Conseil de Prud'hommes de Paris

Jugement du 11 octobre 2012, RG N° F 12/05429

11/10/2012

Renvoi

CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE PARIS

27, rue Louis Blanc

75484 PARIS CEDEX 10

Tel : 01.40.38.52.00

PN

SECTION

Activités diverses chambre 5

RG N° F 12/05429

Notification le :

Date de réception de l’A.R. :

par le demandeur:

par le défendeur :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DE TRANSMISSION D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

contradictoire et non susceptible de recours

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2012

Composition de la formation lors des débats :

Monsieur Joseph FELITCHKINE, Président Conseiller Salarié

Madame Marie Claire BAUD, Conseiller Salarié

Monsieur Albert SENANEDJ, Conseiller Employeur

Monsieur Cyprien LAURELLI, Conseiller Employeur

Assesseurs

assistée de Madame Nicole PRADEL, Greffier

ENTRE

Madame [B C]

née le [DateNaissance 1] 1982

Lieu de naissance : [LOCALITE 2]

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

Représentée par la SELARL OZENNE-BONGRAND-PENOT

DEMANDEUR

ET

SCP BROUARD DAUDE mandataire liquidateur de la SAS STIM SECURITE

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

Représenté par la SCP CABINET LAUDRAIN

DEFENDEUR

AGS CGEA [LOCALITE 7]

[adresse 8]

[LOCALITE 9]

Représenté par la SELARL LAFARGE ET ASSOCIÉS

INTERVENANT FORCÉ

PROCÉDURE

Saisine du Conseil : 15 mai 2012

Mode de saisine : conclusions déposées au greffe

Avis au Ministère Public adressé le : 30 Mai 2012 et 18 juillet 2012

Affaire fixée à l’audience du 22 mai 2012 renvoyée à l’audience du 17 juillet 2012.

Débats à l'audience de jugement du 05 octobre 2012 à l’issue de laquelle, les parties ont été avisées de la date et des modalités du prononcé.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Vu l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants :

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile, notamment l’article 126-2 ;

Vu l’absence d’avis de la part du Ministère Public, lequel, saisi à deux reprises dans les formes requises par les textes, n’a pas fait connaître d’avis, bien au-delà du délai d’un mois.

Vu qu’un nouveau renvoi revendiqué par l’AGS CGEA [LOCALITE 10] pour ce motif n’aurait pour objet que de ralentir encore l’issue du litige alors même que les dispositions de l’article 6-1 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne précisent que chaque citoyen peut voir son procès réglé dans des délais raisonnables.

Le Conseil oppose une fin de non recevoir à la demande de rejet au motif d’absence d’avis connu du Ministère Public.

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par Madame [B C] par écrit le 15 Mai 2012 ;

Vu les observations formulées par la SCP BROUARD DAUDE mandataire liquidateur de la SAS STIM SECURITE et l’AGS CGEA IDF OUEST le 05 octobre 2012 ;

En application de l’article 61l-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de Re Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte attente aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l’espèce, Madame [B C] prétend que les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 1235-10 du Code du Travail porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que ayant été licenciée le 21 décembre 2009, en l’absence de tout plan de sauvegarde de l'emploi, son employeur, la S.A.S. STIM SECURITE, avait fait l’objet d’un jugement de redressement judiciaire du Tribunal de Commerce de PARIS, en date du 6 octobre 2009, puis d’une liquidation judiciaire en date du 8 décembre 2009.

Elle soutient qu'ayant adhéré à la convention de reclassement personnalisé en avant de son délai de réflexion, son contrat a été rompu le 6 janvier 2010 en l’absence de tout plan de sauvegarde de l’emploi.

Madame [B C] indique que les dispositions de l’article L.1235-10 du Code du Travail, en son premier alinéa, doivent lui être appliquées, soit en l’absence de reclassement possible, l'octroi d’une indemnité égale de 12 mois de salaires (article L.1235-1 du Code du Travail).

[A B C] constate que les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 123 5-10 du Code du Travail, précisent : “Le premier alinéa n’est pas applicable aux entreprises en redressement Judiciaire ou en liquidation.”

Elle conclut en constatant que cette dernière partie du même texte - absence de plan de sauvegarde de l’emploi - lui ouvre droit aux conséquences d’un licenciement prononcé dans ces conditions, à savoir le constat d’une absence de cause réelle et sérieuse à la rupture mais la prive du bénéfice d’un éventuel mais peu probable reclassement mais d’une indemnisation à hauteur de 12 mois de salaire.

Elle constate ainsi que des dispositions législatives et le 3°” alinéa de l’article L.1235-10 du Code du Travail prévoyant une réparation moindre en cas de jugement de redressement judiciaire de l’entreprise constitue par rapport à d’autres salariés licenciés, sans plan de sauvegarde de l'emploi mais en l’absence de toute procédure collective au jour du prononcé du licenciement, une discrimination entre salariés mettant à mal le principe de l’égalité de la loi - article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Pour sa part, L’AGS, après avoir soulevé l’irrecevabilité de la demande au motif d’absence d'avis du Ministère Public, fait état de l’absence de motivation de la saisine de la question prioritaire de constitutionnalité, la clarté et le sérieux de ces motivations étant réclamés par les dispositions de l’article 126-4 du Code de Procédure Civile.

Atitre subsidiaire, l’AGS soulève que le législateur a posé et motivé les différences de situation existantes entre un salarié licencié pour motif économique en l’absence de plan de sauvegarde de l'emploi mais à la suite d’un jugement de redressement judiciaire et la situation d’un autre salarié licencié pour le même motif en l’absence d’un jugement collectif.

L’AGS rappelle que le même législateur a fixé ces différences de situation en tenant compte de la protection de l’ensemble des salariés face à une faillite, garantie des salaires par exemple, et ce, en usant de son pouvoir de légiférer, en l’espèce, en organisant les modalités du licenciement dans les procédures collectives.

Pour sa part, la S.C.P. BROUARD DAUDE, en qualité de mandataire liquidateur de la S.A.S. STIM SECURITE, soutient que l’article L.1235-10 du Code du Travail dispose du sort et des droits des salariés licenciés pour motif économique en l’absence de plan de sauvegarde de l'emploi et rappelle que le dernier alinéa de ce même article écarte les salariés frappés de la même mesure, en ses dispositions du premier alinéa dès lors que les licenciement sont intervenus après le jugement de liquidation judiciaire, ce pour différents points Juridiques, en particulier l’absence en l’espèce de réintégration.

La S.C.P. BROUARD DAUDE rappelle que ces mesures relèvent du pouvoir souverain du législateur et ne pose pas de difficulté d’inconstitutionnalité.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l’audience dans un écrit distinct et motivé des autres observations de Madame [B C]. Il est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu’elle est relative aux termes de l’article L.1235-10 du Code du Travail ;

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. En outre, elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que :

qu’elle établit qu’un salarié licencié pour motif économique en l’absence d’établissement par son employeur d’un plan de sauvegarde de l’emploi :

- voit son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- peut demander et obtenir sa réintégration,

- à défaut, peut obtenir une réparation à hauteur de 12 mois de salaire ;

Vu que le dernier alinéa du même article L.1235-10 du Code du Travail exclut de ces dispositions les salariés licenciés pour la même cause -un licenciement économique-, en l’absence des mêmes garanties ; -un plan de sauvegarde de l’emploi- :

- verra son licenciement qualifié dénué d’un motif réel et sérieux maïs ne pourra revendiquer sa réintégration,

- pourra faire valoir ses droits à réparation tels que visés par les dispositions de l’article L.122-14-4 du Code du Travail et ne bénéficiera d’un minimum de 12 mois.

Vu qu’en l’espèce, la garantie de [’égalité des droits des citoyens devant la Loi n’est plus intangible en l’espèce.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante:

l’article L.1235-10 dernier alinéa du code du travail -non application des dispositions du premier alinéa de ces textes aux salariés licenciés en l’absence d’un plan de sauvegarde en cas de liquidation judiciaire de la société employeur porte-t-elle atteinte aux droits à l’égalité du citoyen devant la Loi.

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant contradictoirement par décision non susceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante:

le dernier alinéa de l’article L.1235-10 du code du travail porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 6-16 de la Charte des droits de l’homme et du citoyen ?

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

RÉSERVE les dépens ;