Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 9 août 2013 N° 1309360/5-1

09/08/2013

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

 

 

N°1309360/5-1

___________

 

SOCIÉTÉ TF1

___________

 

Ordonnance du 9 août 2013

___________

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le président de section,

statuant sur le fondement de l’article R. 771-7 du code de justice administrative

 

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 2 juillet 2013 au greffe du Tribunal administratif de Paris, sous le n° 1309360/5-1, présenté pour la société TF1, dont le siège social est 1 quai du Point du Jour à Boulogne Cedex (92656), par Me Rolland ; la société TF1 demande au tribunal, à l’appui de sa requête tendant au dégrèvement de la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision acquittée au titre de l'année 2012, à concurrence de la somme de 1 889 176 euros, correspondant à la quote-part de cette taxe assise sur les recettes tirées des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages qui sont liés à la diffusion de ses programmes, de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 115-7 1° c) du code du cinéma et de l’image animée ;

 

Elle soutient :

- que l’article L. 115-7 1° c) du code du cinéma et de l’image animée, qui définit l’assiette des cotisations de taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision dont elle demande le dégrèvement, est applicable au litige ;

- que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

- que ces dispositions, qui ont été interprétées par l’instruction 3 P-3-08 du 18 avril 2008 relative à la taxe sur les services de télévision, prévoient que la taxe sur les services de télévision est, pour les éditeurs de services de télévision, notamment assise sur les recettes tirées des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages qui sont liés à la diffusion de leurs programmes, y compris lorsque ces recettes sont encaissées par une tierce personne ; que ces dispositions ne sont pas conformes au principe d’égalité devant l’impôt garanti par l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; qu’en effet, elles instaurent une imposition confiscatoire et excessive par rapport à ses facultés contributives, tant au regard du taux que de l’assiette de la taxe ; que l’assiette de cette imposition est composée de recettes qui sont encaissées par une société tiers pour son propre compte, société à qui elle a confié la gestion des services interactifs liés à ses programmes ; qu’elle doit donc amputer ses revenus pour acquitter la quote-part de la taxe sur les services de télévision relative aux services interactifs ; que la question prioritaire de constitutionnalité n’est donc pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 15 juillet 2013, par lequel le Centre national du cinéma et de l’image animée conclut à ce que le tribunal rejette la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société TF1 ;

 

Il soutient :

- que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société TF1 est sans caractère sérieux ; qu'en effet, les recettes tirées des services interactifs liés à la diffusion des programmes de l'éditeur sont dégagées par la seule activité de l'éditeur ; que celui-ci détermine lui-même, en fonction des choix de programmation, le niveau des recettes tirées des services interactifs liés à la diffusion des programmes, le tiers assurant l'encaissement des recettes tirées des services interactifs ; que l’objectif de la taxe sur les services de télévision est bien de faire participer au financement public de la création cinématographique et audiovisuelle les opérateurs qui tirent profit de la diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles ;

- que le taux de la taxe sur les services de télévision pour les éditeurs de services de télévision est un taux fixe égal à 5,5 % ; que cette taxe ne revêt donc pas un caractère confiscatoire par son taux ; que l’assiette est composée par les revenus liés à l’activité de l’éditeur des services de télévision, qui peut moduler le niveau d’imposition en fonction de ses choix de gestion, alors même que le tiers assure l’encaissement des recettes tirées des services interactifs en lien avec la programmation ;

 

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 25 juillet 2013, présenté pour la société TF1, par Me Rolland ; elle conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que la taxe sur les services de télévision étant assise sur des revenus, son caractère confiscatoire ne s'apprécie qu'au regard des seuls revenus que cette imposition entend frapper ; que la société TF1 ne dispose pas des revenus sur lesquels la taxe sur les services de télévision est assise ; que la société tiers produit sa propre valeur ajoutée ; que l'activité d'édition de programmes et l'activité de production correspondent à deux prestations différentes et leur rémunération provient de deux publics différents, respectivement les annonceurs et les joueurs ; que le taux de la taxe sur les services de télévision n’est pas de nature à exclure, par lui-même, le caractère confiscatoire de l’imposition ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 6 août 2013, par lequel le Centre national du cinéma et de l’image animée conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que l’objectif des dispositions contestées par la société TF1 est de garantir l’égalité devant les charges publiques des éditeurs de services de télévision en appréhendant les ressources issues des services interactifs quelque soient les modalités de gestion de ces services ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

 

Vu le code du cinéma et de l’image animée ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

 

 

1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (…) » ;

 

2. Considérant qu’aux termes des dispositions de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l’image animée : « Il est institué une taxe due par tout éditeur de services de télévision, au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui est établi en France et qui a programmé, au cours de l'année civile précédente, une ou plusieurs œuvres audiovisuelles ou cinématographiques éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée, ainsi que par tout distributeur de services de télévision au sens de l'article 2-1 de la même loi établi en France. / Tout éditeur de services de télévision, redevable à ce titre de la taxe mentionnée au présent article, et dont le financement fait appel à une rémunération de la part des usagers et qui encaisse directement le produit des abonnements acquittés par ces usagers, est en outre redevable de cette taxe au titre de son activité de distributeur de services de télévision. / Le produit de la taxe acquittée par les éditeurs de services de télévision est affecté au Centre national du cinéma et de l'image animée. Le produit de la taxe acquittée par les distributeurs de services de télévision est affecté à ce même établissement. (…) » ; qu’aux termes des dispositions de l'article L. 115-7 du même code : « La taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Pour les éditeurs de services de télévision, au titre de chacun des services de télévision édités : (…) / c) Des sommes versées directement ou indirectement par les opérateurs de communications électroniques aux redevables concernés, ou aux personnes en assurant l'encaissement, à raison des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages qui sont liés à la diffusion de leurs programmes, à l'exception des programmes servant une grande cause nationale ou d'intérêt général ; (…) » ;

 

3. Considérant que la société TF1, éditeur de services de télévision, a donné en location-gérance à l’une de ses filiales, la société e-TF1, l’exploitation de l’activité liée aux produits ou services interactifs mis à disposition du public par tout procédé électronique, moyennant le paiement d’une redevance calculée sur le chiffre d’affaires global réalisé par la société e-TF1 ; que, par un courrier du 21 décembre 2012, la société TF1 a adressé une réclamation au Centre national du cinéma et de l’image animée en vue d’obtenir la restitution de la quote-part de la taxe sur les services de télévision, relative aux recettes provenant des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages, qu’elle a acquittée au titre de l’année 2012, soit un montant de 1 889 176 euros ; que cette demande a été rejetée par une décision du 2 mai 2013 du président du Centre national du cinéma et de l’image animée ; que, par une requête actuellement à l’instruction devant le Tribunal administratif de Paris, la société TF1 a demandé le dégrèvement de la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision acquittée au titre de l'année 2012, à concurrence de la somme de 1 889 176 euros, correspondant à la quote-part susmentionnée ;

 

4. Considérant que la société TF1 soutient que la question de la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 115-7 1° c) du code du cinéma et de l’image animée, en vertu desquelles la taxe sur les services de télévision est, pour les éditeurs de services de télévision, assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée des sommes versées directement ou indirectement par les opérateurs de communications électroniques aux redevables concernés, ou aux personnes en assurant l'encaissement, à raison des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages qui sont liés à la diffusion de leurs programmes, à l'exception des programmes servant une grande cause nationale ou d'intérêt général, y compris lorsque ces personnes sont des tiers aux redevables et encaissent ces sommes pour leur propre compte, n’a jamais été soumise au Conseil constitutionnel, que cette question de constitutionnalité présente un caractère sérieux et que les dispositions en cause portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment en ce qu’elles méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

 

5. Considérant que les dispositions en cause de l'article L. 115-7 1° c) du code du cinéma et de l’image animée sont applicables au présent litige ; que ces dispositions n’ont pas été soumises au Conseil constitutionnel ; que la question de la constitutionnalité de ces dispositions au regard du principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; que, dès lors, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société TF1 ;

 

 

O R D O N N E :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 115-7 1° c) du code du cinéma et de l’image animée est transmise au Conseil d'Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société TF1 jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société TF1, au Centre national du cinéma et de l’image animée et au ministre de la culture et de la communication.

 

 

Fait à Paris, le 9 août 2013.

 

Le président de section,

 

 

 

 

 

C. HEU

 

 

 

 

 

 

 

 

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