Tribunal de grande instance de Marseille

Ordonnance du 3 août 2012, N° RG : 12/0664

03/08/2012

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE

10ème Chambre Cab4

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ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

MAGISTRAT : Madame POCHIC

GREFFIER lors des débats : Mme RANAIVOSON.

Audience de plaidoirie du 30 juillet 2012

Prononcé du 3 AOÛT 2012.

N° RG : 12/0664

Nous Pascale POCHIC, Vice-Président, chargé de la Mise en état de la procédure ci-dessous suivie devant le Tribunal de Grande Instance, assisté de Mme Patricia RANAIVOSON Greffier lors des débats.

PARTIES

DEMANDEURS A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE ET DEFENDEUR A L’INSTANCE

Monsieur [C B]

né le [DateNaissance 1] 1964 à [LOCALITE 2], de nationalité française,

exerçant la profession de patron pêcheur

domicilié et demeurant [adresse 3].

Monsieur [A B]

né le [DateNaissance 4] 1967 à [LOCALITE 5], de nationalité française,

domicilié et demeurant lieudit [LOCALITE 6]

représentés tous deux par Me Olivier KUHN-MASSOT, avocat au barreau de MARSEILLE

DEFENDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE ET DÉFENDERESSE A L’INSTANCE

S.A.S. SOCIETE FINANCIERE ROQUEBILLIERE (SOFIROC)

RCS de Marseille n° 965 803 331

dont le siège social est sis 38 cours Pierre Puget 13006 Marseille, pris en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité.

représentée par Me Michaël BISMUTH de la SELARL CABINET BISMUTH, avocat au barreau de MARSEILLE, postulant et représentée par Me Chantal ASTRUC, avocat plaidant du barreau de Paris.

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En application de l'article 61-1 de la Constitution. lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance. l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

En l'espèce, messieurs [C] et [A B]. héritiers de monsieur [D B] décédé le [DateDécès 7] 2010, ont par exploit du 29 novembre 2010 , saisi le tribunal de grande instance de Marseille sur le fondement des articles 1123 et suivants, 1131 et suivants, 1964 et 1968 et Suivants, 1975 et suivants du code civil. d'une action en annulation de la vente souscrite à titre Viager par leur père suivant acte authentique reçu le 16 novembre 2009 :

Par conclusions distinctes signifiées le 18 juin 2012, complétées par des écritures signifiées le 25 juillet 2012 les demandeurs ont saisi le juge de la mise en état aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

L'examen de cette question a été appelé à l'audience du juge de la mise en état du 5 juillet 2012 et successivement renvoyée à la demande des parties à l'audience du juge de la mise en état du 24 juillet 2012 et renvoyée à l'audience du 30 juillet 2012.

Au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils présentent messieurs [B] exposent que les dispositions de l'article 414-2 du code civil, visées par la société défenderesse à l'appui de la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action en nullité, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que ces dispositions sanctionnent les héritiers lorsqu'une mesure de protection judiciaire de leur ascendant n’a pas été ouverte, en limitant l'ouverture de l’action en nullité des ayants droit et portent donc atteinte aux principes de liberté individuelle , de droit d'accès au juge , d'égalité devant la justice , et au droit de propriété consacrés par les articles 2, 4 5 6 , 12, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

En réplique, et par conclusions signifiées le 23 juillet 2012 complétées par conclusions signifiées le 26 juillet 2012 la société Financière Roquebillière SOFIROC conclut au rejet de la demande de transmission présentée par les consorts [B] en soutenant que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les demandeurs , dix neuf mois après l'introduction de leur action, constitue une manoeuvre dilatoire et se trouve dépourvue de caractère sérieux dès lors que la disposition contestée est compatible avec les droits et liberté garantis par la Constitution et vise à préserver la présomption de capacité Juridique du contractant non protégé, et la sécurité juridique des transaction vis a vis des tiers contractants.

Le société défenderesse a sollicité l'allocation de dommages et intérêts pour procédure dilatoire et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La présente affaire a été communiquée au ministère public le 22 juin 2012, qui a fait connaître son avis le 25 juin 2012 en concluant à la recevabilité de la question et en requérant sa transmission à la Cour de cassation au motif que la disposition législative contestée est applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution , et n'est pas dépourvue de caractère sérieux .

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le moyen tiré de l'atteinte porté aux droits et libertés garantis par la Constitution par les dispositions de l'article 414-2 du code civil qui prévoient, s'agissant de l’action en nullité d'un acte pour insanité d'esprit de son auteur :

" De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé;

Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :

1° Si l'acte porte en lui même la preuve d'un trouble mental

2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;

3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une mesure de curatelle ou de tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future;

L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304 du code Civil ”

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 18 juin 2012 dans un écrit distinct des conclusions de messieurs [B], et motivé. || est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation:

L'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation sites conditions suivantes sont remplies:

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, où constitue le fondement des poursuites :

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3” La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

En l'espèce, la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative aux conditions de l'action en nullité du contrat pour insanité d'esprit, réservée aux héritiers du contractant , et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel. En outre, elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que le texte énonce les cas de nullité de l'acte pour insanité d'esprit réservés aux ayants droit de son auteur : et que le grief d'inconstitutionnalité est formulé de manière précise .

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante: l'article 414-2 du code civil porte-t-il atteinte au respect de la propriété, à la liberté individuelle, à l'égalité devant la loi et à l'accès à la justice, droits et libertés garantis par les articles 2, 4, 5, 6, 12, 16 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?

Sur les demandes présentées par la société défenderesse :

Dès lors qu'il est fait droit à la demande de transmission à la Cour de cassation de cette question de constitutionnalité , la société défenderesse sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure dilatoire et de sa demande de frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS:

Statuant par ordonnance mise à disposition au greffe de la juridiction, rendue contradictoirement et insusceptible de recours,

ORDONNONS la transmission à la Cour de cassation de la question suivante: l'article 414-2 du code civil porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2, 4, 5,6, 12, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?

DISONS que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties ;

DISONS que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

ORDONNONS le sursis à statuer de l'affaire principale n° RG 11/940 dans l'attente de la décision définitive statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité et DISONS que l'instance sera reprise à la diligence de la juridiction au prononcé de celle-ci ,

DEBOUTONS la société Financière Roquebillière SOFIROC de ses demandes de dommages et intérêts et de frais irrépétibles ,

RESERVONS les dépens et frais irrépétibles de l'incident .

AINSI ORDONNE ET PRONONCÉ PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA DIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE , LE 3 AOÛT 2012.

SIGNE PAR Mme Pascale POCHIC, VICE-PRESIDENT ET PAR Mme ROUSSET, Greffier, PRESENT LORS DE LA MISE A DISPOSITION DE LA DECISION.

LE GREFFIER,

LE JUGE DE LA MISE EN ETAT