Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 26 mai 2011, N° 11/07865

26/05/2011

Renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 26 MAI 2011

AUDIENCE SOLENNELLE

(n° 188 , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 11/07865

Sur la première question prioritaire de constitutionnalité posée dans le cadre du recours formé contre la décision rendue le 27 juillet 2010 par le conseil de discipline de l'ordre des avocats de Paris

DEMANDEUR A LA QUESTION :

Mme [A-B D]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

Comparante

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Avril 2011, en audience publique, les parties et autorités ne s’y étant pas opposées, devant la Cour composée de :

- Monsieur Jacques BICHARD, Président

- Monsieur François GRANDPIERRE, Président

- Monsieur Pascal CHAUVIN, Président

- Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller

- Madame Christine BARBEROT, Conseiller désigné pour compléter la Cour en application de l’ordonnance de roulement du 17 décembre 2010 portant organisation des services de la Cour d’ Appel de Paris à compter du 03 janvier 2011, de l’article R312- 3 du Code de l’organisation judiciaire et en remplacement d’un membre de cette chambre dûment empêché

qui en ont délibéré

GREFFIER , lors des débats : Melle Sabine DAYAN

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au Procureur Général, représenté lors des débats par Mme Jocelyne KAN, Substitut du Procureur Général qui a fait connaître son avis.

M. LE BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE PARIS ES-QUALITES D’AUTORITE DE POURSUITE:

Ordre des Avocats de Paris

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

Représenté par Me Loïc DUSSEAU,

Avocat au Barreau de Paris

Toque P 187

DÉBATS : à l'audience tenue le 28 Avril 2011, ont été entendus :

- M. François GRANDPIERRE, en son rapport

- Mme [A-B D], en ses observations

- Me Loïc DUSSEAU, avocat représentant M. Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris ès-qualités d’autorité de poursuite, en ses observations

- Mme Jocelyne KAN, Substitut du Procureur Général, en ses observations

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD), président et par Melle Sabine DAY AN, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * *

La Cour,

Considérant que les autorités ordinales ont vainement demandé à Mme [A-B D], avocat, de restituer à l’un de ses clients une somme versée sur son compte Carpa, Mme [D] se déclarant titulaire d’un droit de rétention ; que, dans ces circonstances, une procédure disciplinaire a été ouverte contre elle du chef de manquement aux règles relatives aux maniements de fonds et de manquement aux principes essentiels de probité, de désintéressement, de délicatesse, de dévouement et de diligence ;

Que le rapporteur désigné a procédé à l’instruction de l’affaire et estimé constitués les manquements qui ont été repris dans la citation à comparaître devant le Conseil de discipline ;

Que, par arrêté du 27 juillet 2010, le Conseil de discipline a :

- dit que Mme [D] s’est rendue coupable manquements aux règles en matière de maniement de fonds et de aux principes essentiels de probité, de désintéressement, de délicatesse, de dévouement et de diligence, en refusant de restituer à son client, M. [G H'I], les sommes qu’elle détenait sur son compte Carpa au nom et pour le compte de son client et a en conséquence, violé les dispositions des articles P 75-1 et 75-2 du Règlement intérieur du barreau de Paris et de l’article 1.3 du Règlement intérieur du barreau de Paris,

- prononcé à l’encontre de Mme [D] la sanction de l’interdiction temporaire d’exercice de la profession d’avocat d’une durée de six mois non assortie du SUISIS,

- révoqué le sursis antérieur,

- prononcé contre Mme [D], à titre de sanction accessoire, la privation du droit de faire partie du Conseil de l’Ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes professionnels et des fonctions de bâtonnier pendant une durée de dix ans ;

Considérant que Mme [D] a formé un recours contre cet arrêté :

Considérant que, par mémoire séparé, Mme [D] demande que soit transmise à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée : « La loi n° 2004-130 du II février 2004, article 28, qui a modifié l’article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 en instituant des conseils de discipline distincts [écrit en gras par l’auteur de la question] des conseils de l'ordre, en ce qu'elle a refusé dans l'alinéa 2 de ce texte le : bénéfice de cette disposition aux avocats au barreau de Paris, a-t-elle porté atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, faute d'accès effectif à un juge indépendant et impartial, au travers des principes d'égalité des armes et du respect des droits de la défense, ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice — en violation des articles 1°, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »;

Qu’à l’appui de la demande de transmission et après avoir exposé que la procédure disciplinaire applicable aux avocats a été modifiée en 2004 afin que, conformément aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, fût institué un conseil de discipline distinct du conseil d’ordre, Mme [D] soutient que cette règle n’est pas appliquée aux avocats du barreau de Paris dès lors que l’article 22 de la loi du 31 décembre 1971 modifié prévoit que « toutefois, le Conseil de l’ordre du barreau de Paris siégeant comme conseil de discipline connaît des infractions et fautes commises par les avocats qui y sont inscrits » ; qu’elle en déduit que la disposition . législative qu’elle critique est contraire au principe d’égalité devant la Loi, qui comprend le principe d’égalité devant la justice, alors que n’est justifiée aucune différence de traitement entre les avocats inscrits au barreau de Paris et les avocats des autres barreaux :

Que, de plus, Mme [D] fait valoir que la disposition dont elle conteste la constitutionnalité est contraire au droit d’accès effectif à un juge indépendant et impartial puisque le conseil de discipline est composé de membres et d’anciens membres du conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, dont le président en exercice est la bâtonnier, autorité de poursuite ; qu’elle en déduit que n’est pas garantie la séparation qui doit exister entre les fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement et ce, en violation de l’article 16 de la Constitution ;

Considérant que le représentant de M. le bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris conclut au rejet de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité aux motifs que le deuxième alinéa de l’article 22 de la loi du 31 décembre 1971 modifié n’est contraire, ni au principe d’égalité, ni au droit d’accès effectif à un juge indépendant et impartial dès lors que l’organisation du conseil de l'Ordre est telle que les fonctions de poursuite et de jugement sont séparées ;

Considérant que M. le procureur général, à qui le dossier a été transmis, expose que la question est dépourvue de caractère sérieux dès lors que le conseil de l’Ordre et le conseil de discipline sont distincts et que l’accès au juge est assuré, notamment par la faculté d'exercer un recours contre les décisions du conseil de discipline ;

SUR CE :

Considérant qu’en vertu des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé, y compris pour la première fois en cause d’appel ; que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies : 1° la dispositions contestée est applicable au litige, 2° elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement de circonstances, 3° la question n’est. pas dépourvue de caractère sérieux ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que la faculté de présenter un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être exercée pour la première fois en cause d’appel s’applique, non seulement en cas d’appel au sens des dispositions des codes de procédure pénale et de procédure civile, mais également en cas de « recours » portés devant la cour d’appel en vertu de l’article 197 du décret du 27 novembre 1991 ;

Considérant qu’en l’espèce, Mme [D] a présenté la question par un écrit distinct et motivé ; que la disposition législative dont elle conteste la constitutionnalité est applicable à la procédure disciplinaire suivie contre elle ; que cette disposition n’a pas été déclarée conforme à la Constitution ; qu’il convient donc de rechercher si la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Considérant qu’en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’ Homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; qu’aux termes de l’article 16 de la même Déclaration, toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution ;

Que, même si le principe d'égalité n’impose pas un traitement uniforme des situations, il n’en demeure pas moins qu’en instituant, à l’égard des avocats inscrits au barreau de Paris, une instance disciplinaire différente des conseils dont sont justiciables les avocats des autres barreaux français, l’article 22 de la loi du 31 décembre 1971 modifié peut être regardé comme créant une différence procédant d’une distinction injustifiée alors, de plus, que ce texte, qui édicte que le Conseil de l’ordre du barreau de Paris siège comme conseil de discipline, peut être également regardé comme n’assurant pas, dans son principe, la séparation des fonctions de poursuite et de jugement ;

Qu’en tous cas, la question relative à la discrimination instituée par la disposition législative critiquée n’est pas dépourvue de sérieux ;

Qu’en conséquence, il convient de transmettre à la Cour de cassation, la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [D] ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Ordonne que soit transmise à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [A-B D] et ainsi libellée : « La loi n° 2004-130 du 11 février 2004, article 28, qui a modifié l'article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 en instituant des conseils de discipline distincts des conseils de l'ordre, en ce qu'elle a refusé dans l'alinéa 2 de ce texte le bénéfice de cette disposition aux avocats au barreau de Paris, a-t-elle porté atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, faute d'accès effectif à un juge indépendant et impartial, au travers des principes d'égalité des armes et du respect des droits de la défense, ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice — en violation des articles 1”, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »:

Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

POUR COPIE CERTIFIÉE CONFORME Le Greffier en Chef