Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 18 avril 2013 n° 13/01435

18/04/2013

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 9

ARRÊT DU 18 AVRIL 2013

(n° 342 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/01435

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2012 -Tribunal paritaire des baux ruraux de [LOCALITE 1] - RG n° 5410000004

APPELANTS

Monsieur [G H]

[adresse 2]

[LOCALITE 3]

Représenté et assisté de Me Thierry COURANT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE (toque :P 233

Madame [C F] épouse [H]

[adresse 4]

[LOCALITE 5]

Représenté et assisté de Me Thierry COURANT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE (toque e-PC233)

INTIMES

Monsieur [B], [I J]

[adresse 6]

[LOCALITE 7]

Représenté et assisté de I SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE en la personne de Me Jean à DECHEZLÉPRETRE et de Me Eric MARECHAL, avocats au barreau de PARIS (toque :E1155)

Monsieur [L]

[adresse 8]

[LOCALITE 9]

Représenté et assisté de ME Grégoire FRISON, avocat au barreau d' AMIENS

Monsieur [A B C D]

[adresse 10]

[LOCALITE 11]

Représenté et assisté de Me Pierre DUPEUX, avocat au barreau de COMPIEGNE

Monsieur [K D]

[adresse 12]

[LOCALITE 13]

Représenté et assisté de Pierre DUPEUX, avocat au barreau de COMPIEGNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Mars 2013, en chambre du conseil, devant la Cour composée de :

Monsieur Alain SADOT, Président

Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère

Madame Joëlle CLEROY, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Emilie GUICHARD

MINISTÈRE PUBLIC :

l’affaire a été communiquée au ministère public le 31 janvier 201 3, représenté par Madame Jocelyne KAN substitut du Procureur Général, qui a fait connaître son avis le 04 février 2013

ARRÊT CONTRADICTOIRE

- prononcé en chambre du conseil par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile

- signé par Monsieur Alain SADOT, président et par Madame Léna ETIENNE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte sous seing privé du 31 octobre 1989, conclu avec l'entremise de M. [B J], les époux [G H] et [C F] (les époux [H]) ont cédé à M. [A D] et M. [K D] (les consorts [D])) divers éléments d'exploitation agricole pour le prix total de 3 400 000 fr. Une clause de l'acte énonçait que « les cédants et les cessionnaires s'en sont remis à l'égard de la valeur des biens mobiliers compris dans la présente cession à l'expertise effectuée par M [L] ».

Par jugement du 7 septembre 2012, le tribunal paritaire des baux ruraux de [LOCALITE 14] a débouté les consorts [D] de leur demande en condamnation des époux [H] à leur payer une certaine somme en remboursement des indemnités indûment payées au titre des améliorations du fonds et des drainages et d'une surévaluation de plus de 10 % des installations et matériels cédés. En outre, le tribunal a constaté que les demandes en garantie présentées par les époux [H] à l'encontre de M. [J] et de M. [L] étaient devenues sans objet.

Par déclaration du 12 septembre 2012, les consorts [D] ont fait appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 16 janvier 2013, les époux [H] ont sollicité la saisine de la Cour de Cassation pour transmission au Conseil Constitutionnel d'une question prioritaire portant sur la constitutionnalité de la disposition de l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime qui énonce que « les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition. Elles sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux pratiqué par la Caisse régionale du crédit agricole pour les prêts à moyen terme ». Ils soutiennent que la référence au taux d'intérêt décidé par la caisse régionale de crédit agricole territorialement compétente introduit un risque de traitement différent des personnes soumises à cette sanction uniquement du fait de leur localisation géographique au sein même du territoire national, et prétendent qu'ainsi, la disposition critiquée apparaît contraire au principe d'égalité affirmé par les articles 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans leurs conclusions déposées à l'audience par leur conseil, les consorts [D] s'opposent à cette demande en soutenant que la Cour de Cassation a déjà décidé, dans un arrêt du 12 décembre 2012, qu'il n'y avait pas lieu de soumettre au Conseil Constitutionnel la question de la constitutionnalité de l'article L 41 1-74 du code rural et de la pêche maritime. Ils font valoir que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, dès lors que la différence de traitement qui en résulte a un rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, et qu'en l'espèce il est logique que l'intérêt à retenir soit celui qui est appliqué dans la région où a eu lieu le fait générateur de la répétition de l'indu. Ils en déduisent que la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

Subsidiairement, ils sollicitent que le sursis à statuer sur le fond du litige soit limité à leur prétention d'application du taux d'intérêt prévu par l'article critiqué, et ne porte pas sur les autres objets du litige soumis à la cour.

Dans ses conclusions déposées avant l'audience, M. [L] a déclaré s'en remettre à l'appréciation de la cour sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Représenté à l'audience par son conseil, Monsieur [J] a adopté une position dans le même sens.

Dans son avis déposé le 14 mars 2013, le ministère public expose que la disposition contestée est applicable au litige et n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, et retient que chaque caisse régionale de crédit agricole pratique un taux d'intérêt différent pour les prêts à moyen terme pour lesquels, par ailleurs, elle ne dispose plus du monopole de distribution, et qu'en soumettant les personnes tenues de répéter les sommes indument remises à l'application d'un taux d'intérêt différent selon la caisse régionale concernée, l'alinéa 2 de l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime rompt le principe constitutionnel de l'égalité de traitement des justiciables. Il conclut donc à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que le moyen tiré de l'inconstitutionnalité alléguée de l'article L411-74 du code rural et de [a pêche maritime, qui a été présenté par les époux [H] dans un écrit distinct de leurs conclusions de fond et motivé, répond aux exigences de l'article 126-2 du code de procédure civile ;

Attendu que les prétentions de fond soumises par les consorts [D] au tribunal paritaire des baux ruraux et reprises devant la cour, ont pour objet la répétition des sommes qu'ils ont payées aux époux [H] lors de leur prise de possession du fonds rural antérieurement exploité par ces derniers ; que dans ces conditions, ces sommes dont ils poursuivent le remboursement sont susceptibles d'être majorées d'un intérêt calculé conformément aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime, dont ils sollicitent d'ailleurs expressément l'application ; qu'ainsi, la conformément aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime, dont ils sollicitent d'ailleurs expressément l'application ; qu'ainsi, la disposition critiquée est bien applicable au litige pendant devant la cour ;

Attendu que l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime constitue une disposition complexe, puisqu'en son alinéa 1 elle définit une infraction pénale, qu'en son alinéa 2, d'une part elle affirme l'existence d'un droit à répétition et d'autre part elle impose un mode de calcul spécifique de l'intérêt dû sur les sommes restituées, qu'en son alinéa 3, elle prévoit une condition d'exercice de l'action en répétition d'une partie du prix des biens mobiliers repris et qu'en son alinéa 4, elle définit la période de recevabilité d'une action en répétition exercée à l'encontre du bailleur ;

Attendu qu'aucune des décisions du conseil constitutionnel relatives à la nature juridique de certaines dispositions du code rural ou évoquant ces dispositions n'est afférente à l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu qu'en conséquence, la disposition dont l'inconstitutionnalité a été soulevée par les époux [H] n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel ;

Attendu que la question précédemment transmise à la Cour de Cassation, dont elle a écarté la transmission au Conseil Constitutionnel dans son arrêt du 12 décembre 2012, qui était libellée comme suit : « Les dispositions de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2, 4, 6, 16 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et l’article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 » concernait l'intégralité de l'article et était présentée en termes généraux, ce qui ne permettait pas de rechercher laquelle des différentes dispositions précitées se trouvait visée par le moyen d'inconstitutionnalité ;

Attendu que les caisses régionales de crédit agricole, qui sont des personnes morales autonomes, peuvent fixer de façon indépendante le taux d'intérêt qu'elles entendent pratiquer pour les prêts à moyen terme ; qu'il s'ensuit qu'une disparité de régime peut exister sur le territoire national en fonction des décisions arrêtées par les caisses et qu'elles appliquent sur leur territoire de compétence ;

Attendu que [a référence contenue dans l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime à ce taux d'intérêt devant assortir une condamnation à la répétition de sommes indûment versées peut entraîner une situation spécifique pour chacune des parties concernées, en fonction de sa localisation géographique sur le territoire national ; que la question de la conformité de cette disposition au principe d'égalité affirmé par les textes constitutionnels précités, doit donc être considérée comme sérieuse ; qu'il convient, en conséquence, d'ordonner la transmission de cette question à la Cour de Cassation;

Attendu qu'il convient, en application de l'article 23-3 de l'ordonnance numéro 58-1067 du 7 novembre 1958, de surseoir à statuer sur l'ensemble des questions litigieuses ;

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante: « les dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2, 4, 6, 16 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1 789 et l'article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 »

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;

DIT que l’affaire sera rappelée à l? audience du 4 décembre 2013 si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l'audience du 4 septembre 2013‘dans le cas contraire; _-

RESERVE les dépens ;

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT