu qu'en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présentée dans un écrit distinct et motivé:

Attendu que le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct des conclusions de Monsieur [B C D A] et motivé; que ce moyen est donc recevable;

Attendu que Monsieur [B C D A] présente une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée : “prendre. acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du 3° de l’article L 1243-10 du Code du travail pour violation des articles 1 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, de l’article 1 de la Constitution de 1958 et du principe constitutionnel d’égalité";

Attendu que l'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si trois conditions sont remplies:

Attendu qu'en premier lieu la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constituer le fondement des poursuites:

Attendu qu'en l'espèce, la disposition contestée par Monsieur [B C D A] est ainsi bien applicable au litige mais aussi à la procédure étant précisé que le requérant était embauché en contrat à durée déterminée, qu’il avait 23 ans et pouvait donc être considéré comme jeune, qu’il était étudiant et qu’enfin le contrat s’est exercé pendant les vacances universitaires :

Attendu qu'en deuxième lieu la disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances:

Attendu qu'en l'occurrence il n'apparaît pas que l'article L 1243-10 ait déjà été déclaré conforme à la Constitution; que la deuxième condition est donc aussi remplie;

Attendu qu'en troisième lieu la question posée ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux;

Attendu qu'en l'occurrence, il convient de rappeler que le Conseil Constitutionnel a élevé le principe d’égalité au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République ;

que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’à des situations différentes soient appliquées, compte tenu de l’objet de la loi, des règles différentes;

qu’il ressort cependant de la disposition litigieuse que la loi crée en l’espèce une rupture d'égalité entre les jeunes étudiants et les étudiants plus âgés d’une part, et les étudiants et les autres salariés d’autre part :

que la notion de “jeune” apparaît particulièrement floue en l’absence de définition plus précise sur la tranche d’âge concernée et est susceptible de ce fait de générer des inégalités entre étudiants :

qu’en outre, il est constant que les étudiants sont de plus en plus soumis à des situations de précarité aigue ( plusieurs milliers vivant d’ailleurs sous le seuil de pauvreté) ce qui interroge inévitablement sur la différence de traitement entre ces étudiants “pauvres” et les autres salariés en situation professionnelle précaire :

Attendu que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Monsieur [B C D A] présente un caractère sérieux;

qu'en conséquence il y a lieu de transmettre à la Cour de cassation cette question prioritaire de constitutionnalité;

Attendu qu’il résulte de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 que “Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer Jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer.

Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables où manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation OU, s'il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.” :

qu’en l’espèce, eu égard aux demandes financières du requérant, il échet de constater que la décision de sursis à statuer, n’est pas de nature à entraîner des conséquences irrémédiables pour Monsieur [B C D A] et apparaît donc adaptée;

Sur la question préjudicielle

Attendu que le Conseil constitutionnel rappelle dans la décision du 12 mai 2010 que:

« l'article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu'elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, de l'obligation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du traité sur Le fonctionnement de l'Union européenne ; »

Que La Cour de Justice de l’Union Européenne juge également que : « L'article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d'empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité » :

que pour autant, il échet de constater qu’en l’espèce, la présente décision est susceptible de recours juridictionnel de droit interne et il apparait d’une bonne administration de la justice d’attendre qu’il soit statué sur la question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n’a pas pour conséquence de priver le demandeur de sa faculté de sa possibilité de saisine de la juridiction européenne en tout état de cause;

que cette demande sera donc rejetée en l’état ;

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant seul en l’absence de conseillers présents par jugement réputé contradictoire, susceptible de recours dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, rendu par mise à disposition; Rejette la question préjudicielle en l’état.

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante: “le principe d’égalité et de non discrimination en fonction de l’âge fait-il obstacle à une législation nationale résultant de l’article L. 1243-10 du Code du travail excluant les “jeunes” travaillant durant leurs vacances scolaires ou universitaires, du bénéfice d’une indemnité de précarité due en cas d’emploi sous forme de contrat à durée déterminée non suivi d’une offre d’emploi à durée indéterminée ?”

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité :

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision :

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;

DIT que l’affaire sera rappelée à l’audience du JEUDI 26 JUIN 2014 à 9 heures en salle A 40.

RÉSERVE les dépens ;

LE GREFFIER,

chargé de la mise à disposition

LA PRÉSIDENTE,