Conseil de Prud'hommes de Lille

Jugement du 2 décembre 2011 n° 10/00242

02/12/2011

Renvoi

CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LILLE

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RG N° F 10/00242

------------------ SECTION encadrement

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AFFAIRE

[A B C]

contre

ASSOCIATION TEMPS DE VIE

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MINUTE N°11/308

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JUGEMENT

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Copies adressées aux deux parties par LRAR le: 7/12/2011

Pourvoi en cassation du :

Appel interjeté le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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JUGEMENT

Rendu le 02 Décembre 2011

Madame [A B C]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

Représentée par Maître PETIT Myriam, avocat au barreau de LILLE.

DEMANDEUR

ASSOCIATION TEMPS DE VIE

[LOCALITE 3]

Représentée par Maître MEURICE, avocat au barreau de LILLE.

DÉFENDEUR

COMPOSITION DU BUREAU DE JUGEMENT

Lors des débats et du délibéré :

Monsieur Hervé LE MAOUT, Président Conseiller (S)

Madame Joëlle PIQUET, Assesseur Conseiller (S)

Madame Brigitte CANU, Assesseur Conseiller (E)

Madame Odile LE VEN, Assesseur Conseiller (E)

Débats: audience publique du 21 septembre 2011.

Assistés lors des débats et du prononcé de Madame MOUEZA Marie- Michelle, Greffier Premier Grade.

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGEMENT SUIVANT A ÉTÉ PRONONCÉ

RAPPEL DES FAITS ET DE PROCÉDURE:

Par demande réceptionnée au Greffe le 12 février 2010, Madame [B C A] a fait appeler l’ Association Temps de Vie devant le Conseil de Prud'hommes de LILLE pour obtenir:

- Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 100.000,00 €

- Un article 700 du CPC 3.000,00 €

- Une exécution provisoire du jugement à intervenir

Le Greffe a convoqué les parties le 16 février 2010 devant le Bureau de Conciliation de la Section Encadrement dans les formes légalement requises pour l'audience du 18 mars 2010 à 9 H 00, au siège du Conseil.

A cette audience, les parties ont comparu contradictoirement.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, l'affaire a été renvoyée devant le Bureau de Jugement du 1er octobre 2010 à 14 heures.

À cette audience, la partie défenderesse a sollicité le renvoi de cette affaire au motif «dossier pas en état».

Par ordonnance, le Président du Bureau de jugement a:

- Décidé d’accorder le renvoi sollicité,

- ordonné à la partie défenderesse d’avoir à communiquer ses pièces et conclusions en réplique à la partie demanderesse pour le 1er décembre 2010,

- Ordonné à la partie demanderesse d’avoir à communiquer ses pièces et conclusions en réplique à la partie défenderesse pour le 1er février 2011,

- Dit que l’affaire sera appelée devant Le bureau de jugement du 11 février 2011 à 14 heures pour y être impérativement plaidée.

À l’appel du rôle de l’audience du 11 février 2011, l'Association Temps de Vie a demandé que l’affaire soit de nouveau renvoyée.

Elle a invoqué le fait que Madame [B C] n’avait pas communiqué ses moyens de droit de sorte qu’elle enjoignait celle-ci à les transmettre pour permettre à l’ Association de répondre et conclure utilement.

Madame [B C] a rappelé les prescriptions impératives de l’ordonnance du Conseil, les tentatives infructueuses pour obtenir les écritures et pièces de l’employeur et a demandé que les conclusions et les pièces déposées à la barre par ce dernier soient purement et simplement écartées.

C’est dans ce contexte, que le Conseil a décidé de se retirer pour en débattre et finalement a souhaité entendre les parties.

Madame [B C] a fixé le dernier état de ses demandes comme suit:

- Ecarter, pour non-respect du contradictoire, les conclusions et pièces déposées à la barre par l’Association Temps de Vie,

- Rejeter les demandes formulées à la barre pour le même motif.

- Annuler le licenciement de Madame [B C] prononcé le 15 décembre 2009,

- Condamner l’ Association Temps de Vie à régler à Madame [B C]:

- 115.000 euros à titre d’indemnité forfaitaire égale aux salaires qu’elle aurait perçus entre son licenciement et la fin de la période de protection en cours,

- 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

. Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

. Condamner l’Association Temps de Vie à une somme complémentaire de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

La partie défenderesse a demandé au Conseil de:

- À titre principal, déclarer irrecevables les demandes de Madame [B C] sur le fondement de l’article 15 du Code de procédure civile, ses moyens de droit n’étant pas connus.

- À titre subsidiaire, transmettre la question prioritaire de constitutionnalité suivante: «constitutionnalité des dispositions des articles L.241 1-1 et L.2421-2 du Code du travail au regard des principes d’égalité et de liberté».

- À titre infiniment subsidiaire, débouter Madame [B C] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

À l'issue des débats, la cause fut mise en délibéré et les parties furent avisées, en application des dispositions de l'article R.1454-25 du Code du travail, que le jugement serait prononcé le 13 mai 2011. Le délibéré a été prorogé au 27 mai 2011 et le jugement mis à disposition au Greffe.

Par jugement du 27 mai 2011, le Conseil a déclaré de ne pas avoir été suffisamment éclairé pour rendre une décision.

Sur le fondement des articles 15, 13 et 16 du Code de procédure civile, le Conseil a décidé de rouvrir les débats pour demander aux parties de fournir les explications de droit nécessaires à la solution du litige.

Cette affaire a été de nouveau entendue le mercredi 21 septembre 2011 à 14 heures. Par conclusions, Madame [A B C] a demandé au Conseil:

- Vu l’article 231-11 du Code la Sécurité sociale,

- Vu l’article L.2411-1 du Code du travail,

- Vu l’article L.2411-18 du Code du travail

- Vu l’article L.2411-3 alinéa 2 du Code du travail,

- Vu l'article L.1235-3 du Code du travail

- Annuler le licenciement de Madame [B C] prononcé le 15 décembre 2009,

- Condamner l’ Association Temps de Vie à régler à Madame [B C]:

- 116.146 euros à titre d’indemnité forfaitaire égale aux salaires qu’elle aurait perçus entre son licenciement et la fin de la période de protection en cours,

- 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, le tout avec intérêts judiciaires à dater de l’appel en conciliation.

- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

- Condamner l’Association Temps de Vie à une somme complémentaire de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Par mémoire distinct, sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par l’ Association Temps de Vie, Madame [B C] a demandé au Conseil de:

- Constater que la question soulevée est dépourvue de tout caractère sérieux.

- En conséquence, ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée et fixer le dossier pour plaidoirie au fond.

Par conclusions, l’ Association temps de Vie a demandé au Conseil de:

Vu l’article 1134 du Code civil,

Vu l’article L.1235-1 du Code du travail

Dire et juger légitime le licenciement de Madame [B C] et en conséquence, la débouter de toutes demandes, fins et conclusions tendant au paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

Pour le surplus,

Vu les dispositions de la loi du 10 décembre 2009,

Donner acte à l’ Association Temps de Vie de ce que, par acte distinct, une question prioritaire de constitutionnalité est posée au Conseil Constitutionnel afin que soit tranchée la constitutionnalité des articles L.2411-1, L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail.

Surseoir à statuer

À titre subsidiaire,

Vu les dispositions de l’article 1134 du Code civil,

Vu les dispositions de l’article L.231-6 du Code de la Sécurité sociale,

Dire et juger que Madame [B C] ne bénéficie d'aucune protection particulière.

En tout cas, déclarer inopposable à l’Association Temps de Vie toute protection préalable imposant la saisine préalable de l’administration aux fins d’autoriser le licenciement. Débouter Madame [B C] de toutes demandes, fins et conclusions.

La condamner en tous les frais et dépens.

Par mémoire distinct, en appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, l’ Association Temps de Vie a demandé au Conseil de:

- Prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles L.2411-1, L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail pour violation des principes constitutionnels de liberté et d'égalité tels qu'issus des articles 1, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 4 de la même déclaration.

- Constater que la question soulevée est applicable au litige et constitue le fondement des demandes dont le conseil de prud'hommes est saisi.

- Constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques.

- Constater que la question soulevée présente un caractère sérieux.

- Transmettre à la Cour de cassation, sans délai, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil Constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité des dispositions des articles L.2411-1,L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

À l'issue des débats, la cause fut mise en délibéré et les parties furent avisées, en application des dispositions de l'article R.1454-25 du Code du travail, que le jugement serait prononcé le 18 novembre 2011 puis prorogé au 2 décembre 2011 par mise à disposition au greffe.

Le Bureau de jugement après en avoir délibéré conformément à la loi:

FAITS ET MOYENS DES PARTIES:

LES FAITS:

Madame [A B C] a été engagée par l’ Association NAZARETH selon contrat à durée indéterminée du 24 juin 1998, pour exercer, à compter du ler juillet 1998, les fonctions de directrice du foyer de jeunes travailleurs NAZARETH couvrant l’animation, la gestion et le patrimoine et les ressources humaines.

En contrepartie de ces fonctions, il était prévu au contrat de travail que la rémunération serait définie conformément à la convention collective nationale des FJT (foyers de jeunes travailleurs), Groupe V, Echelon 7, coefficient 410 - 125.

Le 07 juin 2005, le médecin du travail attirait l’attention de l’employeur sur l’état de santé de Madame [B C].

À l’occasion d’une visite médicale du 27 mai 2005, il transparaissait que les conditions d’exercice professionnel concourraient pour une part à la détérioration de l’état de santé de Madame [B C].

De ce fait, avec l’accord de Madame [B C], le médecin du travail exprimait son souhait de s'entretenir avec l’employeur des circonstances professionnelles à l’origine de ce problème.

Par avenant du 08 février 2006, le contrat de travail de Madame [B C] était transféré à l’Association Temps de Vie en conséquence d’une opération de fusion absorption entre l’Association Temps de Vie et l’Association Nazareth.

Ses principales fonctions allaient porter sur :

- l’animation de la résidence,

- la gestion comptable et financière,

- la gestion du personnel,

- la gestion des infrastructures et logistiques,

- les missions associatives.

pour une rémunération identique.

Madame [B C] s’engageait également à résider à proximité de la résidence sociale [LOCALITE 4].

Le 1er février 2007, les parties signaient une transaction aux termes de laquelle l’ Association Temps de vie accordait à Madame [B C]:

- de calculer sa rémunération sur la base du coefficient 253 à compter du 1er janvier 2007.

- une somme forfaitaire et définitive de 30.000 € bruts à titre d’indemnité transactionnelle, versée sur la paye de janvier 2007.

Le 16 février 2007, un nouvel avenant au contrat de travail précisait la rémunération et la durée du travail de Madame [B C].

Le 4 juillet 2007, un nouvel avenant était encore conclu pour préciser qu’à dater du ler juillet 2007, le classement de Madame [B C] était le suivant:

- emploi repère: directeur d’association,

- coefficient: 2994 points,

- points d'expérience: 112,5 points,

- prime de transposition versée une fois: 572,85 euros,

- valeur du point au ler juillet 2007 : 1.005 euros

soit une rémunération brute hors astreinte et prime annuelle de 3.122,03 euros.

Le O8 juillet 2009, l’employeur adressait un courrier à Madame [B C] pour revenir sur deux événements indésirables survenus au sein de l’établissement et la réalisation des permanences et astreintes pendant ses congés.

Le 27 juillet 2009, Madame [B C] répondait pour contester ce qui lui était reproché et rappeler toute la pression dont elle s’estimait être l’objet, l’amenant pour préserver sa santé à:

- solliciter un entretien pour étudier les modalités d’un départ à moyen terme,

- engager à compter de septembre un bilan de compétence de manière à se réapproprier son identité professionnelle et ses valeurs;

- demander la prise en charge financière de son bilan de compétence ainsi que les formations éventuelles qui pourraient en découler.

Le 12 novembre 2009, après différents échanges, l’ Association Temps de Vie faisait savoir à Madame [B C], qu’au regard du décret du 17 février 2007 relatif à la qualification des directeurs d’établissement ou services sociaux ou médico-sociaux, elle disposait de la qualification requise pour exercer ses fonctions.

L’Association ajoutait qu’elle ne pouvait pas faire supporter le financement d’une formation qui se révélerait superflue au regard de ses fonctions, ni par le plan de formation associatif ni par le plan de formation de l’établissement.

L’Association invitait Madame [B C] à une réunion de travail le 20 novembre 2009 pour analyser les différents dysfonctionnements relevés au sein de l’établissement.

Par courrier daté du 18 novembre 2009, Madame [B C] faisait savoir qu’elle ne voyait plus l'intérêt de la cette réunion dans la mesure où l’ Association s’était positionnée sur la formation et l'aménagement de son poste en les refusant.

Le 20 novembre 2009, l’ Association Temps de Vie convoquait Madame [B C] à un entretien préalable en vue d’un licenciement fixé au mardi ler décembre 2009 à 10 heures.

Le 15 décembre 2009, l’Association Temps de Vie licenciait Madame [B C] dans les termes suivants:

«Vous avez été informée de l'organisation, d'une réunion de travail devant se tenir le 20 novembre 2009 concernant l'évolution du projet de la résidence jeunes Nazareth et du caractère obligatoire de votre participation dès lors qu'en votre qualité de directrice de cette résidence vous deviez nécessairement participer aux débats et nourrir la réflexion permettant d'avancer sur ce projet.

Or et sans la moindre équivoque vous avez délibérément refusé de participer à cette réunion et avez en définitive adopté la politique de «la chaise vide» en riposte - et par mesure de rétorsion - à la position que nous avons prise quant au financement d'une formation souhaitée alors pourtant que notre discussion sur ce sujet n'a strictement rien à voir avec la tenue de cette réunion.

Ce comportement constitue - ni plus ni moins - un acte d'insubordination inacceptable et à l'évidence constitutif d'un manquement contractuel qui justifie la rupture de votre contrat de travail.

La date de première présentation de cette lettre constitue la notification de votre licenciement et fixe le point de départ de votre préavis de quatre mois, dont vous êtes dispensée de l'exécution, et qui vous sera néanmoins rémunéré.

Je vous informe que vous avez acquis 114 heures au litre du DIF (droit individuel à la formation).

Vous pouvez demander à utiliser ces heures pour bénéficier d'une action de formation, d'un bilan de compétence ou de la validation des acquis de l'expérience dès lors que vous formulez votre demande durant le temps de votre préavis...»

C’est dans ce contexte de procédure que le Conseil a été saisi.

LES MOYENS DES PARTIES:

Madame [B C] prétend en substance que:

- Son licenciement est entaché de nullité puisqu’il a été prononcé sans autorisation administrative alors qu’elle bénéficiait d’une protection dans la mesure où elle était membre du Conseil d’administration de la Caïsse d’Allocations Familiales de [LOCALITE 5].

- L'employeur n’ignorait pas qu’elle siégeait dans la mesure où Monsieur [H I] l’avait encouragée à exercer ces fonctions de représentation.

- L'employeur n’est pas censé ignorer l’existence du statut protecteur dont bénéficie le salarié.

- Le problème s’est posé pour certains types de mandat s’exerçant en dehors de l’entreprise et dans l’acquisition desquels l’employeur n’est pas impliqué: conseiller prud’homal, administrateur des caisses de sécurité sociale, conseiller du salarié.

- La Cour de Cassation considère que, eu égard aux mesures de publicité dont les mandats électifs ou désignatifs font l’objet, l'employeur est censé avoir été informé du statut protecteur dont bénéficie le salarié, et ce, même en l’absence d’exercice effectif du mandat.

- L'employeur ne peut prétendre ignorer la nomination au poste d’administrateur de la CAF dans la mesure où cette nomination est réalisée par arrêté préfectoral publié au recueil des actes administratifs et est donc opposable à tous.

- Il ne saurait dès lors se retrancher derrière son ignorance du mandat détenu par un salarié pour s’exonérer de sa responsabilité en cas de non-respect de la procédure protectrice.

- Il n’y a donc aucune nomination à l’insu de quiconque.

- La mesure de licenciement est, en outre, dénuée de motif réel et sérieux puisque le jour où elle a été licenciée, l’ Association Temps de Vie avait connaissance de son avis d’arrêt de travail et qu’elle savait donc pertinemment qu’elle n’avait pas pu se rendre à la réunion du 20 novembre 2009 parce qu’elle était en arrêt de travail pour maladie.

L’Association Temps de Vie soutient en substance que

- Aucune disposition légale n’impose au salarié titulaire d'un mandat tel que visé aux dispositions de l'article L.2411-]1 du Code du travail de révéler à son employeur son existence

- Ces deux dispositions sont contraires au principe constitutionnel d'égalité et de liberté.

- Le principe d'égalité, issu des articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, est constamment consacré par le Conseil constitutionnel.

- En subordonnant la faculté de rupture par l'employeur, d'un contrat de travail qu'il a régularisé, à une autorisation administrative dès lors qu'elle concerne un salarié titulaire d'un mandat dont la loi n'impose pas la révélation de l'existence par le salarié, la loi a créé, au travers des articles L.2411-1,L.2411-18 et L.2411-3 une rupture d'égalité dans les relations entre l'employeur et ses salariés dès lors qu'elle crée des conséquences différentes selon que le salarié est - ou non - titulaire d'un mandat et selon que le salarié révèle - ou non — son existence, sans que la différence de traitement, concernant les salariés visés à l'article L.2411-1 13ème ne puisse être justifiée par des considérations d'intérêt général.

- Du principe de liberté, consacré par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, découle le principe de la liberté d'entreprendre, principe constitutionnel qui assure à toute personne le droit de prendre toute décision liée à son activité économique notamment de choisir ses collaborateurs ou de s'en séparer.

- En conditionnant la liberté de rompre un contrat de travail à l'obtention d'une autorisation administrative, dès lors que la rupture concerne des salariés titulaires d'un mandat dont la loi n'impose pas la révélation de l'existence et dont le mandat ne s'exerce pas au profit de la collectivité de travail à laquelle le salarié appartient, le législateur crée au travers des dispositions de l'article L.2411-1 13ème, L.2411-18 et L.2411-3 une obligation contraire au principe de la liberté d'entreprendre, en ce que l’employeur est privé de la possibilité de se séparer librement de ses collaborateurs sauf à s'exposer à son insu au règlement de dommages et intérêts dont il ne peut alors maîtriser ni le principe ni le quantum.

- C’est bien de manière volontaire que Madame [B C] s’est abstenue de participer à la réunion de travail du 20 novembre 2009 à partir de 9h30 et ce par mesure de rétorsion à la position prise par l’ Association Temps de Vie, sur la question de la prise en charge financière de la formation souhaitée par Madame [B C] pour des motifs personnels résultant de la décision prise par elle de la réorientation de sa carrière professionnelle.

- Il s’agit là d’un acte d’insubordination.

- Madame [B C] a, sur ce point, cherché à tronquer la réalité en sollicitant alors le Docteur[E] pour tenter de justifier que celui-ci l’aurait reçue le 19 novembre 2009 soit, fort opportunément, avant la tenue de la réunion du 20 novembre au matin.

- Manifestement cette date ne correspond à aucune réalité.

MOTIES DU JUGEMENT:

Attendu que la procédure relative à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est entrée en vigueur le ler mars 2010, en application de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 créant l’article 61-1 de la Constitution du 04 octobre 1058.

Attendu que d’après cet article:

«Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé.»

Attendu que le dispositif a été précisé par la loi organique du 10 décembre 2009 et deux décrets d'application du 16 février 2010.

Attendu qu’en substance, la question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée au cours d’une instance par tout justiciable devant les juridictions relevant du Conseil d’État et de la Cour de cassation (sauf devant la Cour d’assises où la QPC peut être soulevée uniquement au cours de l'instruction, de l’appel ou de la cassation).

Attendu que pour être recevable, la question prioritaire de constitutionnalité doit être présentée dans un écrit distinct et motivé.

Attendu que la juridiction saisie examine alors 3 points (Ord. n° 58-1067 du 7 nov.1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel modifié par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, art. 23-2):

— [a disposition contestée est-elle applicable au litige ou à la procédure, ou constitue-t-elle le fondement des poursuites?

— a-t-elle déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif par une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances?

— la question a-t-elle un caractère nouveau et sérieux?

Attendu qu’en l’espèce, Madame [B C] a été désignée par arrêté préfectoral du 20 octobre 2006 comme membre du Conseil d’ Administration de la Caisse d’Allocations Familiales de [LOCALITE 6] en qualité de personne qualifiée.

Attendu que l’article 2 de cet arrêté dispose que:

«Le secrétaire général pour les affaires régionales, le secrétaire général de la préfecture du Nord, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales de la région Nord-Pas-de-Calais sont chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région et celui de la préfecture du département».

Attendu que pour Madame [B C] l’employeur ne pouvait pas ignorer cette publication et le fait qu’elle siégeait dans la mesure où Monsieur [H I] (directeur général) l'aurait, selon ses dires, encouragée à exercer ces fonctions de représentation.

Attendu qu'aucune pièce versée aux débats ne permet cependant de l’établir.

Attendu qu’au visa de l’article L.2411-1 du Code du travail, Madame [B C] poursuit la nullité de son licenciement dès lors que, au regard de ce texte :

«Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d’une procédure de sauvegarde..., le salarié investi de l’un des mandats suivants : ...

- 13° Membre du conseil ou administrateur d’une caisse de sécurité sociale mentionné à l’article L.231-11 du code de la sécurité sociale...»

Attendu que suivant les dispositions combinées de l’article L.231.11 du Code de la sécurité sociale et L.2411-1,L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail, elle considère qu’une autorisation administrative devait être préalablement recueillie,

Attendu qu'aucune disposition n’impose au salarié titulaire d’un tel mandat de révéler à son employeur son existence.

Attendu que le Conseil prend acte de la question prioritaire de constitutionnalité, formulée par l’Association Temps de Vie, portant sur les dispositions des articles L.2411-1, L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail pour violation des principes constitutionnels de liberté et d'égalité tels qu’issus des articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 4 de la même déclaration.

Attendu que le Conseil constate que la question soulevée est applicable au litige et constitue le fondement des demandes dont le Conseil de Prud'hommes est saisi,

Que la demande de nullité de licenciement fonde la requête de Madame [B C] tendant à voir condamner l’ Association Temps de Vie au paiement d’une indemnité forfaitaire égale aux salaires qu'elle aurait perçus entre son licenciement et la fin de la période de protection en cours soit une somme de 116.146 € outre 100.000 € de dommages et intérêts pour licenciement abusif, le tout avec intérêts Judiciaires à dater de l’appel en conciliation.

Attendu que le Conseil relève que la question soulevée porte sur une disposition qui n’a pas été déclarée conforme à la constitution dans Îles motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel dans des circonstances identiques.

Attendu que le Conseil considère que la question soulevée, formulée dans un écrit distinct et motivé, présente un caractère sérieux.

Attendu qu’en conséquence, le Conseil décide de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour de cassation, sans délai, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission éventuelle au Conseil Constitutionnel pour qu’il relève, le cas échéant, l’inconstitutionnalité des dispositions des articles L.2411-1 13°, L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication qui en résulterait.

PAR CES MOTIFS:

Le Conseil de Prud'hommes de LILLE, Section Encadrement, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

PREND ACTE de la question prioritaire de constitutionnalité, formulée par l'Association Temps de Vie, portant sur les dispositions des articles L.2411-1, L.2411-18 et L.2411-3 du Code du travail pour violation des principes constitutionnels de liberté et d'égalité tels qu'issus des articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 4 de la même déclaration.

DIT ET JUGE que la question prioritaire de constitutionnalité formulée par l'Association temps de Vie est recevable.

DIT ET JUGE que les conditions, fixées par l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 07 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel modifié par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 6-1 de la Constitution, sont réunies pour une transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

DÉCIDE de surseoir à statuer et d'adresser à la Cour de cassation, sans délai, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission éventuelle au Conseil Constitutionnel pour qu'il relève, le cas échéant, l'inconstitutionnalité des dispositions des articles L.2411-1 13°, L.2411-18 et L.241 1-3 du Code du travail, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication qui en résulterait.

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité remis à l’audience du 21 septembre 2011.

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

RESERVE les dépens de l'instance.

Ainsi fait et jugé les jours, mois et an susdits.

Et le président a signé avec le greffier.