Tribunal de grande instance de Bobigny

Jugement du 21 janvier 2013, AFFAIRE N° RG : 11715311

21/01/2013

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 21 JANVIER 2013

Chambre 6/ section 3

AFFAIRE N° RG : 11715311

N° de MINUTE :

Monsieur [A-B C]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

représenté par Me Pairick CHABRUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : ROO9

DEMANDEUR

C/

MONSIEUR LE MAIRE DE [LOCALITE 3] ,

Pôle urbanisme et architecture

Hôtel de ville - [adresse 4]

[LOCALITE 5]

représentée par Me Corinne LEPAGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0321

DEFENDEUR

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur MEYER, Vice-Président, statuant en qualité de Juge Unique, conformément aux dispositions des articles 801 et suivants du Code de Procédure Civile, assisté aux débats de Mme COPIN, Greffier.

DEBATS

Audience publique du 17 Décembre 2012.

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au Greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, rédigé et signé par Monsieur MEYER, Vice-Président, assisté de Mme COPIN, Greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE :

■ Madame [E D] épouse [G] et Madame [F D] épouse [C], aujourd'hui décédées, étaient propriétaires, sur la Commune de [LOCALITE 6] ([...]), d'un ensemble immobilier cadastré [Cadastre 7] , situé [adresse 8], ainsi que d'un terrain cadastré [Cadastre 9] situé [LOCALITE 10].

À la suite du plan d'occupation des sols publié le 23 janvier 1978, ces quatre parcelles se sont trouvées grevées d'un emplacement réservé au profit de la Commune, en vue de la création d'un projet de groupe scolaire.

Le 25 avril 1978, Madame [F C] a mis en oeuvre son droit de délaissement, en mettant en demeure le Préfet de [LOCALITE 11] d'acquérir les parcelles n° [Cadastre 12] en application des dispositions de l'article L 123-9 du Code de l'urbanisme, alors applicables.

Un jugement de ce Tribunal du 21 octobre 1980, puis un arrêt de la Cour d'Appel de PARIS du 16 octobre 1981, ont fixé le prix d'acquisition au profit de la Commune à la somme de 7 936 679 francs.

Par acte notarié reçu le 7 mai 1982, les consorts [C-D] ont vendu ces trois parcelles à la Commune au prix de 7 936 679 francs.

Le terrain cadastré [Cadastre 13] a, quant à lui, été vendu à la Commune par les consorts [C-D] le 3 février 1982 au prix de 76 000 francs.

Le 18 octobre 2010, Monsieur [A-B C], venant aux droits des consorts [C-D], a demandé au Maire de [LOCALITE 14] de lui rétrocéder les biens, en application des dispositions de l'article L 12-6 du Code de l'expropriation, au motif qu'ils avaient été utilisés pour un autre objet que celui ayant justifié leur mise en terrain réservé. Le Maire a rejeté cette demande le 10 décembre 2010.

Monsieur [A-B C] a renouvelé sa demande le 9 février 2011 et à saisi le Juge de l'Expropriation de ce Tribunal le 9 mai 2011.

Un transport sur les lieux à été organisé le 15 mars 2011, duquel il est ressorti que les biens étaient difficilement identifiables, des immeubles ayant été construits et la numérotation ayant, semble-t-il été modifiée.

Par jugement du 12 octobre 2011, le Juge de l'Expropriation s'est déclaré incompétent au profit de ce Tribunal et a dit que la demande de Monsieur [A-B C] était, de surcroît, irrecevable et mal fondée.

Par ordonnance du 10 septembre 2012, le Juge de la mise en état a prononcé la clôture.

■ Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 30 octobre 2012 et auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, Monsieur [A-B C] demande :

- la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats

- que soit transmise à la Cour de Cassation la question de la constitutionnalité de l'article L 123-898 du Code de l'urbanisme dans Sa rédaction issue de l'article 16 de la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 applicable au litige (actuel article L 123-17) au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et de l'article 34 de la constitution du 4 octobre 1958.

Au soutien de ses demandes et en réplique aux moyens et prétentions de la Commune de [LOCALITE 15], Monsieur [A-B C] expose en substance :

- que le prononcé d'une ordonnance de clôture est incompatible avec la procédure applicable en matière de questions prioritaires de constitutionnalité

- que la tardiveté de signification des conclusions de la la Commune de [LOCALITE 16] l'a empêché de répliquer en temps utile

- que les trois conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique, modifié par la loi organique du 10 décembre 2009, sont réunies en l'espèce

- que sa demande au fond est recevable, la décision critiquée ne mentionnant pas les délais de recours conformément aux dispositions de l'article R 421-5 du Code de justice administrative

- que l'article L 123-9 en cause, qui instaure une expropriation anticipée sans apporter de garantie, porte atteinte au droit de propriété constitutionnellement garanti.

■ Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 14 septembre 2012 et auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, la Commune de [LOCALITE 17] demandait que la question prioritaire de constitutionnalité de Monsieur [A-B C] soit jugée irrecevable, en faisant valoir en substance, :

- que, par décision du 7 décembre 2000, le Conseil Constitutionnel a déjà déclaré conforme à la constitution l'article L 123-17 du Code de l'urbanisme

- que la question de Monsieur [A-B C] n'est pas sérieuse, dès lors que sa demande au fond est irrecevable car formulée hors délai. et qu'il ne justifie pas d'un intérêt à agir, ne pouvant bénéficier d'un droit de rétrocession, contrairement au régime applicable en matière d'expropriation.

■ Le 14 décembre 2012, l8 Ministère Public conclut au refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, au motif que par décision du 7 décembre 2000, le Conseil Constitutionnel a déjà déclaré conforme à la constitution l'article L 123-17 du Code de l'urbanisme.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION :

En application des dispositions de l'article 782 du Code de procédure civile, il convient de révoquer l'ordonnance de clôture du 10 septembre 2012, Monsieur [A-B C] n'ayant pas disposé du temps nécessaire pour répliquer aux conclusions signifiées le 6 septembre 2012 par la Commune de [LOCALITE 18].

AUX termes de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique, modifié par la loi organique n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009, la juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité, transmet la question si les conditions suivantes sont remplies :

1°) la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites :

En l'espèce, il est constant que cette condition est remplie.

2°) La question ne doit pas déjà avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances :

L'article L 123-9 du Code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976, applicable au litige, permettait au propriétaire d'un terrain réservé par un plan d'occupation des sols, d'exiger de la collectivité ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition dans un délai de deux ans à compter du jour de la demande et prévoyait qu'à défaut d'accord amiable, le juge de l'expropriation, prononce le transfert de propriété et fixe le prix du terrain.

Ces dispositions ont été reprises, complétées et modifiées par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, qui a créé l'article L123-17 du même code.

Or, par décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, le Conseil Constitutionnel a considéré conforme à la constitution l'article L123-17, au motif que « vise [...] un objectif d'intérêt général la constitution de réserves foncières en vue de la réalisation de logements répondant à une préoccupation de mixité sociale ; qu'en outre, lorsque l'une ou l'autre de : ces servitudes est instituée, les propriétaires concernés peuvent, en application du deuxième alinéa de l'article L. 123-17 nouveau du code de l'urbanisme, " mettre en demeure la commune de procéder à l'acquisition de leur terrain, dans les conditions et délais mentionnés aux articles L. 230-T et suivants"; que, par suite, les limitations apportées aux conditions d'exercice du droit de propriété par les servitudes critiquées ne revêtent pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit s'en trouvent dénaturés ; que le législateur n'a pas davantage créé de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».

Cependant, l'article L123-17 renvoie aux dispositions des articles L. 230-1 et suivants, lesquelles imposent à la collectivité ou au service public de se prononcer dans le délai d'un an de la mise en demeure adressée par le propriétaire, tandis que l'article L 123-9 prévoyait un délai de deux ans, pouvant être prorogé pour une durée d'un an.

Or, dès lors que la décision sus-visée du Conseil Constitutionnel se réfère expressément aux délais impartis à l'autorité publique et que les deux articles ne prévoient pas les mêmes délais, la question qui avait été Soumise au Conseil Constitutionnel n'est pas la même que celle soumise dans le cadre de la présente instance.

3°) La question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux :

La Commune de [LOCALITE 19] fait tout d'abord valoir que Monsieur [A-B C] serait irrecevable en sa demande au fond, en application des dispositions de l'article R 12-9 du Code de l'expropriation, pour n'avoir pas saisi la présente juridiction dans le délai de deux mois de la réception de la décision administrative de rejet.

Cependant, Monsieur [A-B C] réplique que, conformément aux dispositions de l'article R 421-5 du Code de justice administrative, le délai de recours lui est inopposable, la décision critiquée ne le mentionnant pas.

En second lieu, la Commune de [LOCALITE 20] fait valoir que Monsieur [A-B C] serait également irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, car ne disposant pas du droit de rétrocession applicable en matière d'expropriation.

Cependant, l'article 122 du Code de procédure civile définit la fin de non recevoir comme tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond.

Or, Monsieur [A-B C] prétend que l'article L 123-9 pré-cité instaurerait une « expropriation anticipée » des biens immobiliers inscrits au POS et que, par conséquent, comme en matière d'expropriation, il devrait bénéficier d'un droit de rétrocession trentenaire, faute pour la collectivité d'avoir utilisé lesdits biens conformément à l'affectation prévue à la réserve.

Par conséquent, le point de savoir si Monsieur [A-B C] dispose d'un droit de rétrocession constitue un moyen de fond et non pas une fin de non recevoir.

Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et non susceptible de recours

Prononce la révocation de l'ordonnance de clôture

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question de la constitutionnalité de l'article L 123-9 du Code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 applicable au litige (actuel article L 123-17), au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et de l'article 34 de la constitution du 4 octobre 1958

Dit que les conclusions des parties seront également transmises

Ordonne le sursis à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel.

Dit qu'il appartiendra alors à la partie la plus diligente de demander la fixation de l'affaire à la prochaine audience de mise en état

Réserve les dépens.

La minute a été signée par Monsieur MEYER, Vice-Président, et par Madame COPIN, Greffier