Tribunal de grande instance de Rennes

Jugement du 4 avril 2013 n° 13/00013

04/04/2013

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE RENNES

7 rue Pierre Abélard - CS 73127

35031 RENNES CEDEX

2ème Chambre civile

EXPROPRIATION

JUGEMENT DU 4 AVRIL 2013 DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

DOSSIER : 13/00013

N° Minute :

Demandeur à la question prioritaire :

S.N.C. INVEST HOTELS SAINT DIZIER RENNES, société en nom collectif au capital de 15 000€, enregistrée au RCS de Paris sous le numéro [...], dont le siège social est [adresse 1], représentée par sont représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Rep/assistant : Me Claudine COUTADEUR, de la SEP LACHAUD-MANDEVILLE- COUTADEUR & associés, avocat au barreau de PARIS, 8 Rue Drouot - 75009 PARIS,

Défendeur :

COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION RENNES METROPOLE, Etablissement public de coopération intercommunale ayant son siège à [adresse 2] - [LOCALITE 3] - [LOCALITE 4], créée par arrêté préfectoral du 31 décembre 1999, portant transformation du District Urbain de l° Agglomération Rennaise en Communauté d” Agglomération, identifié sous le numéro SIREN [N° SIREN/SIRET 5], représenté par son Président, Monsieur [A B], habilité par la délibération modifiée n° C 08.113 du 10 avril 2008 et domicilié en cette qualité à [LOCALITE 6], [LOCALITE 7] - [LOCALITE 8]

Rep/assistant : SELARL MOLAS et associés, Me Guillaume GHAYE, avocat au barreau de PARIS, 60 rue de Londres - 75008 PARIS, substitué par Me FONTAINE, avocat

En présence de :

Monsieur le Directeur Régional des Finances Publiques de la région Bretagne et du Département d’Ille et Vilaine, Division France Domaine, Cité administrative, [adresse 9] à [LOCALITE 10], représenté par Mme [C D] inspecteur des domaines, Commissaire du Gouvernement

Nous, Renan LE CORRE, Vice-Président, assisté de Sylvie MONNIER, Greffier;

Vu l'article l’article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile, notamment l’article 126-3 :

Vu l’avis du ministère public en date du 11 mars 2013;

EXPOSE DES FAITS ET DES DEMANDES DES PARTIES

Par mémoire reçu le 25/01/2013, la communauté d'agglomération RENNES METROPOLE a saisi, en urgence, le juge de l’expropriation du département d’Ille et Vilaine de la fixation de l’indemnité revenant à la SNC INVEST HOTELS SAINT DIZIER RENNES (la SNC) suite à l’expropriation des parcelles [...],[...],[...],[...] et [...] lui appartenant en indivision avec la SCI de la Ville en Pierre et la société Territoires et développement.

Le transport sur les lieux et l'audience ont été fixés au 8/03/2013.

Par mémoire distinct et motive déposé le même jour, la SNC a déposé une question prioritaire de constitutionnalité. Elle vise la question de la conformité à l’article 17 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26/08/1789 qui dispose que la propriété est un droit inviolable et sacré dont nul ne peut en être privé... que sous la condition d’une juste et préalable indemnité, de l’article L 15-4 du Code de l’expropriation qui autorise le juge, s’il s’estime “insuffisamment éclairé” à fixer des indemnités à titre provisionnel permettant à l’expropriant de prendre possession du bien. Cette disposition est reprise par l’article 1° du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La disposition contestée est applicable à [a procédure en cours dès lors que le juge de l’expropriation est saisi selon la procédure d'urgence et dans la mesure où, l’exproprié étant en désaccord avec l’indemnité proposée notamment en raison de l’incertitude sur la continuité de l'accès à son établissement, le Juge sera amené à fixer une indemnité à titre provisionnel. En outre, il n’apparaît pas que le Conseil constitutionnel ait déjà statué sur cette question. Enfin, elle présente un caractère sérieux dans la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé (affaire N° 2012-226 du 6/04/2012) que les dispositions des articles L 15-1 et L 15-2 du Code de l’expropriation, qui permettent à l’expropriant d’entrer en possession avant que l’indemnité ne soit définitivement fixée et préalablement payée à l’exproprié, étaient contraires à l’article 17 de la déclaration de 1789. De même, les dispositions litigieuses, qui autorisent une prise de possession alors même que l'indemnité payée n’est qu’une provision sont nécessairement contraires au principe susvisé.

L’expropriant reconnaît que la disposition contestée est applicable au litige et qu’elle n’a pas été déjà soumise à la censure du Conseil constitutionnel. Cependant, il conclut au refus de transmission de la question, faute de caractère sérieux. En l’espèce ce qui est contesté, c’est la possibilité de prendre possession moyennant le versement de simples indemnités provisionnelles fixées par le juge. Le principe de prise de possession après versement d’une indemnité provisionnelle a été validé et encadré par la décision du Conseil constitutionnel (89-256) du 25/07/1989 déclarant conforme à la constitution l’article L 15-9 du Code de l’expropriation organisant la procédure d’extrême urgence en considérant notamment que “ L’octroi par la collectivité expropriante d’une provision représentative de l’indemnité n’est pas incompatible avec le respect de ces exigences si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d’intérêt général et est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés”. En l’occurrence, selon l’article R 15-2 du Code de l’expropriation, l’urgence doit être constatée par le préfet dans l'arrêté de déclaration d’utilité publique et cette appréciation se fait sous le contrôle du juge administratif, La première condition fixée par le Conseil constitutionnel de justification par des motifs impérieux d’intérêt général est donc remplie. En outre, l’indemnité est fixée par le juge judiciaire après un débat contradictoire. De plus, ce n’est que s’il s’estime “insuffisamment éclairé” que le juge statue à titre provisionnel en ayant l’obligation, selon l’article L 15-8 du même code, de fixer l'audience sur la fixation des indemnités définitives dans le mois. Les droits des propriétaires sont donc garantis. À titre subsidiaire, si la question était néanmoins transmise, il n’y aurait pas lieu de surseoir à statuer en raison du caractère d’urgence de la procédure.

Le ministère public a conclu à la transmission de la question.

Madame le commissaire du gouvernement s’en rapporte à justice.

MOTIFS DU JUGEMENT

Les parties reconnaissent que la disposition contestée est applicable au litige et que cette question n’a pas déjà été soumise à la censure du Conseil constitutionnel. La question de la conformité de l’article L 15-4 du Code de l’expropriation, qui prévoit la possibilité d’entrer en possession du bien moyennant le versement d’une indemnité provisionnelle, à l’article 17 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen n’est pas dépourvue de caractère sérieux dans la mesure où, dans une décision récente (N° 2012-226 SEMAVIP du 6/04/2012), le juge constitutionnel a estimé contraire à cette disposition les articles L 15-1 et L 15-2 du Code de l’expropriation permettant à l’expropriant de prendre possession des biens expropriés avant que l’indemnité n'ait été intégralement payée. De plus, l’article L 15-4 susvisé permet au juge de l’expropriation de fixer une indemnité provisionnelle même s’il s’estime “insuffisamment éclairé”. Il y a donc lieu de transmettre la question posée.

En ce qui concerne le sursis à statuer, l’article 23-3, alinéa 3, de l’ordonnance de 1958, modifiée, prévoit que le juge peut statuer sans attendre la réponse à la question en cas d’urgence. En l’espèce, l’arrêté de déclaration d’utilité publique vise l’urgence et la procédure en cours est menée suivant les dispositions relatives à la procédure d’urgence. Il n’y a donc pas lieu de surseoir à statuer

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par ordonnance rendue contradictoirement, et non susceptible de recours ;

TRANSMETTONS la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“ L'article L 15-4 du Code de l’expropriation en ce qu’il autorise la prise de possession par l’expropriant avant la fixation définitive de l’indemnité est-il conforme à l’article 17 de la déclaration des droits de l’ Homme et du Citoyen qui dispose que la propriété est un droit inviolable et sacré dont nul ne peut être privé que, notamment, sous la condition d’une juste et préalable indemnité ?”,

DISONS n’y avoir lieu à surseoir à statuer en raison de l'urgence.

DISONS que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions, présentées par écrit distinct et motivé, des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité :

DISONS que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

LE GREFFIER

LE JUGE DE L'EXPROPRIATION