Tribunal de grande instance de Paris

Ordonnance du 3 septembre 2011 n° 11/03266

03/09/2011

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

Juge des libertés et de la détention

N° RG : 11/03266

ORDONNANCE SUR DEMANDE DE PROLONGATION DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE

(Articles L.S51-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)

Devant nous, Mme Anne-Marie SAUTERAUD), vice-président au tribunal de grande instance de Paris, juge des libertés et de la détention, assistée de Madame Marie-Josée RÜLLE, greffier ;

Vu les dispositions des articles L. 551-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'extrait individualisé du registre prévu par l'article L.S53-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

Vu l’obligation de quitter le territoire français en date du 29 août 2011, notifiée le 29 août 2011 à [LOCALITE 1]

Vu la décision écrite motivée en date du 29 août 201 1 par laquelle le préfet a maintenu l'intéressé dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire à compter du 29 août 2011 à 16H50

Attendu que le préfet n’est pas en mesure d’assurer le rapatriement de l’intéressé vers son pays d’origine avant le 03 Septembre 2011 à 16H50

Monsieur le préfet, Monsieur le procureur de la République, Monsieur le chef du centre de rétention et l'intéressé ont été avisés dès réception de la requête, de la date et de l'heure de la présente audience par le greffier ;

Avons fait comparaître devant nous,

Monsieur [A B C]

né le [DateNaissance 2] 1978 à [LOCALITE 3]

de nationalité Algérienne

[adresse 4]

Après l'avoir avisé de son droit de choisir un avocat ou d'en demander un qui lui sera désigné d'office, en présence de Me GAUTIER ([Téléphone : XXXXXXXX 0 5]) son conseil choisi

Après lui avoir rappelé les droits qui lui sont reconnus pendant la période de rétention (possibilité de demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil ou d'un médecin, de communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix) et l'avoir informé des possibilités et des délais de recours contre toutes décisions le concernant ;

En l'absence du procureur de la République avisé ;

Après dépôt de conclusions de nullité par le conseil de l'intéressé. jointes au dossier et évoquées in limine litis. et après avoir entendu les parties, l'incident est joint au fond :

Après avoir entendu [D] du cabinet MATHIEU, Conseil du Préfet des Hauts de Seine et le conseil de l’intéressé sur le fond :

L’intéressé a déclaré : Je confirme mon identité et ma nationalité.

SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Attendu qu’à l’audience de ce jour le conseil de Monsieur [A B C] soulève la question prioritaire de constitutionnalité et suivantes : “Les dispositions de l'article L621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en ce qu’elles prévoient l'infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers entré ou séjournant irrégulièrement, pour le seul motif que celui-ci demeure sur ledit territoire sans motif justifié, sont-elles conformes à l’article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires” ?

Attendu qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ;

Qu'en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé ;

Qu'en l’espèce le mémoire soulevant la question prioritaire de constitutionnalité répond à cette exigence ; qu'il s’ensuit qu’il est recevable ;

Attendu que la présente affaire a été communiquée au ministère public le 03 septembre 2011, qui a fait connaître son avis le même jour en ce qu’il nous demande de statuer, vu l’urgence le mis en cause faisant l’objet d’une rétention ;

Attendu que le conseil du préfet sollicite le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité aux motifs que la disposition contestée n’est pas applicable au litige et que la question est dépourvue de sérieux ;

Attendu que l’article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont réunies :

- La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites,

- Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances,

- La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Attendu qu’en l’espèce la disposition contestée est applicable au litige en cause dès lors que le placement en garde à vue a été fondé sur la seule infraction de séjour irrégulier et que la nullité de la procédure est invoquée de ce chef ; qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

Attendu qu’en outre la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux pour les motifs explicités dans le mémoire ;

Attendu qu’en conséquence il y a lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité présentée à la Cour de cassation ;

Attendu toutefois que, par application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par la loi du 10 décembre 2009 que la juridiction peut statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi prévoit qu’elle doit statuer dans un délai déterminé ; que tel est le cas de l’espèce, les dispositions de l’article L552-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile imposant au juge des libertés et de la détention ou à son délégué de statuer dans les 24 heures de sa saisine ;

Qu'en l’espèce, la saisine du Préfet des Hauts de Seine a été enregistrée le 03 septembre 2011 à 09h58, qu’il convient en conséquence et sans départir, de statuer dans les formes prévues à cet effet ;

SUR LES CONCLUSIONS DE NULLITÉ :

Attendu que le conseil de l’intéressé soulève l’irrégularité de la procédure au motif de la nullité de la garde à vue en raison de l’inconstitutionnalité et de l’inconventionnalité de l’article L621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que du détournement de procédure ;

Attendu que l'intéressé a été placé en garde à vue à compter du 29 août 2011 à 07h40 pour “l' infraction de étranger en situation irrégulière sur le territoire français”.

Attendu qu'il y a lieu de constater que :

- l’article 62-2 du code de procédure pénale prévoit que la garde à vue est une mesure de contrainte applicable en matière de crime ou de délit puni d’une peine d'emprisonnement.

- par arrêt du 28/04/2011, la COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE a dit pour droit que “la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16/12/2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier, notamment ses articles 15 et 16, doit être interprétée en ce sens qu’elle s'oppose à une réglementation d’un Etat membre qui prévoit l’infliction d’une peine d'emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié”.

Attendu que le Juge national devant laisser inappliquée une disposition interne contraire à la directive européenne, la garde à vue a, en l’espèce, été ordonnée sur la base d’un délit dont le texte de répression est inapplicable ; qu’elle est donc irrégulière ;

Attendu que la procédure est donc irrégulière sans qu’il soit nécessaire d'examiner les autres arguments INVOQUÉS ;

PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique, en premier ressort et contradictoirement,

- ORDONNONS la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“Les dispositions de l’article L621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu’elles prévoient l’infliction d’une peine d'emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers entré ou séjournant irrégulièrement, pour le seul motif que celui-ci demeure sur ledit territoire sans motif justifié, sont-elles conformes à l’article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires” ?

- DISONS n’y avoir lieu à effet suspensif

- CONSTATONS l’irrégularité de la procédure

- DISONS n’y avoir lieu à mesure de surveillance et de contrôle

- RAPPELONS à l’intéressé qu’il a l’obligation de quitter le territoire national

- INFORMONS l'intéressé qu’il est maintenu à disposition de la justice pendant un délai de six heures à compter de la notification de la présente ordonnance au procureur de la République.

Fait à Paris, le 03 Septembre 2011, à 17h59

Le Juge des libertés et de la détention

Le greffier

Reçu copie de la présente ordonnance et notification de ce qu’elle est susceptible d’un appel non suspensif devant le Premier Président de la Cour d’Appel, dans un délai de 24 heures de son prononcé, par une déclaration motivée transmise au greffe du service des étrangers de la Cour d’Appel, par tous moyens, dont le n° de télécopieur est : 01.44.32.78.05.

L’intéressé

Le conseil de l’ intéresse,

Le représentant du préfet