Cour d'Appel de Toulouse

Arrêt du 10 juillet 2012, N° RG 12/02988

10/07/2012

Renvoi

10/07/2012

ARRÊT N° 2012/301

N'RG: 12/02988

Ph.D/MM

Décision déférée du 28 Février 2012 - Tribunal de Commerce de TOULOUSE - 2011FO3297

SARL DATA CONSULTING

C/

[C D]

[A B]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX JUILLET DEUX MILLE DOUZE

***

DEMANDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE :

SARL DATA CONSULTING Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

[adresse 1], [LOCALITE 2]

Représenté par: Me Franck MALET (avocat au barreau de TOULOUSE)

Assisté par Me Eric MARTY-ETCHEVERRY (avocat au barreau de TOULOUSE)

DEFENDEURS :

Monsieur [C D] Pris en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la SARL DATA CONSULTING, suivant jugement du Tribunal de Commerce de Toulouse en date du 28.02.2012

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

assisté par Me Frédéric BENOIT-PALAYS] (avocat au barreau de TOULOUSE)

Monsieur [A B] pris en sa qualité d'administrateur de la SARL DATA CONSULTING, avec mission d'assistance, suivant jugement du Tribunal de commerce de Toulouse en date du 28.02.2012

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

Assisté par Me Frédéric BENOÏÎT-PALAYSI (avocat au barreau de TOULOUSE)

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2012 en audience publique, devant la Cour composée de :

P. LEGRAS, président

V. SALMERON, conseiller

P. DELMOTTE, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M. MARGUERIT

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiqué et qui a donné son avis le 28/06/2012;

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- Signé par P. LEGRAS, président, et par M. MARGUERIT, greffier de chambre.

Exposé du litige :

Attendu que par déclaration du 9 mars 2012, la société Data Consulting (la Société) a relevé appel du jugement prononcé le 28 février 2012 par le tribunal de commerce de Toulouse lequel, sur saisine d'office, a ouvert son redressement judiciaire et désigné M. [D] en qualité de mandataire judiciaire et M. [B] en qualité d'administrateur judiciaire

Attendu que par conclusions du 31 mai 2012, la société a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants :

" la saisine d'office par le tribunal de commerce, en application de l'article L.631-5 du code de commerce est-elle conforme à la Constitution alors même qu'en vertu des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif, l'on ne saurait, à la fois, être juge et partie” ?

Attendu que l'article L.631-5 dispose à cet égard que “lorsqu'il n'ya pas de procédure de conciliation en cours, le tribunal peut également se saisir d'office ou être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire”

Attendu que la société a demandé au conseiller de la mise en état de transmettre cette question à la Cour de cassation et de surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation.

Attendu que le conseiller de la mise en état a renvoyé par simple mention au dossier l'examen de cette question à la formation collégiale de la Chambre par application de l'article 126-3 du code de procédure civile .

Qu'avis du dépôt de la question et de la date d'audience a été transmis au mandataire judiciaire, à l'administrateur judiciaire et à M. Le Procureur Général près la cour de céans.

Attendu qu'invoquant au soutien de la question posée l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l’article 1er du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, desquels le Conseil constitutionnel a tiré la reconnaissance de droits fondamentaux que constituent le respect des droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, la société expose que la faculté offerte au tribunal de commerce de se saisir d'office en Vue de l'ouverture d'un redressement judiciaire a pour effet de placer. celui-ci dans une posture de demandeur, en violation même des droits de la défense dès lors qu'on ne peut être, à la fois, juge et partie, étant admis au Surplus que nul ne plaide par procureur , qu'en outre, le droit à un recours juridictionnel effectif implique d'être jugé par un juge indépendant, donc tiers au litige.

Qu'on ne pourrait opposer, selon elle, le moyen tiré de l'ordre public économique alors même qu'il appartient au seul Conseil Constitutionnel de dire si la restriction apportée par la loi à un droit de valeur constitutionnelle peut être considérée comme justifiée et proportionnée ; que s'agissant de l'atteinte portée au droit à Un recours juridictionnel effectif, le Conseil Constitutionnel doit vérifier, au moyen d'un contrôle de proportionnalité, si une telle restriction répond à une exigence d'intérêt général.

Qu'en l'espèce, la société soutient que la saisine d'office du tribunal de commerce n'est pas justifiée par l'ordre public économique qui s'attache aux procédures collectives dès lors que le seul défenseur de cet ordre public est le ministère public qui se voit justement reconnaître la faculté de saisir le tribunal ; par ailleurs, le tribunal n’a pas qualité pour agir dans un intérêt d'ordre privé qui appartient au seul créancier.

Attendu qu'aux termes de son avis du 28 juin 2012, régulièrement transmis aux parties, le Ministère Public considère que la question posée, qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux, doit être transmise à la Cour de cassation.

Attendu que par conclusions du 3 juillet 2012, le mandataire et l'administrateur judiciaire demandent à la cour

- de constater que l’article L631-5 du code de commerce est conforme aux normes constitutionnelles et que, par suite, la disposition législative contestée n'est pas applicable au litige

- de refuser en conséquence de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

- de condamner la société à leur verser la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile .

Qu'ils soutiennent que le droit pour un tribunal , qu'il s'agisse du tribunal de grande instance où du tribunal de commerce, d'ouvrir une procédure collective, sur saisine d'office, ressort au caractère d'ordre public économique de la législation des procédures collectives, la saisine étant indifférente au sort de l'instance.

Que tout en observant que le mandat donné aux juges consulaires, comme: les articles L.722-6 à L.722-16 et L.722 -1 à L./24-6 du code de commerce ont été déclarés conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012. ils observent que le pouvoir donné au Président du tribunal de commerce de provoquer la saisine d'office du tribunal est légitime et est commandé par la nature d'ordre public du droit des procédures collectives, qui dépasse les intérêts des créanciers et du débiteur.

Qu'ils soulignent encore que l'impartialité du tribunal et les droits de la défense sont pleinement garantis dans le cadre de la saisine d'office par les modalités procédurales imposées par les articles R 631-3 du code de commerce, lesquelles ont été respectées en l'espèce, tandis que M. [E], dirigeant de la société n’a pas soulevé, en première instance, le caractère non constitutionnel de la procédure engagée devant le tribunal de commerce, de sorte que la question posée est dépourvue de tout caractère sérieux.

Qu'ils rappellent enfin le contexte factuel dans lequel est intervenu la saisine d'office pour contester le caractère sérieux de la question posée.

Motifs :

Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité peut être posée à tous les stades de la procédure, y compris et pour la première fois en appel ou devant la Cour de cassation ; qu'il importe peu, dès lors, que le dirigeant de la société n'ait pas soulevé la question devant les premiers juges.

Attendu que la question est posée par écrit, dans un acte distinct des conclusions au fond et est motivée :

Attendu que la question intéresse une disposition législative votée par le Parlement et promulguée par le Président de la République( soit l'article 89 de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises modifiant l’article L.631-5 du code de commerce).

Qu'elle se fonde sur une atteinte à des droits fondamentaux et des garanties essentielles, soit le droit à un recours effectif au juge et les droits de la défense, principes dégagés par le Conseil constitutionnel et tirés de l'article 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et de l'article 1er du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Attendu que la disposition contestée est applicable au litige puisque, faisant application de l’article L.631-5 du code de commerce, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert, sur saisine d'office, le redressement judiciaire de la société.

Attendu que la question posée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel; qu'à cet égard, la décision du Conseil constitutionnel n° 2012 241 du 4 mai 2072, citée par les intimés, intéresse une question distincte de celle posée dans la présente instance.

Attendu que la question posée n’a pas précédemment été soumise à la Cour de cassation et ne fait pas partie de celles actuellement soumises à cette Cour.

Attendu que la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel :

Vu les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile :

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Data Consulting dans les termes suivants :

" la saisine d'office par le tribunal de commerce, en application de l'article L.63 1-5 du code de commerce est-elle conforme à la Constitution alors même qu'en vertu des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif, l'on ne saurait, à la fois, être juge et partie”:

Dit que la présente décision sera transmise à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires et conclusions des parties présentées, par un écrit distinct et motivé, relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité :

Sursoit à statuer dans le cadre de l'instance au fond jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi du Conseil constitutionnel:

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par le greffe, par tout moyen, de la présente décision ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de MM. [D] et [B], ès qualités.

Le Greffier, Le Président,

Martine Marguerit Philippe Legras