Cour des comptes

Arrêt du 5 mai 2011 n° 61147

05/05/2011

Renvoi

COUR DES COMPTES CHAMBRES REUNIES FORMATION RESTREINTE

 

 

 

 

COPIE

 

 

LETTRES DE NOTIFICATION

DU 05 MAI 2011

 

OFFICE DU TOURISME DEL'ALPE D'HUEZ (ISERE)

Question prioritaire de constitutionnalité Rapport n° 2011-253-0

Audience publique du 2 mai 2011

Lecture publique du 5 mai 2011

 

 

 

 

 

Arrêt n° 61147 OFFICE DU TOURISME DEL'ALPE D'HUEZ (ISERE)

 

Question prioritaire de constitutionnalité Rapport n° 2011-253-0

Audience publique du 2 mai 2011

 

Lecture publique du 5 mai 2011

 

 

LA COUR DES COMPTES a rendu l'arrêt suivant :

 

 

 

LACOUR,

 

 

Vu la décision du 28 décembre 2009 par laquelle le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt n° 48604 rendu par la Cour des comptes le 13 juin 2007 en tant que il déclarait M. A…, président de l'Office de tourisme de !'Alpe d'Huez (Isère), comptable de fait de deniers de l'établissement, après que la Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes l'avait déclaré, à titre provisoire puis définitif, comptable de fait conjoint et solidaire avec Mme B…, MM. C… et D…, et l'association Alpe d'Huez Initiatives;

 

Vu le mémoire, enregistré le 2 mars 2011 au greffe de la Cour, par lequel la SCP Peignat et Garreau, avocat de M. A…, a soulevé, à l'occasion de la reprise de !'instance d'appel, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 60-XI de la loi de finances du 23 février 1963;

 

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;

 

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 et 23-2 ;

 

Vu le code des juridictions financières, notamment ses articles LO. 142-2 et R. 112- 18-II, alinéa 2 ;

 

Vu l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 modifiée ;

 

Vu l'arrêté du Premier président n° 2010-862 du 21 décembre 2010 constituant pour l'année judiciaire 2011 les formations plénière et restreinte des chambres réunies ;

 

Vu les correspondances du 1°' mars 2011 par lesquelles les personnes concernées ont été informées de la reprise de l'instance devant la Cour et du fait que leur était ouverte la possibilité de présenter des observations ;

 

Vu les observations de M. C… enregistrées le 22 mars 2011 au greffe; Vu les autres pièces du dossier ;

Sur le rapport de M. Ortiz, conseiller référendaire ;

 

Vu les conclusions n° 291 du 28 avril 2011 du Procureur général de la République près la Cour des comptes ;

 

Entendu, lors de l'audience publique de ce jour, M. Ortiz, rapporteur, en son rapport et

M. Bénard, Procureur général de la République, en ses conclusions, M. C… assistant à l'audience et ayant eu la parole en dernier, M. CupilJard informé de l'audience n'étant ni présent ni représenté ;

 

Ayant délibéré hors la présence du rapporteur et du ministère public et après avoir entendu Mme Gadriot-Renard, conseiller maître, en ses observations ;

 

Attendu que l'article 61-1 de la Constitution dispose:« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat (... ) qui se prononce dans un délai déterminé » ;

 

Attendu que le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel; qu'ainsi, la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité est susceptible d'être mise en œuvre devant les chambres réunies qui, en application de l'article R. 112-18-Il, alinéa 2, du code précité, « (... ) statuent sur les affaires renvoyées devant la Cour après cassation » ;

 

Attendu qu'en l'espèce, il appartient aux chambres réunies de se prononcer, en formation restreinte, sur la transmission ou non au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A…, avant que la Cour ne statue sur les suites à donner à l'affaire qui lui a été renvoyée après cassation ;

 

 

 

Sur l'intervention de M. C…:

 

Attendu qu'il résulte de l'article 61-1 précité que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité que si celle-ci est posée à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction ;

 

Attendu que M. A…a la qualité de partie à l'instance d'appel en cours et que, par conséquent, il a la capacité nécessaire pour soulever une question de constitutionnalité ;

 

Attendu que dans le cadre de la procédure, M. C…, ancien directeur de l'office de tourisme, a déclaré de son propre mouvement : « Je m'associe à la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 60-XI de la loi de finances n° 63-156 du 23/12/1963 déposée par Maître Garreau, conseil de M. A…, question que je reprends à mon compte et pour mon compte dans les mêmes termes (... ) » ; qu'il en résulte que l'intervention de

M. C…, qui a intérêt à agir, s'analyse comme une demande propre;

 

Attendu qu'à l'issue d'une suspension de l'audience publique, M. C… a été reconnu comme intervenant volontaire et recevable à présenter une question prioritaire de constitutionnalité ;

 

Attendu que par ailleurs, la procédure de la question de constitutionnalité lui est ouverte, en tant que personne déclarée à titre définitif comptable de fait, devant la chambre régionale des comptes dans le cadre du jugement de la comptabilité de fait ;

 

 

Attendu qu'en raison de la connexité qui existe entre les demandes de MM. A…et C… et afin de prévenir la survenance d'une situation de litispendance avec la chambre régionale des comptes, il y a lieu de joindre les deux requêtes pour qu'il y soit statué par une seule décision dès lors que les questions sont identiques ; qu'au surplus, dans la procédure de gestion de fait, les différents coauteurs des irrégularités sont souvent déclarés « comptables de fait conjoints et solidaires » ; que cette solidarité instituée au titre d'une même ligne de compte résulte de l'indivisibilité des opérations irrégulières qui forment un tout, en raison de l'impossibilité d'imputer la responsabilité des opérations irrégulières aux uns plutôt qu'aux autres coauteurs de la gestion de fait ;

 

 

 

Sur la recevabilité des demandes :

 

Attendu que l'article LO. 142-2 du code des juridictions financières précise: «1.- La transmission au Conseil d'Etat, par une juridiction régie par le présent code, d'une question prioritaire de constitutionnalité obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de 1'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur Je Conseil constitutionnel (... ) »;

 

Attendu qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée, « le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé » ; que Je conseil de M. A… a produit à la Cour un mémoire distinct des conclusions principales et motivé, auquel s'est référé M. C… dans ses écritures; que, dès lors, la condition formelle de recevabilité est satisfaite en l'espèce tant en ce qui concerne

M. A… que M. C… ;

 

Attendu que l'article 23-2 de l'ordonnance de 1958 fixe, en outre, trois conditions relatives au texte contesté par la question prioritaire de constitutionnalité : il doit viser une

« disposition législative » ; cette disposition doit être « applicable au litige ou à la procédure, ou [constituer] le fondement des poursuites » et elle ne doit pas avoir « été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou Je dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances » ;

 

Attendu, en premier lieu, que l'article 60-XI de la loi de finances du 23 février 1963, précisément identifié dans Je mémoire ad hoc, est une disposition de forme législative, votée par Je Parlement et promulguée par Je Président de la République ;

 

Attendu, en deuxième lieu, que l'article en cause est non seulement applicable à 1'affaire en instance mais constitue aussi Je fondement des poursuites en matière de gestion de fait;

 

Attendu, en troisième lieu, que la disposition contestée n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et Je dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel; qu'elle n'a pas été non plus déjà déclarée inconstitutionnelle dans une précédente décision relative à une question prioritaire de constitutionnalité ;

 

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les trois conditions cumulatives susmentionnées sont vérifiées au cas d'espèce;

 

Sur le fond:

 

 

Attendu que dans l'hypothèse où la Cour juge les demandes recevables, elle doit encore en subordonner la transmission au Conseil d'Etat à la constatation que la question soulevée « n'est pas dépourvue de caractère sérieux», conformément au 3° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée; qu'ainsi le caractère sérieux n'est pas pour le juge a quo synonyme d'un pré-contrôle de constitutionnalité, mais qu'il induit nécessairement une appréciation de la demande de transmission sans préjuger du bien-fondé de la question posée;

 

 

J0 ) En ce qui concerne les normes constitutionnelles invoquées :

 

Attendu que l'article 61-1 de la Constitution circonscrit la question de constitutionnalité à la méconnaissance des « droits et libertés que la Constitution garantit » ;

 

Attendu qu'en l'espèce, le mémoire argue de la contrariété des dispositions de l'article 60-XI de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et au principe de nécessité et de proportionnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen;

 

Attendu que, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution ;

 

Attendu que le principe de nécessité et de proportionnalité des pemes peut être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

 

2°) En ce qui concerne! 'argumentation des demandeurs:

Attendu que la loi et son interprétation par la jurisprudence sont indissociables ; Attendu qu'en l'espèce, MM. A… et C… soutiennent, dans leurs productions,

que la procédure de gestion de fait apparaît insuffisamment précise et ne donne pas aux comptables de fait une prévisibilité suffisante et que la disposition contestée est contraire au principe de nécessité et de proportionnalité des peines ;

 

Attendu que M. C…, après avoir vu sa qualité d'intervenant reconnue et invité à s'exprimer à l'audience, s'en est tenu à ses écritures ;

 

Attendu que le moyen de droit est articulé en deux branches et que les griefs sont détaillés, ce qui constitue un effort d'explicitation ;

 

Attendu que la question soulevée n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

 

Attendu qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil d'Etat;

 

Attendu que l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que« lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat(...) ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires»; qu'il y a donc iieu pour la Cour de surseoir à statuer dans l'instance d'appel, sans pour autant que l'instruction soit suspendue ;

 

 

 

Par ces motifs, Ordonne ce qui suit :

 

 

Article 1er: La question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MM. A… et C… est transmise au Conseil d'Etat.

 

 

Article 2 : Il est sursis à statuer dans l'instance d'appel.

 

 

 

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B…, MM. A…, C… et D…, ainsi qu'à l'association Alpe d'Huez Initiatives, en la personne de sa présidente, et à l'Office du tourisme de L'Alpe d'Huez, en la personne de son directeur.

 

 

Une copie pour information sera adressée au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de !'Etat, porte-parole du Gouvernement, et à la Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes.

 

 

 

Fait et jugé à la Cour des comptes, toutes chambres réunies en formation restreinte, le deux mai deux mil onze.

 

 

Présents : M. Descheemaeker, président de chambre, président ; M. Gasse, Mme Levy­ Rosenwald, M. Lebuy, Mme Moati, M. Korb, Mmes Briguet et Gadriot-Renard, conseillers maîtres.

 

Signé : Christian Descheemaeker, président, et Férez, greffier.

 

Collationné, certifié conforme à la minute étant au greffe de la Cour des comptes et délivré par moi, secrétaire général.

 

 

 

 

 

2