Conseil de Prud'hommes de Metz

Jugement du 21 décembre 2012, RG N° F 12/00368

21/12/2012

Renvoi

CONSEIL DE PRUD’HOMMES

C.S.20023

31, rue du Cambout

[LOCALITE 1]

Tél : 03 87 76 14 80

Fax : 03 87 75 34 60

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[LOCALITE 2] 12/00368

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SECTION Activités diverses

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AFFAIRE

[C D]

contre

Société SODEXO JUSTICE SERVICES- SIGES

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MINUTE N°

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JUGEMENT

Contradictoire

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Notification le :

Date de la réception 21 DEC. 2012

par le demandeur :

par le défendeur :

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

Recours :

Formé le :

Par :

Page :

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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JUGEMENT DE DEPARTAGE

PRONONCE le 21 Décembre 2012

Monsieur [C D]

Centre de détention

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012-4207 du 13/04/2012 accordée par je bureau d'aide juridictionnelle de METZ)

Représenté par Me Thomas HELLENBRAND (Avocat au barreau de METZ) substituant Me Xavier IDCHUM (Avocat au barreau de METZ)

DEMANDEUR

Société SODEXO JUSTICE SERVICES- SIGES

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

Représentée par Monsieur [A B] (Directeur Fonction Travail) assisté de Me Välerie RIZZOTTO (Avocat au barreau de BORDEAUX)

DEFENDERESSE

Composition du bureau de Départage section lors des débats et du délibéré

Madame Claire DUSSAUD, Président Juge départiteur

Monsieur Christian BOS, Assesseur Conseiller (E)

Monsieur Lionel CHOURAKTI, Assesseur Conseiller (E)

Monsieur Robert HENDRŸCH, Assesseur Conseiller (S)

Monsieur Robert GORLINGER, Assesseur Conseiller (S)

Assistés lors des débats de Madame Dominique CLEMENT Greffier

PROCEDURE

- Date de la réception de la demande : 04 Avril 2012

- Bureau de Conciliation du 11 Mai 2012

. Convocations envoyées le 18 Avril 2012

- Renvoi à une autre audience

- Bureau de jugement du 03 Octobre 2012

- Renvoi Juge départiteur

- Débats à l'audience de Départage section du 14 Décembre 2012

- Prononcé de la décision fixé à la date du 21 Décembre 2012

- Décision prononcée conformément à l'article 453 du code de procédure civile en présence de Madame Dominique CLEMENT, Greffier

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction,il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d' irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l'espèce, dans un mémoire distinct déposé devant le Conseil de prud'hommes de METZ le 4 avril 2012 M. [C D], détenu, prétend que l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que :

- cette disposition légale exclut pour le travailleur détenu la possibilité de disposer d'un contrat de travail (cf p. 3 et 4 du mémoire),

- cette disposition légale exclut le travailleur détenu du bénéfice de l'ensemble des dispositions du Code du Travail (p. 3 du mémoire),

- par cette disposition le travailleur détenu est privé :

- de conditions d'embauche, de période d'essai et de rupture du contrat de travail définies, de même que de la possibilité d'exercer un recours quelconque contre les conditions d'exercice du travail, ainsi que des possibilités d'expression collective et de représentation auprès de l'employeur prévus par le Code du Travail (cf p. 3 du mémoire),

- de la liberté contractuelle, des protections des droits individuels et des protections des droits collectifs garantis par le Code du Travail (cf p. 4 du mémoire),

- cette exclusion du bénéfice du Code du Travail n'est pas conforme aux droits fondamentaux garantis par la Constitution et notamment aux droits garantis par les 5ème, 6ème, 7ème et 8ème alinéas du préambule de la Constitution du 27.10.1946 qui disposent :

"Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.

Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois gui le réglementent.

Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qua /a gestion des entreprises."

Dans des conclusions distinctes de celles portant sur la demande au fond, déposées le 1er juin 2012, M. [C D] soutient en outre que la question posée de l'application du SMIC à la relation de travail entre les parties est parfaitement liée à la question de l'existence d'un contrat de travail. Il ajoute que la négation d'un contrat de travail aux détenus permet de rémunérer ceux-ci 2 euros de l'heure. ce qui caractérise selon lui des conditions de travail indignes, contraires à la constitution et aux engagements internationaux de la France.

En réplique, la société SODEXO JUSTICE SERVICES soutient que :

- il ne relève pas des pouvoirs du Bureau de Conciliation du Conseil de prud'hommes d'apprécier s'il y a lieu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation,

- il résulte de l'article 126-3 du Code de Procédure Civile que la question de la compétence de la juridiction doit être impérativement résolue avant que ne soit examinée l'opportunité de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation, et que celle-ci n'est prioritaire que par rapport aux moyens soulevés au fond (cf p. 3 des conclusions du 7.12.12),

- la compétence du Conseil de prud'hommes découle de l'existence d'un contrat de travail,

- le Conseil de prud'hommes de METZ n'est pas compétent pour trancher le litige engagé par un travailleur détenu en ce que l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale dispose que "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail', et que dans un arrêt du 17 décembre 1996 la Chambre Sociale de la Cour de Cassation en a déduit l'incompétence de la juridiction prud'homale,

- qu'en outre de fait la société SODEXO JUSTICE SERVICES ne peut pas être employeur de M. [C D] dès lors que la société défenderesse ne recrute pas les détenus, et n'exerce aucun pouvoir hiérarchique et disciplinaire à leur encontre - seule l'administration étant en capacité de le faire -, que la défenderesse ne rémunère pas les détenus, que la relation de travail en détention existe entre l'administration pénitentiaire et le détenu (p. 5 des conclusions du 7.12.2012), et que la défenderesse ne décide pas de la suspension ni de la fin de la relation de travail, seule l'administration pénitentiaire étant en possibilité de le faire (plaidoirie de l'audience du 14 décembre 2012),

- qu'en conséquence le Conseil de prud'hommes de METZ doit se déclarer incompétent et renvoyer M. [C D] à se pourvoir devant le Tribunal Administratif,

- à titre subsidiaire la société SODEXO JUSTICE SERVICES soutient que la question soulevée, ne remplit pas les conditions exigées var l'article 23-2 de la loi organique du 10 décembre 2009, en ce que :

- le texte de loi que M. [C D] entend soumettre au Conseil Constitutionnel prévoit l'absence de contrat de travail pour un travailleur détenu, or la demande au fond formulée par l'intéressé correspond à un rappel de salaire sur la période de Septembre 2010 a février 2012 par application du taux horaire du SMIC au 1er janvier 2012,

- alors qu'en premier lieu un taux réduit du SMIC peut être appliqué à certaines catégories de salariés, qu'en second lieu certaines catégories de salariés ne bénéficient pas du SMIC (salariés dont l'horaire de travail n'est pas contrôlable, notamment les VRP et les travailleurs à domicile), et qu'en outre le SMIC s'applique uniquement aux salariés de droit privé, au personnel des établissements public à caractère industriel et commercial et au personnel de droit privé des établissements publics administratifs,

- alors qu'enfin le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à effectuer un travail pour un employeur moyennant rémunération, cependant qu'en l'espèce la rémunération est versée par l'administration pénitentiaire et le travail est fourni par la défenderesse,

- qu'en conséquence la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale ne pourrait permettre à M. [C D] de bénéficier du SMIC au taux plein dès lors que cette disposition légale vise uniquement la notion de contrat de travail alors que cette notion ne peut s'appliquer à l'espèce compte tenu du versement de la rémunération par l'administration (conclusions déposées le 29,06.2012 et conclusions en date du 07.12.2012),

La présente affaire a été communiquée au Ministère Public le 14 mai 2012, qui a fait connaître son avis le 27 juin 2012, puis le 2 juillet 2012.

Le ministère public soutient que :

- le Conseil de prud'hommes est incompétent pour trancher le litige, n'ayant à connaître que des différends pouvant s'élever à l'occasion d'un contrat de travail,

- il n'est pas justifié du respect des formalités prévues par l'article R. 49-24 du Code de Procédure Pénale, et en conséquence la question prioritaire de constitutionnalité est irrecevable,

- à titre subsidiaire, si le Conseil de prud'hommes de METZ devait retenir la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité; le Ministère Public-estime que les trois conditions de l'article 23-2 de l'ordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies dés lors que :

-1) la demande au fond porte sur un rappel de salaire sur la base du SMIC, et la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'a pas de lien réel avec l'instance en cours parce qu'elle consiste à poser de façon théorique et générale la question relative à la liberté de conclure un contrat de travail, et qu'en outre elle est formulée devant une juridiction qui n'est pas matériellement compétente,

-2) le Conseil Constitutionnel n'a pas déjà statué sur la question prioritaire de constitutionnalité posée,

-3) la question posée ne présente pas le caractère sérieux exigé, en ce que le Conseil Constitutionnel a déjà précisé à plusieurs reprises que “le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit",

- en définitive le Ministère Public émet un avis défavorable à la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité.

MOTIFS

- Sur la détermination de la juridiction ayant à statuer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

Le Livre I du Code de Procédure Civile, et notamment son article 126-3, est applicable devant le Conseil de prud'hommes conformément à l'article R, 1451-1 du Code du Travail.

L'article 126- 3 du Code de Procédure Civile dispose que :

" Le juge qui statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité est celui qui connaît de l'instance au cours de laquelle cette question est soulevée (...)".

Dans le vocabulaire juridique la "connaissance" pour un juge peut être :

- Synonyme de la compétence,

- l'action d'instruire une affaire en vue de la juger (voir le vocabulaire juridique publié sous la direction de [E F], Quadrige/PUF).

Par ailleurs “l'instance” est la procédure engagée devant une juridiction. L'instance, représentant les phases et actes du procès, se distingue ainsi du “litige” ou de “l'affaire" à juger, lesquels résultent des demandes et moyens des parties.

Dés lors le juge qui "connaît de l'instance" au cours de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité.est soulevée n'est pas-nécessairement le juge compétent pour juger l'affaire au fond. L'article 126-3 du Code de Procédure Civile désigne pour statuer sur la transmission de la question le juge en charge de la procédure au cours de laquelle elle a été soulevée.

La question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée par M. [C D] au cours de la présente instance devant le Conseil de prud'hommes de METZ.

Dès lors il y a lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Il sera sursis à statuer sur la compétence du Conseil de prud'hommes pour trancher le litige au fond.

- Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l'audience dans un écrit distinct des autres observations de M. [C D], et motivé.

Il remplit donc la condition de recevabilité exigée par l'article 23-1 de l'ordonnance n°58- 1067 du 7 novembre 1958,

Le Ministère Public soutient que la question prioritaire de constitutionnalité est irrecevable au motif que les dispositions de l'article R. 49-24 du Code de Procédure Pénale n'auraient pas été remplies.

Cependant l'article R. 49-24 du Code de Procédure Pénale est applicable dans le cadre d'une procédure dont une juridiction pénale est saisie, lorsque le moyen (la question prioritaire de constitutionnalité) est soulevé par un détenu “à l'appui d'une demande qui peut être formée par remise au chef de l'établissement pénitentiaire": l'article R. 49-24 du Code de Procédure Pénale offre alors la faculté au détenu de remettre au chef de l'établissement pénitentiaire non seulement ladite demande, mais également l'écrit distinct et motivé (cf la mention:"l'écrit distinct et motivé peut également être remis au chef de l'établissement pénitentiaire") : si le détenu a usé de cette faculté il incombe au chef de l'établissement de viser l'écrit, d'indiquer le jour de son dépôt et de le faire adresser sans délai au greffe de la juridiction saisie (voir la fin de l'article R. 49-24 du Code de Procédure Pénale).

L'article R. 49-24 du Code de Procédure Pénale n'est pas applicable au présent litige de nature civile, et au surplus il n'impose au détenu aucune formalité que M. [C D] n'aurait pas respecté.

La question prioritaire de constitutionnalité est recevable.

- Sur les conditions de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

L'article 23-2 de l'ordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958 dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

- Sur la condition d'application de la disposition légale contestée au litige :

Le litige dont le Conseil de prud'hommes de METZ est saisi résulte d'une demande de rappel de salaire pour la période de septembre 2010 à février 2012 formée par M. [C D] qui revendique l'application du taux de salaire horaire du S.M.I.C, (Cf p. 2 de la demande introductive d'instance intitulée “Citation en conciliation et demande au fond et de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité" en date du 30.03.20012, déposée le 4 avril 2012).

Dans un écrit distinct et motivé, également daté du 30 mars 2012 et déposé le 4 avril 2012, intitulé “Mémoire de question prioritaire de constitutionnalité", M. [C D] soutient que l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale est contraire aux droits et libertés garantis par la constitution.

M. [C D] conteste plus particulièrement la constitutionnalité du 3ème alinéa de l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale, qu'il vise expressément, et qui dispose : "Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail".

Cette disposition légale contestée est applicable au litige, puisque :

- elle a une incidence sur la compétence du Conseil de prud'hommes saisi du litige, celui-ci ne pouvant connaître que des différends s'élevant à l'occasion d'un contrat de travail, (Cass. Soc. 17.12.1996, n 92-44.203),

- elle a une incidence sur le fond du litige, concernant le droit de M. [C D] à réclamer l'application du taux de S.M.T.C. horaire, puisqu'il n'est pas contesté qu'elle a pour effet d'exclure l'application de l'ensemble des dispositions du Code du Travail aux travailleurs détenus, et notamment les dispositions des articles L. 3231-1 et suivants du Code du Travail relatives au S.M.I.C.,

- elle a également une incidence sur le droit de M. [C D] à diriger sa demande à l'encontre de la société SODEXO JUSTICE SERVICES, dès lors qu'elle exclut tout contrat de travail pour les personnes incarcérées.

- sur la deuxième condition revue par l'article 23-2 précité :

L'article 717-3 du Code de Procédure Pénale - anciennement article 720 - n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

- Sur la troisième condition exigée par l'article 23-2 précité :

Ainsi que M. [C D] le souligne, l'article 717-3 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale a pour effet d'exclure les travailleurs détenus du bénéfice de l'intégralité des dispositions du Code du Travail, et notamment des dispositions relatives aux relations collectives de travail (exercice du droit syndical, négociation collective),

Or,comme le fait valoir le demandeur, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à valeur constitutionnelle, garantit en ses alinéas 6 à 8 les principes suivants :

"6. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.

7. Le droit de grève s exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

8. Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises"

Il existe donc une contradiction au moins apparente entre l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale privatif du droit syndical et du droit à la négociation collective pour les travailleurs détenus d'une part, et les termes généraux du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 qui apparaît garantir ces droits à tout homme et à tout travailleur sans distinction. La question prioritaire de constitutionnalité formulée par M. [C D] n'est dès lors pas dépourvue de caractère sérieux.

Par ailleurs, il convient de souligner que M. [C D] soutient dans son écrit distinct et motivé que l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale est contraire de manière générale “aux droits fondamentaux garantis par la constitution, et qu'il est "non conforme à la constitution", en ce qu'il le prive notamment des droits individuels édictés par le Code du Travail.

Or ni l'article 61-1 de la Constitution, ni la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, ni les articles 23-1 et suivants de l'Ordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958 ni les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile n'imposent au requérant qui soulève une question prioritaire de constitutionnalité de faire une liste précise et exhaustive de l'ensemble des droits et libertés que la constitution garantit auxquels la disposition légale critiquée pourrait porter atteinte. Il convient de relever à cet égard que le Conseil Constitutionnel statue sur la question prioritaire de constitutionnalité en répondant en premier lieu sur les moyens soulevés par le requérant, puis en s'assurant en dernier lieu que la disposition légale critiquée “ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit (Voir par exemple dans la Décision du Conseil n 2012-280, Q.P.C. du 12.12.2012, le considérant n° 22).

Il peut donc être observé qu'il n'est pas dénué de caractère sérieux de soutenir que l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale porte atteinte de manière générale aux droits et libertés que la constitution garantit, parmi lesquels le principe d'égalité devant la loi garanti notamment par son article F”, s'agissant des incidences de cette disposition légale sur le montant de la rémunération des travailleurs détenus.

Selon le Conseil Constitutionnel, le principe d'égalité devant la loi “ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit" (cf Décision n° 2009- 578 DC, du 18 mars 2009).

La question est dès lors de savoir si en excluant les travailleurs détenus du droit à la rémunération au S.M.I.C. le législateur a pris en compte une différence de situation ou des raisons d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale.

Il est observé que l'alinéa 3 de l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale qui est critiqué par le demandeur (précédemment inséré dans l'article 720 du même code) est issu de la loin 87-432 du 22 juin 1987. Ladite loi rappelait dans son article 1er que “le service public pénitentiaire favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l'Autorité Judiciaire". L'article 1er de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 a été abrogé par la loin 2009-1436 du 24 novembre 2009, et cette dernière loi a également institué par son article 32 la version actuelle de l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale. L'article 1er de la loin” 2009-1436 du 24 novembre 2009 dispose que "le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les personnes détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions".

Il apparaît ainsi que l'objet de la disposition légale critiquée par M. [C D] est de déterminer les conditions d'exécution de la peine privative de liberté qui est destinée à protéger la société, à sanctionner le condamné et à préserver les intérêts de la victime, en préparant l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue. Au demeurant les 1er et 2ème alinéas de l'article. 717-3 du Code de Procédure Pénale précisent que le travail est à prendre en compte pour apprécier les gages de réinsertion et de bonne conduite du détenu, et que l'accès au travail doit être recherché par l'administration pour toute personne incarcérée qui en fait la demande.

Il n'est dès lors pas dépourvu de caractère sérieux de soulever la question de savoir si la différence de traitement résultant de la loi, entre un travailleur libre et un travailleur détenu, s'agissant du montant de la rémunération de leur travail, est en rapport direct avec l'objectif de nécessaire préparation de l'insertion ou de la réinsertion du détenu qui est poursuivi par l'article 717-3 du Code de Procédure Pénale.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante:

L'article 717-3 du Code de Procédure Pénale, en ce qu'il dispose que “les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail’, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, et notamment aux droits garantis par les 5ème, 6ème, 7ème et 8ème alinéas du préambule de la Constitution du 27.10.1946 ?

- Sur les autres demandes des parties et les dépens :

En application des dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l'exception d'incompétence, sur l'ensemble des demandes des parties, et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le Bureau de Jugement du Conseil de Prud'hommes de Metz, statuant en sa formation de départage après en avoir délibéré conformément à la loi, publiquement, par jugement contradictoire insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

DIT qu'il appartient au Conseil de Prud'hommes de METZ de statuer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au cours de la présente instance ;

DECLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [C D] :

ORDONNE la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante :

L'article 717-3 du Code de Procédure Pénale, en ce qu'il dispose que “les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail’, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, et notamment aux droits garantis par les 5ème, 6ème, 7ème et 8ème alinéas du préambule de la Constitution du 27.10.1946 ?

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité remis à l'audience du 14 décembre 2012 ;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision :

SURSOIT à statuer sur la compétence et sur les demandes des parties ;

DIT que l'affaire sera rappelée à l'audience de départage du 31 mai 2013 à 11h30 ;

RESERVE les dépens.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2012.