Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 12 juillet 2011 n° 09PA04923

12/07/2011

Renvoi partiel

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

DE PARIS

 

 

N 09PA04923

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Consorts A...

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Ordonnance du 12 juillet 2011

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le président de la 6ème chambre,

 

 

 

 

 

 

 

Vu le mémoire, enregistré le 13 mai 2011, sous la défense présentée pour les Consorts A..., demeurant c/o Me Xavier Morin, 57 rue Cortambert à Paris (75116), par Me Morin, avocat à la cour ; les Consorts A... demandent à la Cour, en application des dispositions des articles 23-2 et suivants de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 et des dispositions des articles R. 771-3 et suivants du code de justice administrative de transmettre la présente question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ;

 

Ils soutiennent que les articles 374 et 376 du code des douanes sont contraires au droit de propriété garanti par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’au principe fondamental reconnu par les lois de la République du respect des droits de la défense et au principe d’égalité ; que l’article 376 du code des douanes est contraire aux articles 5 et 8 et 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que l’article 435 du code des douanes est contraire à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 

Vu les observations en réponse, enregistrées le 15 juin 2011, présentées par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et de la réforme de l’Etat ; il fait valoir que la question posée est dépourvue de caractère sérieux ; que les articles 374.1 et 376 du code des douanes ne méconnaissent pas les droits de la défense, le principe d’égalité devant la loi, pas davantage que le droit de propriété garanti par l’article 17 de la déclaration ;des droits de l’homme et du citoyen ; que l’article 376 du code des douanes n’édicte ni une peine, ni une sanction ;

 

Vu les observations en réplique, enregistrées le 24 juin 2011 présentées pour les Consorts A..., demeurant c/o Me Xavier Morin, 57 rue Cortambert à Paris (75116), par Me Morin ; tendant aux mêmes fins par les mêmes moyens que le mémoire du 13 mai 2011 ;

 

 

Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son article 61-1 ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel notamment ses articles 23-1 à 23-12 ;

 

Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

 

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-595 du 3 décembre 2009 ;

 

Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique

n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

 

Vu le code des douanes notamment ses articles 374, 376 et 435 ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article » ;

 

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du Tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité » ;

 

Considérant qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée : « Devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de la loi organique du 10 décembre 2009 susvisée : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux » ;

 

Considérant que par un mémoire distinct et motivé, les consorts A..., défendeurs dans l’instance tendant à obtenir l’annulation du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné le 29 janvier 2009 le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat à payer aux consorts A... d'une part la somme de

1 317 709 euros assortie des intérêts aux taux légal à compter du 22 juillet 1997, d'autre part la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, et l'a subrogé aux consorts A..., à concurrence du montant de 1 307 709 euros, dans les droits qui résultent pour eux des condamnations qui ont été définitivement prononcées à leur profit et à l'encontre de

M. B... par l'autorité judiciaire, de transmettre au Conseil d’Etat la question de la constitutionnalité des dispositions des articles 374, 376 et 435 du code des douanes ; il estime que les articles 374 et 376 sont contraires au droit de propriété garanti par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’au principe fondamental reconnu par les lois de la République du respect des droits de la défense et au principe d’égalité ; que l’article 376 du code des douanes est contraire aux articles 5 et 8 et 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que l’article 435 du code des douanes est contraire à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 

Considérant qu’aux termes de l’article 374 du code des douanes : « 1. La confiscation des marchandises saisies peut être poursuivie contre les conducteurs ou déclarants sans que l'administration des douanes soit tenue de mettre en cause les propriétaires quand même ils lui seraient indiqués. 2. Toutefois, si les propriétaires intervenaient ou étaient appelés en garantie par ceux sur lesquels les saisies ont été faites, les tribunaux statueront, ainsi que de droit, sur les interventions ou sur les appels en garantie » ; qu’aux termes de l’article 376 dudit code : « 1. Les objets saisis ou confisqués ne peuvent être revendiqués par les propriétaires, ni le prix, qu'il soit consigné ou non, réclamé par les créanciers même privilégiés, sauf leur recours contre les auteurs de la fraude. 2. Les délais d'appel, de tierce opposition et de vente expirés, toutes répétitions et actions sont non recevables » ; qu’enfin aux termes de l’article 435 du même code « Lorsque les objets susceptibles de confiscation n'ont pu être saisis ou lorsque, ayant été saisis, la douane en fait la demande, le tribunal prononce, pour tenir lieu de la confiscation, la condamnation au paiement d'une somme égale à la valeur représentée par lesdits objets et calculée d'après le cours du marché intérieur à l'époque où la fraude a été commise » ;

 

En ce qui concerne l’article 435 du code des douanes :

 

Considérant que la procédure de renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité prévue par les dispositions précitées a pour objet de soumettre à l’appréciation du Conseil constitutionnel la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d’une disposition législative applicable au litige ; que si les articles 374 et 376, sur lesquels le ministre entend s’appuyer dans l’instance au fond, sont applicables au litige, tel n’est pas le cas de l’article 435, relatif à la prononciation par le juge judiciaire d’une condamnation qui ne peut concerner aucune des parties à l’instance ; que, par suite, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 435, qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ;

 

En ce qui concerne les articles 374.1 et 376 du code des douanes et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens :

 

Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu’aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration précitée, et le droit de propriété garanti par l’article 17 de cette dernière ;

 

Considérant que l’article 374.1 du code des douanes offre aux services des douanes la faculté de confisquer des marchandises saisies sans être tenue de mettre en cause les propriétaires « quand même ils lui seraient indiqués » et que l’article 376 du même code prévoit que les marchandises ainsi confisqués ne peuvent faire l’objet d’une revendication par les propriétaires « sauf leur recours contre les auteurs de la fraude » ; que ces dispositions n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; que l’étendue des pouvoirs ainsi confiés au service des douanes et le caractère très général des cas où ils peuvent être exercés ne permet pas aux propriétaires de bonne foi de faire valoir leur droit ; qu’ainsi paraît sérieuse la question de la conformité aux droits de la défense découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et au droit de propriété garanti par l’article 17 ;

 

Sur les conclusions aux fins de sursis à statuer :

 

Considérant qu’aux termes de l’article 23-3 de la loi organique du

10 décembre 2009 : « Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. » ; qu’il y a lieu pour la Cour, par application des dispositions qui précèdent, de surseoir à statuer sur la requête du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat jusqu’à ce que le Conseil d’Etat ou, sur transmission par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, se soit prononcé sur la présente question prioritaire de constitutionnalité ;

 

 

O R D O N N E :

 

 

Article 1er : la question prioritaire de constitutionnalité posée par les Consorts A... en tant qu’elle vise la conformité des articles 374 et 376 du code des douanes au regard du droit de propriété et des droits de la défense est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée aux Consorts A... et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat. Copie sera adressée au Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat.

 

 

Fait à Paris, le 12 juillet 2011.

 

 

Le président de la 6ème chambre,

 

 

 

 

Jacques FOURNIER de LAURIERE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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