Tribunal de grande instance de Carcassonne

Jugement du 30 août 2012, RG N° 12/00885

30/08/2012

Renvoi

AUDIENCE DU 30 Août 2012

DOSSIER : RG N° 12/00885

MINUTE :

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARCASSONNE

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Le Tribunal de Grande Instance de Carcassonne, statuant le TRENTE AOÛT DEUX MIL DOUZE a rendu le jugement suivant :

ENTRE

Madame [A B-C]

née le [DateNaissance 1] 1940 à [LOCALITE 2] ([...]), demeurant [LOCALITE 3] - [adresse 4] - [LOCALITE 5]

représentée par la SCP TARLIER-RECHE-GUILLE MEGHABBAR, avocats postulants au barreau de CARCASSONNE, et Me THALAMAS-MAYLIE, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

ET

[LOCALITE 6], représentée par son Maire en exercice, dont le siège social est sis [adresse 7] - [LOCALITE 8]

représentée par la SELARL FERMOND), avocats postulants au barreau de CARCASSONNE et Maître Jean-Marc NOYER avocat plaidant au barreau de Marseille

COMPOSITION DU TRIBUNAL STATUANT A JUGE UNIQUE EN VERTU DE L'ARTICLE R _311-29 DU CODE DE L'ORGANISATION JUDICIAIRE ET DE L’ARTICLE 817 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

Madame Marie BOUGNOUX, Juge

GREFFIER : Françoise VERDIER, Greffier lors des débats et du prononcé

DÉBATS : En audience publique du 21 Juin 2012

JUGEMENT : Contradictoire, insusceptible de recours, prononcé par mise à disposition au greffe le TRENTE AOÛT DEUX MIL DOUZE par Madame Marie BOUGNOUX, Juge qui a signé avec le greffier ,

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [A B-C] est propriétaire de plusieurs parcelles sises sur la commune de [LOCALITE 9] ([...]). Par arrêté du 15 février 1995, Monsieur le Préfet de [LOCALITE 10] a déclaré d'utilité publique le projet d’acquisition par la commune de [LOCALITE 11] de terrains et notamment de ceux détenus par la requérante afin d'aménager une zone de loisirs à proximité du cour d’eau [LOCALITE 12]. Par ordonnance du 28 avril 1995, le juge de l’expropriation a ainsi immédiatement exproprié pour cause d’utilité publique les immeubles concernés par ce projet.

Ce projet n’ayant finalement pas été concrètement mis en place, Madame [B-C] à sollicité en 2003 et en 2010 la rétrocession de ses biens. Elle s’est vu opposer par la mairie une décision de rejet au motif que deux nouvelles demandes de déclarations d’utilité publique avait été émises.

Par acte d’huissier signifié le 24 mars 2011 et dans ses dernières écritures, Madame [B-C] à fait assigner la commune de [LOCALITE 13] en rétrocession des immeubles dont elle avait été expropriée et en indemnisation des préjudices en découlant.

Dans ses dernières conclusions, la commune de [LOCALITE 14] conclut au débouté de la requérante en toutes ses demandes.

L'affaire a été fixée en audience publique et les deux parties ont comparu à l’audience du 21 juin 2012.

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant üne juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

Par mémoire distinct transmis le 18 juin 2012, Madame [B-C] à soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article L12-6 alinéa 1 du Code de l’expropriation en ce qu’il offre la faculté d'empêcher la rétrocession des biens objets de l’expropriation par un simple renouvellement de la demande de déclaration d’utilité publique. Elle considère ainsi que ce texte porte atteinte tant à l’article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qu’à l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.

La commune de [LOCALITE 15] n’a pas conclu sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Le Ministère Public, avisé le 20 juin 2012, n’a pas conclu et s’en est remis sur cette question.

MOTIFS

Sur le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par l’article L12-6 alinéa 1 du Code de l’expropriation

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 18 juin 2012 dans un écrit distinct des conclusions de Madame [B-C], et motivé.

Il est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation

L'article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifié par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 dispose :

“La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances :

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité Sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.”

En l'espèce, il est acquis que l’article L12-6 du Code de l’expropriation est La disposition fondant la demande principale de Madame [B-C] et le texte sur lequel la commune défenderesse appuie ses moyens de défense. Ce texte est donc applicable au litige.

L'article L12-6 a fait l’objet d’une décision de non-renvoi au Conseil constitutionnel mais uniquement au regard de la question de l’évaluation des biens objet de l’expropriation au regard des dispositions de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Cet article n’a donc pas été déclaré conforme à la Constitution et n’a pas fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori par le Conseil constitutionnel.

En tout état de cause, compte tenu des éléments de l’espèce, la question soulevée n’est pas dépourvue de caractère sérieux puisqu'elle interroge la possibilité pour la commune d'empêcher de façon quasiment systématique la rétrocession des biens objet de l'expropriation qui porte par nature atteinte au droit de propriété.

Les trois critères précités étant remplis, il y a lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :“Les dispositions de l’article L12-6 alinéa 1 du Code de l’expropriation, en ce qu’elles neutralisent par la seule réquisition d’une nouvelle déclaration d ‘utilité publique l’exercice du droit de rétrocession des immeubles expropriés qui n’ont pas reçu la destination prévue ou qui ont cessé de recevoir cette destination dans le délai de cinq ans, sont-elles entachées d’un défaut d’encadrement légal qui résulte de l’incompétence négative du législateur portant ainsi atteinte au droit de propriété ?”

Sur les autres demandes des parties et les dépens

En application des dispositions de l’article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à Statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés. En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties, et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“Les dispositions de l'article L12-6 alinéa 1 du Code de l'expropriation, en ce qu’elles neutralisent par la seule réquisition d’une nouvelle déclaration d ‘utilité publique l'exercice du droit de rétrocession des immeubles expropriés qui n’ont pas reçu la destination prévue ou qui ont cessé de recevoir cette destination dans le délai de cinq ans, sont-elles entachées d’un défaut d'encadrement légal qui résulte de l’incompétence négative du législateur portant ainsi atteinte au droit de propriété ?”

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit Jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité,

DIT que les parties et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties,

DIT que l'affaire sera rappelée à l’audience du 29 novembre 2012 à 14 heures

RESERVE les dépens,

Ainsi fait le 30 Août 2012

Et le Juge à signé avec le greffier

Le Greffier