Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 13 mars 2013 n° 1220590

13/03/2013

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

 

N° 1220590

___________

 

Société Natixis Asset management

___________

 

Ordonnance du 13 mars 2013

__________

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

La vice-présidente de section

statuant sur le fondement de l’article R. 771-7 du code de justice administrative

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 8 décembre 2012 dans le dossier n° 1220590, présenté en application de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 pour la société Natixis Asset management, par Me Dal Farra ; la société Natixis Asset management demande au tribunal, à l’appui de son recours tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 9 765 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le décret n° 87-948 du 26 novembre 1987, de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées des articles 7 et 15 de l’ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986, dans leur rédaction en vigueur entre le 21 octobre 1986 et le 31 décembre 1994 ;

 

La société Natixis Asset management fait valoir que :

 

- ces dispositions sont applicables au litige qui l’oppose à l’Etat, dès lors que si le Conseil constitutionnel les déclarait non conformes à la Constitution, l’incompétence négative qui entache le décret du 26 novembre 1987 n’engagerait pas la responsabilité de l’Etat à son égard, en réparation du préjudice qu’elle risque de subir pour avoir été assignée devant le juge judiciaire par 187 de ses anciens salariés au motif que l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, dans l’interprétation donnée par la Cour de cassation, ne l’autorisait pas, alors même qu’elle ne figurait pas sur la liste fixée par le décret du 26 novembre 1987, à se dispenser de leur verser, entre 1989 et 2001, la « participation aux résultats de l’entreprise » prévue par l’article 7 de la même ordonnance ;

 

- le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi de la conformité à la Constitution de l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986 ;

 

- l’article litigieux porte une atteinte injustifiée à une situation légalement acquise et méconnait l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dès lors que la notion d’entreprise publique échappant à l’obligation de participation était, jusqu’à l’adoption de cet article tel qu’interprété en 2000 par la Cour de cassation, unanimement définie comme une entité contrôlée et détenue majoritairement par une ou plusieurs personnes publiques ;

 

- l’article litigieux méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques protégé par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dès lors qu’il crée une discrimination injustifiée et sans rapport avec la loi entre les entreprises majoritairement détenues par une personne publique qui, inscrites sur la liste qu’il prévoit, peuvent adapter leur stratégie commerciale et financière à l’obligation de participation et celles qui, n’étant pas inscrites sur cette liste, se trouvent obligées de supporter cette participation sans y être préparées ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution et son Préambule ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

 

Vu les articles 7 et 15 de l’ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l’intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et à l’actionnariat des salariés ;

 

Vu le décret n° 87-948 du 26 novembre 1987 déterminant les établissements publics et entreprises publiques soumis aux dispositions concernant la participation de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés, ainsi que les conditions dans lesquelles les dispositions de cette ordonnance leur sont applicables ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

1. Considérant, d’une part, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. » ;

 

2. Considérant, d’autre part, que l’article 7 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, codifié ultérieurement à l’article L. 442-1 du code travail dans son ancienne version, disposait, dans sa rédaction initiale : « Toute entreprise employant habituellement plus de cent salariés, quelles que soient la nature de son activité et sa forme juridique, est soumise aux obligations de la présente section, destinées à garantir le droit de ses salariés à participer aux résultats de l'entreprise » ; que l’article 15 de ladite ordonnance, ultérieurement codifié à l’article L. 442-9 du même code, précisait que : « Un décret en Conseil d’Etat détermine les entreprises publiques et les sociétés nationales qui sont soumises aux dispositions du présent chapitre. Il fixe les conditions dans lesquelles ces dispositions leur sont applicables (...) » ;

 

3. Considérant que la société requérante demande au tribunal la condamnation de l’Etat à l’indemniser du préjudice qu’elle risque de subir pour avoir été assignée devant le juge judiciaire au motif que les dispositions combinées des articles 7 et 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, dans l’interprétation donnée par la Cour de cassation, ne l’autorisaient pas, alors même qu’elle ne figurait pas sur la liste fixée par le décret n° 87-948 du 26 novembre 1987, à se dispenser de verser à ses salariés, entre 1989 et 2001, une « participation aux résultats de l’entreprise », au sens de ces dispositions ; qu’elle soutient ainsi, à l’appui de sa demande, que le pouvoir réglementaire a commis une faute en ne l’incluant pas dans la liste des entreprises publiques assujetties à cette obligation, sauf à ce que les dispositions des articles 7 et 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, dans l’interprétation donnée par la Cour de cassation, soient regardées comme ayant porté atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; que, par suite, ces dispositions sont applicables au litige qui l’oppose à l’Etat ;

 

4. Considérant que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

 

5. Considérant, enfin, que les moyens tirés de ce que les dispositions combinées des articles 7 et 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, dans l’interprétation qu’en a donnée la Cour de cassation, méconnaissent les droits garantis par les articles 6, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 posent une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions combinées des articles 7 et 15 de l’ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Natixis Asset management jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Natixis Asset management et au Premier ministre.

 

Fait à Paris, le 13 mars 2013,

 

 

 

La vice-présidente de section,

 

 

 

 

L. HELMLINGER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N°1220590