Tribunal de grande instance de Rouen

Jugement du 12 novembre 2012, Dossier N° : 11/01863

12/11/2012

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN

PAC - CONTENTIEUX

JUGEMENT DU 12 Novembre 2012

AMP/FBV

DOSSIER N° : 11/01863

90 Z Demande relative à d’autres droits indirects

AFFAIRE :

Société LA HALLE

C/

LA COMMUNE DE TOURVILLE-LA-RIVIERE

DEMANDERESSE

Société LA HALLE,

dont le siège social est sis [adresse 1] - [LOCALITE 2] par Maître CASTELLE, avocat au barreau de HAUT DE SEINE

DÉFENDERESSE

LA COMMUNE DE TOURVILLE-LA-RIVIERE,

dont le siège social est sis [adresse 3]

représentée par Maître Dominique VALLES, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 66,

Plaidant par Maître PORCHERON, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats :

PRESIDENT : Françoise BOUTHIER-VERGEZ, Première Vice-Présidente

JUGES : Véronique DE MASCUREAU, Juge Véronique CORNILLE, Juge

MINISTERE PUBLIC : Madame POIDEVIN Procureur de ]a République Adjoint

GREKFFIER : Anne Marie PIERRE, Greffier

Lors du délibéré :

PRESIDENT : Françoise BOUTHIER-VERGEZ, Première Vice-Présidente

JUGES : Véronique DE MASCUREAU, Juge Véronique CORNILLE, Juge

DEBATS : A l’audience du 10 Septembre 2012

JUGEMENT : contradictoire Et en premier ressort

Prononcé par mise à disposition au greffe à la date du 12 Novembre 2012

Le présent jugement a été signé par Françoise BOUTHIER-VERGEZ, Première Vice-Présidente, et par Anne Marie PIERRE, Greffier présent lors du prononcé.

* * *

En exécution d’une délibération du conseil municipal de la Commune de TOURVILLE LA RIVIERE adoptant les taux et les modalités de la taxe unique sur la publicité extérieure (ci après dénommée TLPE) créée par la loi du 4 août 2008, régie par les articles L2333-9 à L2333-16 du Code Général des Collectivités Territoriales, la Commune de TOURVILLE LA RIVIERE a fait émettre le 15 décembre 2009, à l’égard de la société LA HALLE exploitant un magasin sur la dite commune une titre de recette rendu exécutoire mettant à la charge de la société au titre de la TLPE, une somme de 5. 640 € pour l’année 2009.

Invoquant avoir formé un recours gracieux, rejeté le 6 avril 2010, selon exploit délivré le 10 septembre 2010, la société LA HALLE a fait assigner la Commune de TOURVILLE LA RIVIERE devant le Tribunal de Grande Instance de Rouen afin de voir prononcer la décharge totale de la TLPE, subsidiairement un dégrèvement partiel en disant que les quatre “pins” et le tableau événementiel ne sont pas des enseignes mais des supports publicitaires, donc que la surface imposable ou “utile” est erronée, que le tarif applicable est celui prévu avec une évolution transitoire ; l’allocation d’une somme de 1.500 € est sollicitée en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Par écritures du 8 février 2011, la Commune de TOURVILLE LA RIVIERE a conclu :

- à l’irrecevabilité de l’action le titres exécutoire émis le 15 décembre 2009 ayant été annulé et ayant été remplacé par un nouveau titre émis le 6 avril 2010 (le T. Administratif s’étant déclaré incompétent sur le recours formé à l’encontre du titre émis en décembre 2009 le 2 juillet 2010 et aucun recours administratif n’ayant été formé pour celui d’avril 2010) dans les 2 mois et l’action prescrite lors de la délivrance de l’assignation le 10 septembre 2010,

- Subsidiairement au rejet des demandes de décharge :

*la loi créant la TLPE étant applicable sans attendre des décrets d’application ;

* en l’absence de toute déclaration annuelle de la part de la société avant le 19 mars 2009, des relevés ont été opérés fixant la présence de différentes enseignes pour une surface totale de 96 m2, que cette évaluation est contestée sans aucun élément produit,

*le tarif applicable est celui déterminé par l’article L2333-9 du CGCT, article L2333-16 étant inapplicable dès lors que la Commune percevait antérieurement la TSE.

L’allocation d’une indemnité de 2.000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile est sollicitée.

Après réplique de la société LA HALLE précisant que devait être déduit une surface de 94 m2 de l’assiette d'imposition, selon conclusions du 10 mai 2012, la Commune de TOURVILLE LA RIVIERE a élevé une question prioritaire de constitutionnalité sur l’article L2333-16 alinéa B et C du CGCT dont l’application au litige soumis au Tribunal de céans est revendiquée par la société LA HALLE, celui ci comportant une discrimination contraire aux normes constitutionnelles d'égalité devant les charges publiques, au principe d’égalité entre les collectivités territoriales ainsi que de libre administration des collectivités territoriales.

Or en application de l'article 61-I de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, 1l est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé ; l’article 23-I de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel précisant que devant les juridictions relevant de l’ordre judiciaire, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

La présente affaire a été alors communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 22 mai 2012. Le ministère public considère que les conditions de recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité sont réunies, et qu’au regard de la transmission de ladite question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation :

- la disposition est applicable à l’instance en cours la société AUBERT sollicitant l’application de l’article 2333-16 du Code Général des Collectivités Territoriales au calcul de la taxe sur la publicité dont elle est redevable au titre de l’année 2009,

- la disposition contestée n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif du Conseil Constitutionnel,

- la disposition législative en cause est critiquée par rapport au principe d’égalité devant les charges publiques et au principe de libre administration des collectivités,

- la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par les alinéas B et C de l’article L2332-16 du Code général des Collectivités Territoriales:

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et plus particulièrement à ceux des articles 72 et suivants de la constitution a été présenté le 16 mars 2012 dans un écrit distinct des conclusions au fond de la Commune de TOURVILLE la RIVIERE, et motivé en droit, les conditions de recevabilité sont donc réunies.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à ta Cour de cassation:

L'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 dispose que la juridiction transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1” la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites,

2" elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le

dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances;

3° la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige, dès lors que la société LA HALLE demanderesse à l’instance sollicite aux termes de ses écritures signifiées le 29 décembre 2011, l'application de l’article L2332-16 alinéa B et C du Code Général des Collectivités Territoriales pour la détermination du montant de la ILPE dont elle est redevable au titre de l’année 2009 sur la commune de Tourville la Rivière alors que celle ci a conclu le 7 novembre 2011 à la fixation de la taxe due par la société LA HALLE conformément aux tarifs des articles L2333-9 et L2333-10 de ce même code.

Par ailleurs il est certain que l’article 171 de la loin 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie instituant la taxe sur la publicité extérieur avec la période transitoire de l’article L2333-16 du CGCT n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel.

En outre, la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que l’objet de la loi apparaît être une simplification des taxes sur la publicité qui passent pour le moins de deux à une seule, ainsi qu’une modernisation législative, le texte tenant compte de l’ensemble des dispositifs publicitaires urbains, tout en permettant une augmentation des ressources des communes, alors que le texte incriminé a établi un régime dérogatoire quant à la détermination des tarifs maximaux pendant une période transitoire de 5 années pour les communes sur le territoire desquelles étaient précédemment en vigueur la TSE ou la TSA, ces dernières ne pouvant alors appliquer le tarif maximal de droit commun de l’article L2323-9 du CGCT avant le 1” janvier 2013, afin d’éviter une augmentation immédiate trop importante de la nouvelle taxe pour les entreprises implantées dans ces communes, et donc institue une différenciation entre les communes en fonction de l’existence antérieure ou non d’une taxe sur la publicité, qu’ainsi la question se pose de savoir si une telle disposition ne contrevient pas aux principes d’égalité devant les charges publiques, au principe d'égalité entre les collectivités territoriales et au principe de la libre administration des collectivités territoriales, ainsi que si Ïa différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante:

L'article 2333-16 alinéas B et C du Code Général des Collectivités Territoriales instauré par la Loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie porte-t-il atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, au principe d'égalité entre les collectivités territoriales et au principe de libre administration des collectivités, donc aux droits et libertés garantis par la Déclaration des Droits de l'Homme, ainsi qu'aux articles 72 et 72-2 de [a Constitution.

Sur les autres demandes des parties et les dépens.

En application des dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance n 58- 1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel ;le cours de l’instruction n’étant pas suspendu, la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l'espèce aucun élément ne rendant nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés, il est donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties et les dépens sont réservés.

PAR CES MOTIFS:

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante: l’article L2333-16 alinéas B et C du Code Général des Collectivités Territoriales instauré par la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie porte-t-il atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, au principe d’égalité entre les collectivités territoriales et au principe de libre administration des collectivités, donc aux droits et libertés garantis par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, et les articles 72, 72-2 de la Constitution.

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires, conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;

DIT que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du 26 mars 2013 à 9 heures

RESERVE les dépens ;

Le Greffier