Tribunal de grande instance de Nanterre

Ordonnance du 4 octobre 2012, N° R.G : 12/05259

04/10/2012

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

lère Chambre

ORDONNANCE DE MISE EN ETAT

Rendue le 04 Octobre 2012

N° R.G. : 12/05259

AFFAIRE SOCIÉTÉ MOTOROLA MOBILITY FRANCE SAS venant aux droits et obligations de la SOCIETE MOTOROLA SAS

C/

SOCIÉTÉ POUR LA PERCEPTION DE LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE ET SONORE DITE COPIE FRANCE venant aux droits et obligations de la SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE SONORE (SORECOP)

 

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

A l’audience du 27 Septembre 2017,

Nous, Benoît CHAMOUARD, Juge de la mise en état assisté

Geneviève COHENDY, Greffier

DEMANDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE D CONSTITUTIONNALITE

DEMANDERESSE A L’INSTANCE PRINCIPALE

SOCIÉTÉ MOTOROLA MOBILITY FRANCE SAS venant aux droits et obligations de la SOCIETE MOTOROLA SAS

[LOCALITE 1]

[LOCALITE 2]

91193 GIF SUR YVETTE

représentée par Me Sophie SOUBELET-CAROIT, avocat barreau de PARIS, vestiaire : B0312

DEFENDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE D CONSTITUTIONNALITE

DEFENDERESSE A L’INSTANCE PRINCIPALE

SOCIÉTÉ POUR LA PERCEPTION DE L REMUNERATION DE LA COPIE PRIVE AUDIOVISUELLE ET SONORE DITE COPIE FRANC venant aux droits et obligations de la SOCIETE POUR L REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE SONOR (SORECOP)

11 bis rue Ballu

[LOCALITE 3]

représentée par Me Patrick QUIBEL, avocat postulant au barre des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 754 et Me Olivier CHATE avocat plaidant au Barreau de PARIS

Monsieur le Procureur de la République ayant donné son av par écrit le 7 septembre 2012

ORDONNANCE

Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond

Les avocats des parties ont été entendus en leurs explication l’affaire a été ensuite mise en délibéré et renvoyée pour ordonnance

Avons rendu la décision suivante :

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 4 juin 2009, la société par actions simplifiée Motorola, a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nanterre la Société pour la Rémunération de la Copie Privée Sonore, société civile chargée la perception et la répartition des droits perçus au titre de la copie privée, conformément aux articles L32 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La Société pour la Perception de la Rémunération de la Copie Privée Audiovisuelle et Sonore (“la société Copie France”) est venue aux droits et obligations de cette société le 28 juin 2011, à la suite d’une fusion absorption.

La société par actions simplifiée Motorola Mobility France (“la société Motorola”) est pour sa part vendue aux droits de la société par actions simplifiée Motorola et est intervenue volontairement à l’instance conclusions du 5 janvier 2011.

La société Motorola demande sur le fond au tribunal de juger que les sommes sollicitées au vu des factures établies par la société Copie France ne sont pas dues et sollicite la restitution des sommes dont elle s’ acquittée.

Par écrit distinct déposé au greffe le 18 mai 2012, la société Motorola a soulevé trois questions prioritaires de constitutionnalité. Par conclusions du 27 septembre 2012, elle demande au juge de la mise en état “transmettre à la Cour de cassation sans délai les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes a de procéder à leur examen en vue de leur transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera :

L'article 6 II de la loi 2011-1898 du 20 décembre 2011 ne viole-t-il pas l'article 16 de la Déclaration 1789 en ce qu'il ne présente pas un “but d’intérêt général suffisant” tel que requis d'une validation législative, au motif que la disposition contestée est justifiée par des considérations essentiellement financières, non démontrées et, en l'état des données objectives connues, non significatives ?

L'article 6 II de la loi 2011-1898 du 20 décembre 2011 combiné aux articles 4 II et 7 de la même loi viole-t-il pas le principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ce qu'il continue de soumettre à la rémunération de l'article L311-1 du Code de la propriété intellectuelle des matériels à usage professionnel, privant ainsi d'effet les arrêts CE Canal + Distribution, 77 juin 20 et CJUE Padawan 21 octobre 2010 ?

L'article 6 II de la loi 2011-1898 du 20 décembre 2011 ne porte-t-il pas atteinte au droit à un recours effectif et au droit de propriété de la société Motorola Mobility, constitutionnellement garantis au titre articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il vise à la priver de son droit de se prévaloir, dan cadre d'une instance en cours au jour de l'entrée en vigueur de la disposition contestée, des effets d'i

Jurisprudence des juridictions administratives établies depuis l'arrêt CE Ass 11 mai 2004, Association AC ?.

À titre subsidiaire, la société Motorola demande le sursis à statuer jusqu’à ce qu’elle soit informée de décision de la Cour de cassation ou du Conseil Constitutionnel.

La société Motorola expose qu’il n’est pas contesté que l’article 6 II de la loi du 20 décembre 2011 applicable au litige sur le fond et n’a pas été déclaré conforme à la Constitution par le Cons constitutionnel.

Elle soutient que la question relative à la constitutionnalité de cette disposition présente un caractère sérier Elle rappelle à cet égard que le Conseil constitutionnel conditionne la constitutionnalité d’une loi validation à cinq conditions cumulatives, dont trois ne sont pas remplies selon elle. Elle précise ainsi que :

- l’article 6 II n’est pas justifié par un intérêt général suffisant, s’agissant essentiellement d’intérêts financier au demeurant non évalués et représentant un part peu importante des sommes versées au titre de la copie privée :

- il porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs en ne respectant pas les arrêts CE Canal distribution et CJUE Padawan, ainsi qu’en ayant pour effet, combiné à l’article 7 de la loi, de soumettre la rémunération pour copie privée tous les matériels à usage professionnels acquis avant le 21 décembre 2011, notamment lorsqu'ils ont un usage accessoire de copie privée (article 6IL et 4Ï[ combinés) ;

- cet article méconnaît le droit à un recours effectif et le droit de propriété, en ce qu’il prive les justiciables du bénéfice de la jurisprudence de l’arrêt Association AC du Conseil d’État, aux termes duquel ce juridiction réserve les actions contentieuses en cours lorsqu'il renonce au principe de rétroactivité d’u annulation administrative, et que cet article les prive de l’espérance légitime de l’instance en cours, constitue un bien au sens de l’article 1 du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme.

La société Motorola rappelle que l’article 126-5 du Code de procédure civile ne contraint pas le juge à pas transmettre une question déjà transmise à la Cour de cassation, mais lui octroie simplement la faculté de ne pas le faire. Elle soutient que la motivation en fait et en droit de sa question diffère sensiblement celle déjà transmise à la Cour de cassation.

Aux termes de conclusions du 26 septembre 2012 développées à l’audience d’incident, la société Co France demande au juge de la mise en état de constater que cette question prioritaire de constitutionnel met en cause la constitutionnalité de l’article 6 II de la loi du 20 décembre 2011 par les mêmes moyen qu’une question similaire déjà transmise à la Cour de cassation par jugement du 26 juillet 2012 du tribu de grande instance de Nanterre. En conséquence, la société Copie France s’oppose à la transmission de ce question et sollicite le sursis à statuer en l’attente de la décision de la Cour de cassation et, le cas échéance du Conseil constitutionnel.

À titre subsidiaire, la société Copie France soutient que cette question est dépourvue de caractère sérieux conclut au rejet de la demande de transmission.

La société Copie France rappelle qu’en vertu de l’article 126-5 du Code de procédure civile, le juge n' pas tenu de transmettre à la Cour de cassation une question dont elle est déjà saisie, lorsque la contestation est fondée sur les mêmes motifs. Or elle précise que le tribunal de grande instance de Nanterre a transmit par jugement du 26 juillet 2012 une question similaire à celles posées par la société Motorola, puisque ce première question portait sur la même disposition législative et invoque les mêmes motifs, soit la violat du principe de séparation des pouvoirs, du droit à un recours effectif, de la sécurité juridique et du droit propriété. Elle précise que l’article 6 du règlement intérieur du Conseil constitutionnel permet à la société Motorola d'adresser des observations en intervention, même s1 les questions qu’elle a posée n’ont pas transmises à la Cour de cassation.

A titre subsidiaire, la société Copie France conclut au non-lieu à transmission de la question posée, au m que cette question n’est manifestement pas sérieuse. Elle estime en effet que la disposition litigieuse pour des motifs d’intérêt général suffisants, garantit le respect du droit fondamental qu’est le droit de propriété et qui inclut le droit d’auteur et les droits voisins et permet à la France de se conformer à ses obligations européennes. Elle ajoute que cette disposition ne porte atteinte n1 au principe de séparation des pouvoirs au droit de propriété, ni au droit à un recours juridictionnel effectif.

Le ministère public, avisé le 3 septembre 2012, s’en rapporte à justice.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitution dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuit

2° elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Il est constant en l’espèce que l’article 6 II de la loi du 20 décembre 2011 est applicable au litige opposé les parties sur le fond et n’a pas été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’u décision du Conseil constitutionnel.

Les questions prioritaires de constitutionnalité déposées par la société Motorola ne sont par ailleurs dépourvues de sérieux. Elles portent en effet toutes trois sur une loi de validation rétroactive remettant cause le dispositif de la décision du Conseil d'Etat du 17 juin 2011 ayant force de chose jugée et voit constitutionnalité subordonnée à l’existence d’un motif d’intérêt général suffisant, dont l’existence contestée par une argumentation précise et circonstanciée.

L'article 126-5 du Code de procédure civile dispose que le juge n’est pas tenu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause pour les mêmes motifs, une disposition législative don Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d’absence de transmission pour ce raison, 1l sursoit à statuer sur le fond, jusqu’à ce qu’il soit informé sur la décision de la Cour de cassation ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel.

Par jugement du 26 juillet 2012, le tribunal de grande instance de Nanterre a transmis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 6 I et II de la loi du 20 décembre 2011, ai formulée par la Société Française de Radiotéléphone (“la société SFR”), à l'initiative de cette question

“Les dispositions de l’article 6 de la loi du 20 décembre 2011 portent-elles atteinte au principe de séparation des pouvoirs et au droit à un recours effectif, qui découlent de l'article 16 de la Déclaration droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'au droit de propriété et à la sécurité juridique des société assujetties :

[..] s'agissant de l'article 6, IL en ce qu'elles valident les rémunérations perçues ou réclamées application de la Décision n°11 au titre des supports autres que ceux acquis notamment à professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, et ayant fait l'objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011, alors même que Décision n°11 a été annulée par le Conseil d'Etat, et que, tout en modulant dans le temps les effets de ce annulation, le Conseil d'Etat avait expressément réservé les droits des personnes ayant introduit, avant 17 juin 2011, des action contentieuses contre des pris sur le fondement des dispositions annulées ?”

Les moyens d’inconstitutionnalité soulevés dans cette question se fondent sur les mêmes de constitutionnels que ceux invoqués au soutien des questions déposées par la société Motorc essentiellement relatifs à l’application à l’article 6 II litigieux des critères de constitutionnalité d’une loi validation, tels que le Conseil constitutionnel les a définis dans plusieurs décisions depuis celle 80-1191] du 22 juillet 1980.

La société SFR a en effet précisé dans ses écritures, produites par la société Copie France, qu’au “cas pré. aucune des conditions résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel précitée n'est remplie :

- la loi de validation remet directement en cause le dispositif et les motifs de la décision du Conseil d'E du 17 juin 2011, laquelle a force de chose jugée ;

- la validation n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

- elle méconnaît un certain nombre de principes constitutionnels et porte notamment atteinte aux droit la sécurité juridique et à un recours effectif, et alors même que le but poursuivi n'a pas lui-même valeur constitutionnelle ;

- la portée de la validation n'est pas claire et ne peut donc être considérée comme étant strictement définit (page 12).

Elle ajoute le droit de propriété parmi les principes constitutionnels auxquels il aurait été porté atteinte pages 32 et 34 de ses écritures, produites par la société Copie France.

L’argumentation de la société Motorola se distingue en revanche de celle de la société SFR, en ce qu’e soutient que l’article 6 II porte atteinte à la séparation des pouvoirs lorsqu'il est :

- combiné avec l’article 7 de la loi du 20 décembre 2011, “en ne prévoyant pas de mécanisme remboursement de la rémunération pour copie privée au bénéfice des professionnels avant la promulgation de la loi, et

- combiné avec l’article 4 de la loi du 20 décembre 2011, en conduisant “à perpétuer un paiement de rémunération pour copie privée par les professionnels”.

L'approche, par la société Motorola, de l’atteinte au droit de propriété se fonde par ailleurs sur la notion “bien”, telle que définie par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui n’apparait pas sous cette forme dans les écritures de la société SFR.

Les motifs de mise en cause de l’article 6 II de la loi du 20 décembre 2011 avancés par la société Motorola sont donc proches de ceux de la société SFR, sans toutefois être similaires.

Il convient dès lors de faire droit à la demande de transmission à la Cour de cassation des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par la société Motorola.

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958, lorsqu’une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il à été saisi du Conseil constitutionnel.

Aucun élément ne rendant en l’espèce nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés, il sera sursis à statuer : l’ensemble des demandes des parties.

Les parties conserveront provisoirement la charge de leurs propres dépens.

PAR CES MOTIFS

ORDONNONS la transmission à la Cour de cassation des questions suivantes :

“L'article 6 I de la loi 2011-1898 du 20 décembre 2011 ne viole-t-il pas l'article 16 de la Déclaration 1789 en ce qu'il ne présente pas un “but d’intérêt général suffisant” tel que requis d'une validation législative, au motif que la disposition contestée est justifiée par des considérations essentiellement financières, non démontrées et, en l'état des données objectives connues, non significatives ?

L'article 6 11 de la loi 2011-1898 du 20 décembre 2011 combiné aux articles 4 I et 7 de la même loi viole-t-il pas le principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ce qu ‘il continue de soumettre à la rémunération de l’article L311-1 du Code de la propriété intellectuelle des matériels à usage professionnel, privant ainsi d'effet les arrêts CE Canal + Distribution, 77 juin 2 et CJUE Padawan 21 octobre 2010 ?

L'article 6 11 de la loi 2011-1898 du 20 décembre 2011 ne porte-t-il pas atteinte au droit à un recours effectif et au droit de propriété de la société Motorola Mobility, constitutionnellement garantis au titre articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il vise à la priver de son droit de se prévaloir, dan cadre d'une instance en cours au jour de l'entrée en vigueur de la disposition contestée, des effets de jurisprudence des juridictions administratives établies depuis l'arrêt CE Ass 11 mai 2004, Association AC ?”

DISONS que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité,

DISONS que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

ORDONNONS le sursis à statuer sur les demandes des parties,

LAISSONS provisoirement aux parties la charge de leurs propres dépens,

RENVOYONS l'examen de l’affaire à l’audience de mise en état électronique du 14 janvier 2013 à 14} la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel ou à l’audience de m en état du 29 octobre 2012 à 14h dans le cas contraire.

LE GREFFIER

LE JUGE DE LA MISE EN ETAT