Tribunal de grande instance de Paris

Ordonnance du 11 juillet 2013, N° RG : 13/05100

11/07/2013

Renvoi

Reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 9 octobre 2013

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

1/2/1 nationalité A

N° RG : 13/05100

N° MINUTE : 5

CH.

ORDONNANCE DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Demanderesse à la question prioritaire :

Madame [A D] divorcée [K]

[LOCALITE 1] ([LOCALITE 2])

Représentée et assistée par Me Aicha ANSAR-RACHIDI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D 825

Défendeur :

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

Parquet 01 Contentieux de la nationalité

4 Boulevard du Palais

75055 PARIS

Madame CHEMIN, Vice-Procureure

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Le 11 Juillet 2013,

Nous, Christelle HILPERT, Vice-Présidente, assistée de Nicole. TRISTANT, Greffier ;

Selon acte du 31 mars 2011, le procureur de la République a fait assigner devant ce tribunal Madame [A F], née le [DateNaissance 3] 1933 à [LOCALITE 4] ([LOCALITE 5]), aux fins de voir constater son extranéité.

Il expose que le 15 novembre 2001, le greffier en chef du tribunal d’instance de Vanves a attribué à tort un certificat de nationalité française à l’intéressée, en application de l’article 17 1° du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 octobre 1945, comme étant née de Monsieur [E F] français par décret de naturalisation du 31 juillet 1928.

Il estime que Madame [A F], qui était française de naissance, a perdu cette nationalité du fait de l'acquisition volontaire par elle-même de la nationalité marocaine le 1er juillet 1959, suivant déclaration souscrite en vertu du dahir n° 1.58.250 du 6 septembre 1958, portant code de la nationalité marocaine, suite à son mariage avec un ressortissant marocain, et qu’en application de l’article 87 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 octobre 1945, elle a par conséquent perdu la nationalité française.

Par conclusions distinctes signifiées le 12 avril 2012, Madame [A F] soulève une question prioritaire de constitutionnalité. Elle relève que l’article 87 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 octobre 194, est indissociable de l’article 9 de la même ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi du 9 avril 1954 ; qu’il résulte de ces dispositions que les femmes qui acquièrent volontairement une nationalité étrangère perdent automatiquement la nationalité française alors que les hommes doivent y être autorisés par le gouvernement français. Elle :estime que ces articles instaurent une discrimination entre les hommes et les femmes contraire à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et aux principes contenus dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à laquelle il ne sera d’ailleurs mis fin que par l'adoption de la loi du 9 janvier 1973.

Elle demande-par conséquent au tribunal de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

"L'article 87 de l'ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945 et l'article 9 de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 issu de la loi n°54-395 du 9 avril 1954, en ce qu'ils instituent une distinction, fondée sur le sexe, de perte de la nationalité française, méconnaissent-ils le principe d'égalité prévu à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 27 août 1789 et le principe issu du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ?”

L’examen de la demande de transmission a fait l’objet de deux renvois dans l’attente de la décision de la cour de cassation déjà saisie d’une question similaire, dans une affaire opposant le ministère public à une dame [H I], la cour ayant, par arrêt du 5 juillet 2012, dit n’y avoir lieu à renvoyer au conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, .les dispositions contestées étant en l’espèce inapplicables au litige.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 4 décembre 2012 et le 22 mai 2013, la requérante réitère sa demande de transmission.

Par conclusions notifiées par la voie électronique Île 12 avril 2013, le ministère public s’associe à la demande.

SUR CE

Attendu que l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, issu de la loi organique du 10 décembre 2009, dispose que le juge judiciaire devant lequel est soulevé un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

- 1) La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites

- 2) Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

- 3) La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Attendu que les dispositions critiquées des articles 87 de l’ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945, portant code de la nationalité française, et 9 de la même ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi n° 54- 395 du 9 avril 1954, disposent que :

Article 87 :

“Perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère”

Article 9 :

“Jusqu'à une date qui sera fixée par décret, l'acquisition d’une nationalité étrangère par un Français de sexe masculin ne lui fait perdre la nationalité française qu'avec l'autorisation du Gouvernement français.

Cette autorisation est de droit lorsque le demandeur a acquis une nationalité étrangère après l'âge de cinquante ans.”

Attendu que l’article 87 de l’ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945, portant code de la nationalité française, est applicable au litige ; que le ministère public l’invoque pour dénier à Madame [A F] la nationalité française, en raison de l’acquisition volontaire par cette dernière, le 1er juillet 1959, de la nationalité marocaine, ce par déclaration souscrite conformément à l’article 10 du dahir n° 1.58.250 du 6 septembre 1958 portant code de la nationalité marocaine ;

Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité soumise, fondée sur une rupture du principe d’égalité et une discrimination, exige effectivement l’examen des dispositions de l’article 9 de l'ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945, portant code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954, lesquelles sont indissociables des dispositions précédentes, comme prévoyant un sort différent pour les Français de sexe masculin, comme le souligne la demanderesse ;

Attendu que ce texte est resté en vigueur jusqu’à la promulgation de la loi du 9 janvier 1973 réformant le code de la nationalité française et qu’il était donc applicable lors de l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère par la demanderesse, le 1% juillet 1959 ;

Attendu que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du conseil : constitutionnel ;

Que la question posée n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Qu’en conséquence il y a lieu d’ordonner la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la cour de cassation ;

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement, par ordonnance rendue contradictoirement, susceptible de recours dans les conditions de l’article 23-2 alinéa 3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

Ordonnons la transmission de la question suivante à la cour de cassation :

“L'article 87 de l’ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945 et l’article 9 de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 issu de la loi n°54-395 du 9 avril 1954, en ce qu'ils instituent une distinction, fondée sur le sexe, de perte de la nationalité française, méconnaissent-ils le principe d'égalité prévu à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 27 août 1789 et le principe issu du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ?”,

Disons que la présente ordonnance sera adressée à la cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties ;

Disons que les parties, dont le ministère public, seront avisées de la présente décision par tout moyen ;

Disons que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 21 novembre 2013, salle du conseil de la 1ère chambre civile à 14 heures.

Réservons les dépens et frais irrépétibles de l’incident.

Le Greffier

N. TRISTANT

La Vice-Présidente

C. HILPERT