Tribunal de grande instance de Lyon

Jugement du 27 avril 2012, RG n° : 11/079

27/04/2012

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LYON

Expropriation

DU 27 AVRIL 2012

DOSSIER :

LA COMMUNAUTE URBAINE DE LYON C/INDIVISION [B]

BK 32

R.G. n° : 11/079

JUGEMENT

En audience publique tenue au Tribunal de Grande Instance de LYON le 27 AVRIL 2012, Pierre LAROQUE, Juge de l’Expropriation pour le Département du RHONE, assisté de Joëlle BREUIL, Greffier, a rendu le jugement suivant :

ENTRE :

LA COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, dont le siège social est sis adresse 1] - [LOCALITE 2], représentée par son Président en exercice, Monsieur [G H], dûment habilité à cet effet par délibération du Conseil de Communauté,

Représentée par Maître Anne-Claire LOUIS, Avocat au barreau de Lyon, toque 658

ET :

Monsieur [E B]

[LOCALITE 3]

[LOCALITE 4]

Monsieur [C B]

[adresse 5]

[adresse 6]

[LOCALITE 7]

Madame [D B] épouse [M]

[adresse 8]

[LOCALITE 9]

Madame [F B] épouse [L]

[adresse 10]

[LOCALITE 11]

Représentés par Maître Etienne TETE, Avocat au barreau de Lyon Toque 2015

En présence de Monsieur le Commissaire du Gouvernement, représenté par Madame [I J], inspectrice

FAITS ET PROCEDURE :

Le projet dit “[Grand Stade accès Sud]” constitue un projet d’infrastructure routière destinée à assurer une liaison directe par transports en commun , en site propre, entre le parc de stationnement d'[LOCALITE 12] et le futur stade à réaliser sur le site dit du [LOCALITE 13] à [LOCALITE 14].

I] consiste aussi à réaliser une continuité routière, hors réseaux de voies expresses, avec les zones urbaines situées plus à l’Ouest.

Par un arrêté préfectoral n°[...] du 20 mai 2011, il a été prescrit, pour ce projet, une enquête préalable à la déclaration d’utilité publique emportant mise en compatibilité du PLU de la communauté urbaine de Lyon ainsi qu’une enquête parcellaire.

Ces enquêtes se sont déroulées du 14 juin au 18 juillet 2011 inclus.

L’emprise à détacher de la parcelle cadastrée [Cadastre 15], située sur la commune de [LOCALITE 16] ([LOCALITE 17]) et d’une contenance de 4 380 m2, est incluse dans l'assiette des ouvrages projetés.

La communauté urbaine de Lyon n’a pu se rapprocher amiablement de Monsieur [E B], Monsieur [C B], Madame [D B] épouse [M], Madame [F B] épouse [L], qui en sont les propriétaires indivis.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 novembre 2011, à laquelle était jointe la copie en double exemplaire de son mémoire et des pièces y afférentes, notifiés aux consorts [B] les 30 septembre, 3 et 7 octobre précédents, la communauté urbaine de Lyon a saisi le juge de l’expropriation de ce siège.

Par un arrêté préfectoral n°2012-757 du 23 janvier 2012, les acquisitions de terrains et les travaux à entreprendre par la communauté urbaine de Lyon pour la réalisation du projet de l’accès Sud au Grand Stade à [LOCALITE 18] ont été déclarés d'utilité publique.

Aux termes de ses mémoires introductif et en réplique, elle demande à la juridiction :

- À titre principal, de fixer l’indemnité due à ces derniers à la somme globale de 5 256 €, dont 4 380 € à titre d’indemnité principale et 876 € à titre d’indemnité de remploi,

- À titre subsidiaire, de fixer alternativement le montant des indemnités, comme suit :

1. Dans l'hypothèse de la légalité du PLU, en fonction du zonage N de la parcelle expropriée et de son usage effectif sur une base de 1 €/m2, soit 5 256 €, se décomposant comme suit :

* 4 380 € à titre d’indemnité principale,

* 876 € à titre d’indemnité de remploi,

2. Dans l’hypothèse de l’illégalité du PLU, en fonction du zonage de la parcelle expropriée tel qu’il ressort du document d’urbanisme antérieur au PLU illégal, à savoir en Zone naturelle ou agricole, et sur une base de 1 €/m2, soit 5 256 €, se décomposant comme suit :

* 4 380 € à titre d’indemnité principale,

* 876 € à titre d’indemnité de remploi,

et d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Elle fait valoir qu’en matière d’expropriation et en cas de contestation sérieuse ne relevant pas de sa compétence, le juge ne peut surseoir à statuer que dans des hypothèses limitativement énumérées et relatives à l’allocation d’indemnités de licenciement ou d’offre d’un local de remplacement et que les dispositions de l’article L 13-8 du code de l’expropriation lui font obligation, dans les autres cas, de fixer définitivement l’indemnité de façon hypothétique ou alternative selon les hypothèses envisageables.

Elle en déduit qu’il ne peut donc être sursis à statuer en l’espèce et que l’examen de la question préjudicielle relative à la légalité du PLU ne peut être renvoyé au juge administratif,

Elle indique qu’en tout état de cause, la difficulté tirée de l’illégalité du PLU n'apparaît pas sérieuse puisque le règlement de la zone N, dans laquelle l’emprise à détacher de la parcelle expropriée est située, n’interdit pas la réalisation de la voirie objet du projet, à savoir Le site propre de transport en commun ainsi que le cheminement piéton et cycliste.

Elle précise que la mise en compatibilité du PLU.ne va pas, non plus, modifier le zonage N actuel de la parcelle expropriée.

Pour le cas où la juridiction estimerait que la contestation soulevée par les consorts [B] est sérieuse, elle précise que la branche de l’alternative correspondant à l'hypothèse de l’illégalité du PLU amènerait à faire application du document d'urbanisme antérieur et qu’il ressort aussi de celui-ci que la parcelle expropriée est située en zone naturelle ou agricole.

Elle conclut aussi, pour les mêmes raisons, au caractère inopérant de la question préjudicielle soulevée par les consorts [B] en ce qui concerne l’illégalité de la déclaration d’intérêt général en rappelant d’une part, que celle-ci ne conditionne aucunement la détermination du montant des indemnités dues à ces derniers et d’autre part, que plus largement, le cours de la procédure en fixation des indemnités par le juge judiciaire n’est pas conditionné par les éventuels recours formés devant la juridiction administrative contre la déclaration d'utilité publique ainsi que l’arrêté de cessibilité et qu’en cas d'annulation de ceux-ci, il est loisible aux expropriés de faire constater par le juge de l’expropriation l’absence de base de légale de l’ordonnance d’expropriation pour en tirer toutes conséquences s’agissant de la fixation des indemnités.

Aux termes de leurs mémoires successifs des 8 novembre 2011, 17 janvier et 18 mars 2012, les consorts [B] demandent à la juridiction de :

- Surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal administratif de Lyon se soit prononcé sur la légalité du plan local d’urbanisme de l’agglomération, établi par le Grand Lyon ainsi que sur la légalité de la déclaration d’intérêt général du stade Olympique Lyonnais,

- Subsidiairement, fixer les montants d’indemnités suivants :

* 1 971 000 € à titre d’indemnité principale,

* 492 750 € à titre d’indemnité de remploi,

- Condamner la communauté urbaine de Lyon à lui payer la somme de 1 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de la première question préjudicielle posée, ils font valoir, après avoir | rappelé le principe de séparation des juridictions administrative et judiciaire, que | le classement des terrains d’assiette de l’accès Sud du grand stade en zone N du | PLU est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de son incompatibilité avec la vocation de ceux-ci à recevoir des constructions; qu’il n’appartient pas à la juridiction judiciaire de se prononcer sur celle-ci, à charge | pour elle de renvoyer la question de la légalité de ce classement, dont dépend la | solution du litige, devant la juridiction administrative.

Ils précisent que la déclaration d’illégalité susceptible d’être prononcée, dans le cas où cette question préjudicielle serait posée, n’aurait pas pour effet de faire revivre l’ancien PLU qui pourrait comporter la même illégalité mais qu’elle leur permettrait, par l’application des mesures d’injonction prévues par le code de justice administrative, d’obtenir le classement de leur parcelle dans la bonne qualification.

Au soutien de la seconde question préjudicielle posée, ils se prévalent de l’illégalité de l’arrêté du 23 mai 2011 pris par le ministre des sports pour inscrire le Grand Stade de l’Olympique lyonnais sur la liste des enceintes sportives déclarées d’intérêt général en ce qu’il fait référence, dans les visas qu’il comporte, à l’avis de onze communes, alors que seulement ceux des communes riveraines de [LOCALITE 19], [LOCALITE 20], [LOCALITE 21] et [LOCALITE 22] étaient requis par les dispositions légales applicables en la matière qui n’ont donc pas été respectées selon eux; que par ailleurs, la SCI du Montout, qui n’est pas détentrice des droits de participer à la ligue 1 de football, ne peut être bénéficiaire de ladite déclaration d'intérêt général, dont l’arrêté comporte selon eux de multiples imprécisions, inexactitudes et omissions relatives à la définition des équipements connexes et à la réalisation de la ligne de tramway T2 jusqu’à [LOCALITE 23], qui cachent la véritable intention des administrations et de la société OL Groupe.

Ils ajoutent qu’un autre motif d’illégalité tient au non respect des règles européennes régissant les aides d’Etat et qui se traduit par le prix préférentiel des terrains qui seront cédés à la SCI du [LOCALITE 24].

Ils estiment enfin que la légalité de cette déclaration d’intérêt général conditionne le financement de la réalisation de l’accès Sud par la communauté urbaine et donc la solution du litige.

Après avoir fait état de la position dominante du commissaire du Gouvernement dans la procédure d’expropriation et du déséquilibre induit par celle-ci au détriment des expropriés, ils concluent au rejet de ses conclusions en ce que d’une part, l'appréciation du bien fondé des questions préjudicielles qu’ils soulèvent ne relève pas de sa compétence et d’autre part, celles-ci sont empreintes de partialité dans le choix des termes de comparaison cités.

Aux termes de ses conclusions du16 mars 2012, le commissaire du Gouvernement propose de fixer le montant des indemnités dues aux consorts [B] à la somme globale de 5 256 €, toutes indemnités réunies.

Il conclut au rejet de la demande de sursis à statuer formée par ces derniers au motif que l’article L13-8 du code de l’expropriation oblige le juge à statuer nonobstant l’existence d’une contestation sérieuse.

Il ajoute que l'illégalité éventuelle de la déclaration d’intérêt général ne conditionne pas la fixation de l’indemnité d’expropriation et qu’une déclaration d’illégalité du PLU actuellement en vigueur aurait pour effet, en application de l’article L 121-8 du code de l’urbanisme, de remettre en vigueur le document d'urbanisme précédent, à savoir le POS de 1993 dans lequel l'emprise à détacher de la parcelle cadastrée [Cadastre 25] se situait en zone ND, dont le règlement est comparable à celui de la zone N1 du PLU actuellement en vigueur.

Par ordonnance du 23 novembre 2011, la date du transport sur les lieux et de l’audience prévue à l’issue de celui-ci a été fixée au 10 janvier 2012.

A la demande des parties et du commissaire du Gouvernement, il a été convenu de reporter la date de l’audience au 17 avril 2012 afin de permettre à chacun d’entre eux de compléter ses écritures initiales.

Par un écrit distinct et motivé, du 27 mars 2012, le conseil des expropriés a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité aux termes de laquelle il est soutenu que l’article L 13-8 du code de l’expropriation porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, à savoir qu’il serait contraire aux articles 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dans la mesure où il interdit à la juridiction de l’expropriation de renvoyer à l'examen du juge administratif les questions préjudicielles résultant des exceptions d’illégalité soulevées à l’encontre des actes administratifs dont l’application conditionne la solution du litige et l’oblige à fixer les indemnités de façon alternative selon les hypothèses de légalité ou d’illégalité de ces actes sans qu’in fine, une des deux branches de l’alternative ainsi posée ne puisse être retenue en fonction d’une décision du juge administratif, qui ne peut plus être saisi quand les délais de recours pour excès de pouvoir sont expirés.

Aux termes d’un mémoire en réplique n°1, ils ajoutent que l’article L13-8 du code de l’expropriation, dont la constitutionnalité est contestée, est bien applicable au litige puisqu'il est invoqué par la communauté urbaine elle-même; que le caractère non rétroactif de la procédure d’abrogation du PLU ne permettrait de remédier ni à l’illégalité éventuelle du zonage de la parcelle expropriée ni aux conséquences de celle-ci en ce qui concerne la fixation de l’indemnité d’expropriation, qu'il en de même de l’absence d’incidence d’une éventuelle exception d’illégalité du PLU, soulevée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir à l'encontre d’une décision de refus de permis de construire, alors que les expropriés ne pourraient plus avoir la qualité de pétitionnaire à défaut d’être restés propriétaires et qu’il n’est nullement démontré comment un tel recours pourrait conditionner la détermination du montant de l’indemnité d’expropriation; que par ailleurs, la déclaration d’intérêt général est bien applicable à la desserte du Grand Stade et que leur qualité a en contester la légalité se déduit de l’irrecevabilité opposée par la Foncière du [LOCALITE 26] et le Ministre des Sports dans le cadre du contentieux initié par certains contribuables.

Ils indiquent enfin que l’exigence d’une juste et préalable indemnité, dès le stade de la dépossession, a été affirmée par les récentes décisions du Conseil constitutionnel relatives à l’inconstitutionnalité des articles L15-1 et L15-2 du code de l’expropriation et qu’elle est incompatible avec les scénarios juridiques complexes proposés par la Communauté urbaine pour justifier de la pérennité d’un recours effectif malgré l’application de l’article L13-8 du code de l’expropriation.

Par un mémoire distinct du 12 avril 2012, la communauté urbaine de Lyon demande à ce que la question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts [B] ne soit pas transmise à la Cour de cassation aux motifs que l’article L13-8 du code de l’expropriation n’est pas applicable au litige en l’absence de contestation sérieuse résultant des questions préjudicielles tirées de l’illégalité du PLU et de la déclaration d’intérêt général, puisque la première illégalité invoquée aboutirait à l’application du précédent document d'urbanisme dans lequel la parcelle expropriée fait l’objet du même zonage et que la seconde se rattache à une législation totalement indépendante du droit de l’expropriation, sans conditionner aucunement la solution du litige; que par ailleurs, cette question prioritaire est dépourvue de caractère sérieux dès lors que l’article L13-8 susvisé ne porte pas atteinte au droit au recours effectif ni au respect de la propriété privée dans la mesure où il ne limite pas les possibilités qu’ont les administrés de contester un document d'urbanisme par le biais d’un recours en annulation, d’une exception d’illégalité à l’occasion d’un recours contre le refus d’une demande d'autorisation d’urbanisme, ou d’une demande d’abrogation d’un acte réglementaire manifestement illégal et d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision qui la refuserait.

L'affaire a été communiquée au Ministère Public le 4 avril 2012, afin que celui-ci fasse connaître son avis.

Par un avis du même jour, celui-ci a conclu à ce que ladite question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas transmise au motif qu’elle apparaît dépourvue de caractère sérieux dans la mesure où d’une part, l’article £L13-8 du code de l’expropriation ne contrevient pas au droit au recours effectif dès lors que l’ensemble des actes administratifs prévus par la procédure d’expropriation ainsi que l’ordonnance d’expropriation sont susceptibles de recours et d’autre part, il ne contrevient pas non plus aux dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 puisqu'il s’insère dans le dispositif plus global du code de l’expropriation, notamment en ce qui concerne l’existence d’un intérêt général et proportionné à l’objectif poursuivi pour justifier l’atteinte au droit de propriété, ainsi que le principe d’une juste et préalable indemnité.

Lors de cette dernière audience, chacune des parties ainsi que le commissaire du Gouvernement ont été entendus en leurs explications.

DISCUSSION :

1/ Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution :

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 27 mars 2012 dans un écrit distinct des conclusions des consorts [B] et motivé,

Il est donc recevable.

2/ Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de

Cassation :

L'article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 dispose que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation et qu’il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances,

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, le moyen tiré de l’existence d’une erreur manifeste d'appréciation relative au classement de l’emprise à détacher de la parcelle expropriée en zone N du PLU et partant, de l’illégalité du PLU, ne peut être éludé au motif qu’il ne serait pas sérieux au sens de l’article L13-8 du code de l’expropriation alors que l'emprise à détacher de la parcelle expropriée se situe en limite des zones N et UE1 du PLU, que l’appréciation d’une telle erreur manifeste relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative et que le moyen tiré de la compatibilité du projet de réalisation de la voirie de l’accès Sud du stade avec les dispositions réglementaires de la zone N est inopérant par rapport à l’objet du litige qui consiste à fixer la valeur de l’emprise à détacher de la parcelle expropriée en fonction des zonages susceptibles de lui être appliqués.

Il en résulte que l’article L13-8 du code de l’expropriation est bien applicable au litige ou à la procédure.

Cette disposition n’a pas non plus été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne l’appréciation de la troisième condition susvisée, il sera rappelé que la question posée doit faire l’objet d’une transmission à la Cour de cassation quand elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux et qu’il relève des pouvoirs du Juge du fond d’écarter la transmission des questions manifestement peu sérieuses, fantaisistes ou dilatoires.

En l'espèce, l’article L13-8 du code de l’expropriation est dérogatoire au droit commun en ce qu’il ne permet pas au juge de l’expropriation de renvoyer au juge administratif l'examen des questions préjudicielles relevant de la compétence exclusive de ce dernier et relative à l’illégalité des documents d’urbanisme dont l’application conditionne l’issue du litige, à savoir plus particulièrement la fixation de l’indemnité d’expropriation.

Il est ainsi obligé de statuer en fixant autant d’indemnités alternatives qu’il y a d’hypothèses envisageables et de renvoyer les parties à se pourvoir devant la juridiction compétente pour qu’il soit statué sur le fond du litige mais sans que ces dernières ne puissent le faire de façon effective devant la juridiction administrative lorsque les délais de recours sont expirés, le principe jurisprudentiel établi (CE 9 mars 1983, Sarl “Garage de Verdun”) étant par ailleurs que le renvoi des parties à se pourvoir devant qui de droit n’ouvrait pas de voie de droit nouvelle et la conséquence en étant aussi que l’alternative contenue dans le dispositif de la décision du juge de l’expropriation ne peut être levée.

Il n’est pas non plus avéré qu’en l’espèce cette discussion soit exclusivement théorique et que les indemnités alternatives seront inévitablement équivalentes dès lors qu'il n’a pas été véritablement répondu à l’objection des expropriés selon laquelle les dispositions de l’article L121-8 du code de l’urbanisme n’induiront pas systématiquement l’application du POS entré en vigueur en 1993 mais éventuellement celle des documents d'urbanisme antérieurs à celui-ci, voire des règles générales d’urbanisme, dans le cas où celui-ci ou les documents d'urbanisme antérieurs seraient eux-mêmes affectés d’une illégalité dont la nature ferait obstacle à ce qu’il en soit fait application.

Il n’est pas non plus remédié à cette difficulté par les hypothèses d’abrogation du PLU ou d’exception d’illégalité à l’occasion d’un recours contre le refus d’une demande d’autorisation d'urbanisme en ce qu’elles ne pourraient avoir aucune incidence immédiate sur l’issue du litige, étant relevé que l’issue éventuellement favorable de la première procédure ne vaudrait que pour l’avenir et que la mise en oeuvre de la seconde n’apparaît que théorique puisqu'elle suppose à tout le moins que les expropriés puissent encore avoir la qualité de pétitionnaire et qu’ils soient à même de soumettre un projet de construction à l'examen des services de l’urbanisme.

En l’état de ces considérations, il n’apparaît donc pas que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les consorts [B] soit dépourvue de caractère sérieux.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante : L'article L13-8 du code de l’expropriation porte t-il atteinte au droit au recours effectif résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ainsi qu'au droit au respect de la propriété privée consacré par l’article 17 de ladite déclaration ?

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu’une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à la réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le Juge de l’Expropriation, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

- Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : L'article L13-8 du code de l'expropriation porte t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ?

- Dit que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité,

- Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

- Sursoit à statuer sur les demandes des parties,

- Dit que l'affaire sera rappelée à l’audience du 19 décembre 2012 à 9h30 en salle Q du tribunal si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l’audience du 19 septembre 2012 à 9h30, dans la même salle, dans le cas contraire,

- Réserve les dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique de la Juridiction d'Expropriation pour le Département du RHONE, tenue au Tribunal de Grande Instance de LYON, le 27 AVRIL 2012 par Pierre LAROQUE, Vice-Président, Juge de l'Expropriation pour le Département du RHONE, assisté de Joëlle BREUIL, Greffier.

Le Greffier

Le juge de l’expropriation