Tribunal de grande instance de Bordeaux

Jugement du 14 novembre 2011 n° 11/00062

14/11/2011

Renvoi

N° : 11/00062

Jugement du: 14 Novembre 2011

Décision n° 00105/11

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JUGE DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE

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COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX C/

Mme [K. L. A]

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Fixation de prix suite à DIA et DPU

parcelles [xxx] et [xxx] - 3777 m°

[adresse 1] - [LOCALITE 2]

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JUGEMENT DE TRANSMISSION DE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

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L’an deux mille onze et le quatorze novembre,

Nous, Catherine COUDY, Vice-Présidente au Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX, Juge Titulaire de la Juridiction de l’Expropriation du Département de la GIRONDE, désignée par Ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d’Appel de BORDEAUX en date du 18 Décembre 2008, assistée de Sarah BOIREAU, Greffière,

Etant au Palais de Justice de BORDEAUX, avons rendu ce jour, publiquement par décision mise à disposition au Greffe, le jugement suivant dans la procédure:

ENTRE: LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX

Esplanade Charles de Gaulle

[LOCALITE 3] - [LOCALITE 4] -

Ayant pour Avocat la SCP COULOMBIE - [Q] - [P] -

[G-H] - SOLAND, Avocats au Barreau de BORDEAUX

ET: Madame [C-P A]

[adresse 5] - [LOCALITE 6]

Ayant pour Avocat la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI, Avocats au Barreau de BORDEAUX

En présence de Madame [I J], Commissaire du Gouvernement

En présence de Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE près le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de BORDEAUX.

pour la fixation du prix du bien situé [adresse 7] à [LOCALITE 8], cadastré [xxx] et [xxx] pour une contenance totale de 3777m², ayant fait l’objet d’une Déclaration d'Intention d’Aliéner et de l’exercice du Droit de Préemption Urbain par la [LOCALITE 9], en l’ absence d’accord des parties sur le prix du bien.

Vu l'Ordonnance du 23 Octobre 1958. les décrets des 6 Juin 1950. 20 Novembre 1959, 11 Octobre 1966 et 13 Mai 200$ insérés dans le Code de l'Expropriation pour cause d'utilité publique.

Vu la requête en date du 4 août 2011, arrivée au Greffe le 9 Août 2011 présentée par la [LOCALITE 10], tendant à à la fixation du prix du bien en l’absence d’ accord avec la propriétaire.

Vu nos Ordonnances en date du 22 Août 201 1. du 23 Août 2011 (Ordonnance rectificative) et du 15/09/2011 ( Ordonnance modificative) fixant la visite des lieux au 3 Octobre 2011 et l’audience au 6 Octobre 2011 au Palais de Justice de Bordeaux

Vu les articles 23-1 et 23-3 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 Novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel et les articles 126 -1 à 126-12 du Code de Procédure Civile.

Vu le mémoire déposé par Madame [A] le 27 Octobre 2011 intitulé “MEMOIRE A L’APPUI D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ”.

Par déclaration d’Intention d’Aliéner du 13 Avril 2011 signée par Maître Xavier ADENIS - LAMARRE, Notaire à [LOCALITE 11], Madame [A B C-P] a fait savoir son intention de céder son bien situé [adresse 12] à [LOCALITE 13] ([...]) à SEVERINI PIERRE ET LOISIRS moyennant le prix de 700.000 € plus 35.000 € de frais de commission d’agence à la charge de l’acquéreur.

Par arrêté du 1er Juin 2011, notifié le jour-même, le Président de la [LOCALITE 14] a décidé d’exercer le Droit de Préemption Urbain dont disposait la [LOCALITE 15] en proposant l’acquisition du bien au prix de 560.000€.

Par courrier du 20 Juin 2001, Madame [C-P A] à fait connaître à la [LOCALITE 16] son intention de maintenir Le prix figurant dans la Déclaration d’Intention d’Aliéner.

La [LOCALITE 17] a saisi, par l’intermédiaire de son Conseil, le Juge de l’Expropriation de la GIRONDE, par requête du 4 Août 2011 et a notifié ce même 4 Août 2011 son mémoire et la saisine à Madame [A].

Par ordonnances du 22 /08/2011 , 23 Août 2011 et du 14 Septembre 2011, le Juge de Expropriation de la Gironde a fixé la visite des lieux au 3/10/201 et l’ audience devant se tenir au Palais de Justice-au 6 Octobre 2011.

La visite des lieux est intervenue le 6 Octobre 2011 en présence des représentants de la COMMUNAUTE URBAÏNE DE BORDEAUX, de Madame [A] et de Madame le Commissaire du Gouvernement.

Le bien concerné par la procédure de préemption est une propriété bâtie comportait une maison dans un parc arboré, située 3 bis du [LOCALITE 18] à [LOCALITE 19] ( 33).

Cet immeuble est localisé au centre de la commune [LOCALITE 20], à proximité de la mairie et de l’Eglise de la commune, au fond d’une allée en impasse, et à proximité de la future nouvelle ligne du tramway de l'agglomération bordelaise.

Le 6 Octobre 2011, à la demande de Madame [A] et sans opposition des autres des parties, l'affaire a été renvoyée au 3 Novembre 2011.

Par mémoire déposé le 27 Octobre 2011, Madame [A] a saisi le Juge de l'Expropriation d’une demande de transmission d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité.

Le dossier a été transmis au Procureur de la République qui, le 27 Octobre 2011, a visé le dossier et a indiqué par écrit s’en rapporter.

À l'audience prévue du 3 Novembre 2011, le Juge a proposé de renvoyer l’affaire afin de permettre à la [LOCALITE 21] et au Commissaire du Gouvernement de présenter un mémoire et des conclusions écrites sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité à la COUR DE CASSATION, mais tant la [LOCALITE 22] que le Commissaire du Gouvernement ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas présenter d'observations sur ce point.

Les parties ont demandé au Juge de l’Expropriation de statuer sur cette demande de transmission d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité et n’ont pas souhaité présenter d'observations orales sur le fond du litige, à savoir la fixation du prix du bien. Après débats , le Juge de l’Expropriation a mis l’affaire en délibéré à ce jour, par mise à disposition au Greffe .

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES:

Madame [A C-P] a demandé au juge de l’expropriation dans son mémoire présenté à l’appui d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité de:

- prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article L 13-17 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour violation de l’article 2, 16 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ;

- constater que la question soulevée est applicable au litige c ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites dont est saisi le Juge de l'Expropriation ;

- constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif. d’une décision du Conseil Constitutionnel dans des circonstances identiques ;

- Constater que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

En conséquence :

- transmettre la Cour de Cassation dans les délais et conditions requises la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil Constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce: son abrogation, et fasse procéder à la publication qui en résultera ;

- ordonner le sursis à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de Cassation, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel

Elle a rappelé qu’elle avait refusé le prix offert et qu’elle avait demandé à M. [O], expert, de réaliser une expertise de son bien de laquelle il ressortait que la valeur vénale de ce bien immobilier pouvait être appréciée à 720 000 €.

Elle a considéré que les conditions d’application permettant la transmission des questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de Cassation étaient réunies car :

- au vu de l’article L 213 - 4 du Code de l’Urbanisme, l’article L 13-17 du Code de l'Expropriation pour cause d’utilité publique était applicable en matière de fixation de prix dans le cadre de l’exercice du droit de préemption et son application commandait l’issue du litige opposant Madame [A] à la [LOCALITE 23] puisque, si l’article L 13-17 s’appliquait, cette dernière recevrait le prix déterminé par le Service des Domaines alors que, s’il ne s’appliquait pas, elle pourrait faire valoir devant le Juge de l’Expropriation les arguments lui permettant une indemnisation totale de son préjudice ;

- il apparaissait à l’examen des tables analytiques du Conseil Constitutionnel que la disposition contestée n'avait pas fait l’objet d’une décision du Conseil Constitutionnel la déclarant conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision rendue à jour ;

- Le caractère sérieux delà question posée tenait à l’application au cas d’espèce des principes constitutionnels auxquelles se heurtaient les dispositions de l’article L 13-17 du Code de l’Expropriation, et plus particulièrement l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen classant le droit de propriété parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, les dispositions de l’article 17 de même Déclaration énonçant que, la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne pouvait en être privé si ce n'était lorsque la nécessité publique l’exigeait et sous la condition d’une juste et préalable indemnité, principe que le Conseil Constitutionnel avait rappelé à plusieurs reprises, et les dispositions de l’article 16 de cette même Déclaration de 1789 exigeant une séparation des. pouvoirs pour garantir les droits de chacun.

Elle a souligné que certains auteurs s’interrogeaient sur la constitutionnalité de l’ article L. 13-17 du Code de l’Expropriation d’utilité publique et a considéré que l’article L 13 17 dudit Code, en ce qu’il prévoyait que le montant de l’indemnité principale ne pouvait excéder l’estimation du service des Domaines lorsque celle-ci était supérieure à une évaluation fiscale définitive déposée dans le délai de cinq ans, ne permettait pas de respecter l'exigence constitutionnelle d’ une juste indemnité, car d’une part cet article faisait peser sur tout propriétaire exproprié une présomption irréfragable de faute, d’autre part il permettait à l'Administration grâce à l’évaluation du service des Domaines d’acquérir des biens immobiliers à une valeur inférieure à leur valeur réelle, ce qui ne couvrait pas le préjudice direct, matériel et certain causé pour l’expropriation, et enfin du fait que l’exproprié ne disposait pas d’un recours approprié, le Tribunal étant lié par l’estimation du service des Domaines.

Elle à enfin souligné que le principe de la séparation des pouvoirs n’était pas garanti car le juge ne devait être soumis dans l'exercice de ses fonctions à aucune autorité, ni dans un lien de subordination hiérarchique à l’égard d’aucune partie ou autorité, alors qu’en l'espèce l’article L 13 17 du Code de l’Expropriation permettait au pouvoir exécutif par l'intermédiaire du Commissaire du Gouvernement de s’immiscer dans fonctions juridictionnelles, le juge étant lié par l’avis des Domaines .

La [LOCALITE 24] a indiqué oralement à l’audience ne pas avoir d’observations à faire sur la Question Prioritaire de Constitutionnalité et en conséquence ne pas souhaiter de renvoi de l’audience pour déposer un mémoire sur ce point.

Elle avait déposé lors de notre saisine un mémoire sur le fond du litige transmis dans lequel elle demandait au Juge de l’Expropriation de :

- fixer le prix de l’immeuble situé [adresse 25] , parcelle cadastrée à [LOCALITE 26] section [xxx] et [xxx] , d’une contenance de 3777m2, à la somme de 660.000 €,

- dire que les frais d’Agence seront pris en charge par la [LOCALITE 27],

- Statuer ce que de droit sur les dépens.

La [LOCALITE 28] titulaire du droit de préemption exposait dans ce mémoire que le prix de vente du bien mentionné dans la Déclaration d’Intention d’Aliéner était de 700.000 €, et qu’elle avait décidé de préempter le bien au prix de 560.000 €, prix ayant été refusé par la propriétaire qui avait maintenu le prix déclaré.

Elle rappelait les termes de l’article L 213-4 du Code de l'Urbanisme, exposait qu'il s’agissait d’une parcelle de 3777m2 sur laquelle était édifié un immeuble de 221m2 à usage d’habitation occupé par sa propriétaire, précisait que la date de référence était la date du 18 Août 2006 date à laquelle le PLU de la [LOCALITE 29] du 21 Juillet 2006 délimitant la zone dans laquelle le bien se trouvait avait été publié et qu’à cette date le bien était en zone UPc4 correspondant à une zone urbaine pavillonnaire et à un secteur pavillonnaire compact, et notait que le terrain ‘était desservi par les différents réseaux et était situé dans un secteur urbain, et enfin que l'usage de cette parcelle pouvait être qualifié d’ habitation conformément aux termes de la DIA.

Elle a fait valoir dans ce mémoire au fond qu’elle rehaussait son offre d’ acquisition à 660.000 €, s’agissant d’un immeuble en très bon état , vendu libre de toute occupation et que ce prix était fondé sur l’avis de FRANCE DOMAINE n° 2011-162V1545 du 26 Mai 2011, étant précisé qu’il conviendrait d’ ajouter les frais d’Agence tels que mentionnés dans la DIA à hauteur de 35. 000 €, sous réserve de la production du mandat.

Le COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT a indiqué oralement lors de l’audience ne pas souhaiter faire d'observation sur la Question. Prioritaire de Constitutionnalité et dès lors ne pas souhaiter de renvoi pour déposer de conclusions écrits Sur ce point.

Dans ses conclusions écrites , [R] avait rappelé la procédure et décrit le bien en retenant qu’il s’agissait d’une maison.de 221m2 édifiée en 1955 en rez-de-chaussée sur rez-de-jardin partiel située au milieu d’un parc arboré, et que les parcelles accessibles par une allée de 110 m de long représentaient une surface totale de 3777m2, localisée en centre-ville de la [LOCALITE 30].

Il avait confirmé que le bien était situé en zone UPc 4, secteur pavillonnaire compact, et en emplacement réservé T 1774 pour création d’une voie nouvelle.

Il avait par ailleurs, quant à la fixation du prix du bien, rappelé que cette propriété bâtie dépendait de la succession de Madame [E N] veuve de Monsieur [E-F A], décédée le [DateDécès 31] 2007, que lors de cette succession l’immeuble avait été déclaré, dans la déclaration de succession déposée le 21 Janvier 2009 suite au décès de Madame [A], pour un montant de 540.000 €, c’est à dire un montant inférieur à l'estimation des Domaines d’un montant de 660.000 € et il avait invoqué l’application de l’article L 13-17 du Code de l’Expropriation.

Ïl avait considéré que l’immeuble était situé sur un grand terrain localisé en plein centre [LOCALITE 32] sur lequel pourrait être édifié, après démolition de la maison, un immeuble collectif, ce qui correspondait à l’objectif poursuivi par l'acquéreur, et avait conclu qu’en se référant à des éléments de comparaison cités par lui, qu’il pourrait être retenu le prix de 660.000 € sur la base d’un prix du bâti de 1800 € pour la maison avec 2000m2 de terrain et de 150 € le m2 encombré ( 250 E - 40% pour encombrement) pour le surplus du terrain de 1777 m2, soit un total de 664.350 € arrondi à 660.000 €.

MOTIFS DE LA DECISION:

+ La demande de transmission d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité présentée par Madame [A] est en la forme recevable.

Elle est formulée dans un écrit distinct et motivé, étant précisé qu’en l'espèce, il n’a pas été déposé par la propriétaire venderesse de mémoire au fond portant sur le prix du bien, mais qu’en application de l’article R 13-35 aliéna 2 du Code de Expropriation, le Juge doit se référer à la réponse apportée à l’offre faite dans le cadre de l’exercice du droit de préemption, c’est à dire au prix figurant dans la lettre de Madame [A] du 20/06/2011 indiquant décliner la proposition de prix de 560.000 € et maintenir le prix figurant dans la Déclaration d’ Intention d’Aliéner, prix constituant dès lors sa demande.

* La lecture des questions transmises. pour examen à la Cour de Cassation et au Conseil Constitutionnel et des décisions rendues par la Cour de Cassation comme par le Conseil Constitutionnel permet de conclure que l’article L 13-17 du Code de l’Expropriation n’a pas été déclaré conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel et qu’une telle question portant sur  la constitutionnalité de l’article L 13-17 du Code de l' Expropriation n’est pas en cours de traitement.

* L'article L 13-17 du Code de l'Expropriation est susceptible de recevoir application dans l’instance en fixation du prix du bien de Madame [A], objet de préemption.

En effet, cet article énonce que :

“Le montant de l'indemnité principale ne peut excéder l'estimation faite par le service des domaines ou celle résultant de l'avis émis par la commission des opérations immobilières, si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative rendue définitive en vertu des lois fiscales ou à une déclaration d'un montant inférieur à ladite estimation.

Lorsque les biens ont, depuis cette mutation, subi des modifications justifiées dans leur consistance matérielle ou juridique, leur état ou leur situation d'occupation, l'estimation qui en est faite conformément à l'alinéa précédent doit en tenir compte.

Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article, notamment lorsque l'expropriation porte, soit sur une partie seulement des biens ayant fait l'objet de la mutation définie au premier alinéa soit sur des biens dont une partie seulement a fait l'objet de la mutation susvisée”

En l’espèce, le bien a fait l’objet d’une mutation à titre gratuit par voie de succession suite au décès de Madame [E N] intervenu le 19 Décembre 2007 et a donné lieu à un évaluation à visée fiscale dans la déclaration de succession signée le 18/12/2008 retenant une valeur du bien situé [adresse 33] à [LOCALITE 34] de 540.000 €. La date du décès portant mutation et transfert du droit de propriété date de moins de cinq ans à ce jour, et la valeur de 540.000 € est inférieure à la valeur contenue dans l’avis du service de FRANCE DOMAINE établi le 26 Mai 2011 évaluant le bien à 660.000 €. L’article L 13-17 du Code de l’Expropriation qui est d’ordre public et dont-l’application. est demandée par le Commissaire du Gouvernement est donc. susceptible de recevoir application.

* Enfin, il est invoqué par Madame [A] que l’article L 13 -17 du Code de l’Expropriation viole les articles 2,16 et 17 delà Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

L’article 2 de Déclaration précitée stipule que:

“ Le but de ‘toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.”

L'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et.du Citoyen énonce que : “La propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous condition préalable d'une juste « et préalable indemnité”.

L’article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen prévoit que: “ Toute Société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée , ni la séparation des Pouvoirs déterminée n'a point de constitution”.

Le droit à une juste et préalable indemnité en cas d’expropriation est donc garantie par la Constitution intégrant dans son préambule la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui fait dès lors partie du bloc de constitutionnalité.

Au regard des articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen invoqués par Madame [A]), la privation de la propriété d’un bien pour cause d’utilité publique n’est possible que moyennant une juste et préalable indemnisation et l’exigence d’une juste indemnisation impose de pouvoir disposer d’une voie de recours appropriée, exercée devant une juridiction impartiale et indépendante.

L'application de l’article L 13-17 du Code de l’Expropriation peut aboutir à fixer le prix d’un bien à une valeur qui ne correspond pas à sa valeur réelle s1 le propriétaire a procédé à une‘sous-évaluation dans un but fiscal, dès lors que l’estimation des Domaines est supérieure ne serait-ce que d’un euro à l'estimation fiscale du bien par le propriétaire, dans la mesure où le Juge est lié par une valeur maximale déterminée par le Service des Domaines, ce qui est susceptible de porter atteinte à l’impératif d’une indemnisation de l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain découlant de la procédure d’expropriation ( ou de préemption).

De plus,le caractère juste de l’indemnité, en l’espèce du prix , impose qu’il soit fixé de manière indépendante de l’expropriant et par une juridiction indépendante et impartiale. Le Service des Domaines relève du pouvoir exécutif et, dans l'hypothèse d’application de l’article L 13-17 du Code de l’expropriation, son avis, qui est nécessaire avant l exercice du droit de préemption (et qui est différent de l’avis du Commissaire du Gouvernement) lie le juge qui ne dispose pas du pouvoir d'apprécier complètement te prix du bien par comparaison avec les ventes récentes de biens similaires situés dans a même localité afin d’assurer l’indemnisation intégrale du préjudice direct, matériel et certain subi par l’exproprié, comme l’ exige l’ article L 13-13 du Code de l’Expropriation. La question est susceptible de se poser avec plus d’acuité lorsque l expropriant ou la collectivité titulaire du Droit de Préemption est l’Etat qui dispose d’un pouvoir hiérarchique direct sur l’Administration des Finances Publiques dont fait partie le service de FRANCE DOMAINE.

Le caractère restrictif de la rédaction de l’article L 13-17 du Code de L Expropriation permettant au Juge de tenir compte des changements intervenus dans la consistance matérielle et juridique du bien, dans son état ou sa situation d’occupation, ne permet pas de tenir compte de changements de valeur tenant aux circonstances extérieures, telles que l’augmentation générale du prix des terrains à bâtir dans la [LOCALITE 35] ou une augmentation pouvant être liée à l’arrivée du tramway.

Pour l’ensemble de ces motifs, la question de la constitutionnalité de l’article L 13-17 du Code de l’Expropriation au regard des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 n’apparaît pas dépourvue de caractère sérieux.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de transmission de la QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE à la Cour de Cassation.

Il sera sursis à statuer sur le fond de l’affaire dans l’attente de la décision de la Cour de Cassation, et, dans le cas où cette dernière saisirait le Conseil Constitutionnel, de la décision du Conseil Constitutionnel.

L'affaire sera rappelée pour vérification de l’état de la procédure à l’audience du 1er Mars 2012 à 9 H 30 au Palais de Justice de BORDEAUX.

DÉCISION: PAR CES MOTIFS, le Juge titulaire de l’Expropriation du Département de la GIRONDE, Catherine COUDY, statuant contradictoirement, par décision non susceptible de recours, publiquement, par jugement mis à disposition au Greffe et après en avoir délibéré:

Vu les articles 23-1 et suivants de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 Novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel,

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile,

- ORDONNE la transmission à la Cour de Cassation de la Question Prioritaire de Constitutionnalité portant sur la violation par les dispositions de l’article L 13-17 du Code de l'Expropriation pour cause d'utilité publique, des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789;

- DIT que la présente décision sera adressée à La Cour de ‘Cassation dans un délai de 8 jours avec les mémoires des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité;

- DIT que le Greffe avisera sans délai les parties, le Commissaire du Gouvernement et le Ministère Public de la présente décision en y joignant l’avis aux parties prévu par l’article 126 -7 du Code de Procédure Civile reproduisant notamment les articles 126-9 et 126-11 alinéa 1er dudit code;

- SURSOIT A STATUER sur la fixation du prix du bien appartenant à Madame [A];

- RESERVE les dépens:

- RENVOIE l'affaire à l’audience du 1° Mars 2012 à 9 H 30 pour vérification de l'état de la procédure.

Ainsi fait au Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX le 14 Novembre 2011, par Catherine COUDY, Juge de l’expropriation du Département de la GIRONDE, assistée de Sarah BOIREAU, Greffière affectée au service de l’Expropriation.

LA GREFFIERE

LE JUGE DE L’EXPROPRIATION