Tribunal de grande instance de Paris

Jugement du 26 juillet 2012, N° RG : 12/02442

26/07/2012

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

1ère Chambre

JUGEMENT RENDU LE 26 JUILLET 2012

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

N° R.G. : 12/02442

AFFAIRE

S.A. LA SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR)

C/

LA SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE ET SONORE (COPIE FRANCE) venant aux droits de la Société pour la Rémunération de la Copie Privée Sonore (SORECOP), société civile

 

DEMANDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITE

DEMANDERESSE A L’INSTANCE PRINCIPALE

LA SOCIETE FRANCAISE RADIOTELEPHONE (SFR), S.A.

42 avenue de Friedland

75008 PARIS

représentée par Me Pierre-Olivier CHARTIER, avocat constitué, membre de l'Association CARRERAS, BARSIKIAN, ROBERTSON & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R139 et par Me Romaric LAZERGES, avocat plaidant, membre de l’association ALLEN& OVERY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J 022

DEFENDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITE

DEFENDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITE

LA SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE ET SONORE (COPIE FRANCE)

VENANT AUX DROITS DE LA SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE(SORECOP), SOCIÉTÉ CIVILE

11 bis rue Ballu

75009 PARIS

représentée par Me Patrick QUIBEL, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 754 et pour avocat plaidant Me Olivier CHATEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R039

En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juin 2012 en audience publique devant :

Nicole GIRERD, Première Vice-Présidente

Benoît CHAMOUARD, Juge

magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :

Nicole GIRERD, Première Vice-Présidente

Gwenaël COUGARD, Vice-présidente

Benoît CHAMOUARD, Juge

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Geneviève COHENDY, Greffier

JUGEMENT

prononcé en audience publique par décision contradictoire non susceptible de recours et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et MOTIVE.

En l’espèce, la Société Française de Radiotéléphonie (SFR) SA a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nanterre la Société pour la Rémunération de la Copie Privée Audiovisuelle et Sonore dite COPIE FRANCE, par acte d’huissier en date du 1er juin 2011, aux fins de voir dire illicites les factures émises et à émettre par celle-ci sur le fondement de la Décision n°11 de la commission prévue à l’article L.311-5 du Code de la propriété intellectuelle relative à la rémunération pour copie privée du 17 décembre 2008 au motif que cette dernière a été annulée par décision du Conseil d’Etat du 17 juin 2011;

Par conclusions déposées et signifiées le 5 mars 2012, dont les termes ont été réitérés par dernières conclusions signifiées le 1er juin 2012, la société SFR prétend que l’article 6 de la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que ces dispositions :

-d’une part, font revivre les règles issues de la Décision n°1 1 à compter de l’entrée en vigueur de la loi, alors que le Conseil d’Etat avait annulé celle-ci et précisé que cette annulation prendrait effet à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de la notification de la décision du Conseil d’Etat au ministre de la culture et de la communication, soit le 22 décembre 2011,

-d’autre part, valident rétroactivement les rémunérations perçues ou réclamées sur le fondement de la Décision n°11, y compris celles contestées dans le cadre de contentieux introduits avant l’intervention de la décision du Conseil d’Etat du 17 juin 2011, notamment celles dont la société SFR invoque l’absence de cause dans le cadre de l’action introduite devant ce tribunal par assignation du 1er juin 2011, alors que le Conseil d’Etat avait réservé le cas des actions en cours.

Elle estime qu’il y a lieu, en conséquence, de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante:

“les dispositions de l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011 portent-elles atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au droit à un recours effectif, qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'au droit de propriété et à la sécurité juridique des sociétés assujetties:

(i) s'agissant de l’article 6.1 en ce qu'elles font revivre les règles et les barèmes prévus par la Déclaration n°11 dont le Conseil d'Etat avait prononcé l'annulation par décision en date du 17 juin 2011, et maintiennent ces règles et barèmes en vigueur après l'expiration de la période de six mois à l'issue de laquelle cette annulation devait, en vertu de la décision du Conseil d'Etat, prendre effet? et/ou

(ii)s'agissant de l’article G.IT, en ce qu'elles valident les rémunérations perçues ou réclamées en application de la Décision n°11 au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, et ayant fait l’objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011, alors même que la Décision n°11 a été annulée par le Conseil d’État, et que, tout en modulant dans le temps les effets de cette annulation, le Conseil d'Etat avait expressément réservé les droits des personnes ayant introduit, avant le 17 juin 2011, des actions contentieuses contre des actes pris sur le fondement des dispositions annulées ?”.

Par conclusions, déposées et signifiées le 1er juin 2012, la société COPIE FRANCE, soulevant une exception de litispendance et de connexité, demande au tribunal de renvoyer l’affaire au fond devant le tribunal de grande instance de Paris, saisi par la société SFR également le 1er juin 2011, et, à titre subsidiaire, de constater qu’une partie des dispositions législatives contestées n’est pas applicable au litige et que la question prioritaire de constitutionnalité suggérée par la société SFR est dépourvue de caractère sérieux; en conséquence, dire n’y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation.

La présente affaire, relative à la seule question prioritaire de constitutionnalité, a été communiquée au ministère public le 5 mars 2012, lequel a indiqué s’en rapporter par visa en date du 16 mars 2012. Elle a été renvoyée devant la juridiction de jugement le 21 mai 2012 pour plaidoiries à l’audience du 6 juin 2012.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution par l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011:

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le $ mars 2012 dans un écrit distinct des conclusions au fond de la société SFR et motivé. Il est donc recevable.

La question prioritaire de constitutionnalité constituant un litige détaché du fond, faisant l’objet d’un traitement autonome et spécifique, sur lequel il doit être statué sans délai, l'exception de litispendance ou de connexité soulevée par la société COPIE FRANCE dans le cadre du litige au fond opposant les parties, soumise au juge de la mise en état, ne peut être opposée en réplique et n’est pas de nature à remettre en cause la compétence du tribunal de grande instance de Nanterre, comme le fait valoir la société SFR.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

L'article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation st les conditions suivantes sont remplies:

1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites;

2° elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances;

3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle valide les rémunérations perçues ou réclamées en application de la Décision n°11 du 17 décembre 2008 de la Commission de l’article L.311-5 du Code de la propriété intellectuelle au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, et ayant fait l’objet d’une action contentieuse avant le 18 juin 2011, d’une part et, d’autre part, maintient en vigueur les règles et barèmes prévus par la décision n°11 jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle décision de la Commission Copie Privée et au plus tard jusqu’au dernier jour du douzième mois suivant la promulgation de la loi du 20 décembre 2011 alors que l’objet de l’assignation délivrée par la société SFR le 1er juin 2011 à la société COPIE FRANCE vise à “constater l'illicéité des factures émises et à émettre par Copie France sur le fondement de la Décision n°11”, c’est à dire l’absence de cause de toute créance de rémunération qui pourrait être alléguée par la défenderesse sur le fondement de la Décision n°11, annulée par arrêt du Conseil d’Etat en date du 17 juin 2011.

Contrairement à ce qu’affirme la société COPIE FRANCE, pour prétendre que les dispositions de l’article 6. I de la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 ne sont pas applicables au litige, l’objet de celui-ci ne se limite pas aux rémunérations pour copie privée réclamées au titre d’une période antérieure au 20 décembre 2011.

Par ailleurs, le fait que la question de la conformité à la Constitution du I de l’article 6 de la loi du 20 décembre 2011 a été renvoyée au Conseil constitutionnel par décision du Conseil d’Etat en date du 16 mai 2012 ne constitue pas un obstacle à la transmission à la Cour de cassation de la question soulevée par la société SFR dans son intégralité, portant sur les dispositions I et II de la loi du 20 décembre 2011, qui n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

En outre, la question n’est pas dépourvue de sérieux, en ce qu’elle porte sur une loi de validation rétroactive remettant en cause le dispositif de la décision du Conseil d’Etat du 17 juin 2011 ayant force de chose jugée.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SFR, précitée.

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires où conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés. Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS:

Le tribunal statuant par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante:

“ Les dispositions de l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011 portent-elles atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au droit à un recours effectif, qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'au droit de propriété et à la sécurité juridique des sociétés assujetties:

(i) s'agissant de l’article 6, II, en ce qu'elles font revivre les règles et les barèmes prévus par la Déclaration n°11 dont le Conseil d'Etat avait prononcé l'annulation par décision en date du 17 juin 2011, et maintiennent ces règles et barèmes en vigueur après l'expiration de la période de six mois à l'issue de laquelle cette annulation devait, en vertu de la décision du Conseil d'Etat, prendre effet? et/ou

(ii)s'agissant de l'article 6, IL en ce qu'elles valident les rémunérations perçues ou réclamées en application de la Décision n°11 au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, et ayant fait l'objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011, alors même que la Décision n°11 a été annulée par le Conseil d'Etat, et que, tout en modulant dans le temps les effets de cette annulation, le Conseil d'Etat avait expressément réservé les droits des personnes ayant introduit, avant le 17 juin 2011, des actions contentieuses contre des actes pris sur le fondement des dispositions annulées ?”.

Dit que le présent Jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité;

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision; Sursoit à statuer sur les demandes des parties;

Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 14 janvier 2013 à 14h si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel ou à l’audience de mise en état du 29 octobre 2012 à 14 h dans le cas contraire;

Réserve les dépens.

signé par Nicole GIRERD, Première Vice-Présidente et par Geneviève COHENDY, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER

Geneviève COHENDY

LE PRESIDENT

Nicole GIRERD